Qu'on se le dise, ce n'est pas de la docilité si il lui obéit. C'est juste qu'il a envie de l'écouter, voilà tout.
La demoiselle remplace le GPS intégré dans son bracelet high-tech, et lui donne la route à suivre. Le Vagabond ne bronche pas et s'exécute, même si beaucoup de gens penseraient en cet instant que tout ça est une mauvaise idée. Porter une femme nue, sanglante, ayant la capacité incongrue de se transformer en un lion gigantesque, féroce et pas câlin du tout, pour la conduire au fin fond des couloirs creusés d'une mine, jusqu'à atteindre un four géant, un bassin rempli de lave en fusion où les vapeurs de soufre empestent jusqu'à filer la nausée... Quand on a un grain de logique et une pincée de présence d'esprit, on ne fait pas ça, non.
Mais lui s'en remet au temps qui passe. Il est comme la plume soulevée par le vent. Elle ne lutte pas, elle. Lui non plus. La vie n'est que la conscience de l'instant. Peu importe cet instant, il tient seulement à garder les yeux ouverts sur le théâtre de son existence.
Alors, il le fait. Jusqu'à la lave, oui.
La chaleur est étouffante. Il en sue déjà, le pauvre. Elle tente d'échapper à son emprise, et il la laisse faire. C'est seulement maintenant qu'il se rend compte de ce qu'elle veut faire. Plonger ? Là-dedans ? Hem. Dit comme ça, ça paraît un peu idiot, pardonne-moi petite ! Il taira sa réflexion. Il la laisse avancer avec appréhension jusqu'au flot de feu. Il serait tenté de lui donner son bras jusqu'à ce qu'elle plonge, mais il ne s'en sent pas capable. Il fondrait si il s'approchait plus.
Elle tombe. Il effectue un pas réflexe vers elle, mais se ravise. Il serre les dents. Il doit croire en elle, croire au destin. Non, ce n'est pas un bête suicide, ni un accès soudain de folie. Ca n'y ressemble pas. Garder la foi – jusqu'au bout.
Et puis la vue n'est pas désagréable : Lanfear se traîne à quatre pattes, quoi. Il serait tenté de lui coller une petite fessée, mais la lionne risquerait de se réveiller.
Et puis, c'est pas franchement le moment.
Elle disparaît.
Il n'a plus que ses yeux pour pleurer, et sa patience pour tenir. Le manteau est ramassé, et suspendu sur son sac en bandoulière. Les éclats des joyaux sur les murs l'attirent. Le Vagabond n'est pas du genre à perdre le nord.
« J'serais pas venu pour rien. »
Dague sortie de sa ceinture. Il s'approche d'un rubis, tente de caler la pointe dans une aspérité. Puis donne un coup de point sur la poignée, comme un marteau le ferait sur un burin. La pierre tombe, il la ramasse. Il recommence pour quelques autres, les rangeant systématiquement dans sa besace, avant qu'enfin...
Elle apparaît. Miracle !
Il abandonne aussitôt sa rapine et se précipite vers elle. Il attend qu'elle ne s'approche pour tenter de poser une main sur son épaule. Sa peau est chaude... Mais c'est supportable.
« Tu vas bien ? Tu... tu n'as plus rien... »
Prodigieux. Il se demande si ça marche avec tout le monde, ou simplement avec elle. Un sourire anime son visage.
« Je considérais comme hautement improbable le fait que tu sortes de là. Je suis content de te voir en vie... »
Elle est pathétique, mais amusante. Elle a une ténacité qui n'est pas pour lui déplaire. Ce n'est plus sa fierté qui la fait tomber et se relever indéfiniment : C'est bien l'envie féroce de continuer à se battre.
Elle lui fait part de ses inquiétudes. Le magma s'est réveillé ? C'est grave ? Bon ! Disons que oui. C'est elle la spécialiste, après tout...
« Tu n'as pas ton mot à dire, tu te rappelles ? »
Et il la soulève de nouveau. Si jamais elle voulait 'marcher par elle-même', c'est raté. Elle est encore sous ses ordres, et il ne se prive pas d'utiliser les droits qu'il possède sur elle pour la porter. Il vérifie qu'il n'a rien laissé sur place, et remonte jusqu'à l'entrée en quatrième vitesse.
Une fois échappé, il se démène pour tenter de la couvrir avec son manteau de chasseur de prime, son objet fétiche, sans la faire tombée. Elle sera un peu ballottée, devra s'accrocher à son cou pour libérer l'un de ses bras, mais finalement, elle sera de nouveau en état de pudeur. Son corps est caché par le cuir usé.
Il reprend un rythme de marche plus rapide. Quelques minutes plus tard, ayant croisé un ouvrier pochtronné et titubant qui les remarqua à peine, le wanderer allait tenter de passer par l'entrée gardée, quand il aperçoit, au sol, une lourde trappe circulaire blindée. Il s'accroupit, pose Lanfear sur ses cuisses, retenant comme tout à l'heure sa tête avec son bras, et de l'autre, tente d'actionner le mécanisme pour l'ouvrir. Ca lui résiste d'abord, et puis ça cède. Il regarde que personne ne le voit aux alentours, soulève la porte de métal, et regarde à l'intérieur, à la faible lueur de la lune.
« Tiens bien mon manteau. Et accroche-toi à moi. »
Comme le ferait une maman de son gosse, il fait s'accrocher Lanfear devant lui. Concrètement, ils sont collés l'un à l'autre. Elle devra passer ses bras autour de son cou, et ses jambes qui ceinturent sa taille. Mh, sexy, comme position... C'est que ça donne des occasions de courir les routes pour aider la veuve et l'orphelin ! Il rentre dans le trou, ferme la trappe et s'engage ensuite dans la descente de l'échelle fixée au tunnel descendant.
C'est là qu'il ne faut pas avoir peur. Pour être sûr qu'elle ne lâche pas, le Vagabond garde une main contre son dos. Comment descend-il l'échelle alors, puisqu'il n'a qu'une seule main ? Et ben... Il lâche un barreau et saisit celui du dessous très vite. Oui, il y a un dixième de seconde de temps de flottement entre les deux, et si il rate le second appui, les deux compères sont marrons et descendent jusqu'en bas en chute libre. Génial, comme technique !
Mais il fait preuve d'une remarquable maîtrise et arrive en bas sans problème. Cette fois-ci, il tient Lanfear par les fesses (purement par intérêt de confort de transport pour elle, bien entendu), et remonte un long couloir au seule éclairage de sa lampe-torche électrique intégrée à son bracelet.
Une porte blindée plus loin, et les voilà qui arrivent dans une sorte de salon tout-confort. Nourriture, canapés, lits militaires contre un mur, un jeu de carte pas rangé sur une table, et si on cherche bien, on doit trouver un exemplaire du dernier « Playelf », avec en poster central Jennifer Bigtitsdelaforêtnoire.
Le Vagabond pose, couchée, Lanfear sur un sofa, et va s'asseoir sur un fauteau juste à côté, exténué.
«Abri anti-catastrophe, je suppose... La porte du fond doit conduire à une sortie, bien plus loin. Mais si ça te dérange pas, pause. »
C'est dans ces moments-là, en général, qu'il demande à son compagnon du jour de raconter son histoire. Surtout qu'elle doit en avoir, des choses à raconter... Mais... Est-elle disposée à parler ?
Long temps d'attente où il la regarde. Et finalement....
« Bon. J'espère qu'il ne t'arrivera plus rien désormais. »
Sourire, qui se veut rassurant. Une fois qu'ils seront sortis, sa part du contrat sera définitivement remplie. Du moins, il l'espère.