Chasse au monstre [Reith]

Personnel utilisé

 - Delirium (Shea’Rin)

« Nek’Kra ! » jubila-t-elle.

Le son sortit de la bouche de Shea’Rin alors qu’elle sentait la proie proche. Elle releva la tête, cessant d’étudier les traces. Le doute n’était plus permis, la bête traquée était proche. Elle pouvait la sentir, la percevoir. Delirium se redressa, et suivit le sentier escarpé. Il y avait de nombreuses petites cascades qui coulaient dans la région, donnant à l’ensemble une vision très poétique. Delirium n’était toutefois guère sensible à ce charme sauvage, à ces rayons lumineux qui venaient décliner dans cette jungle, à ces ruines ancestrales luxuriantes. Elle se tenait près d’une espèce d’ancien porche envahi par la verdure. Oui, des touristes auraient adoré cet endroit, mais, en même temps, des touristes n’auraient jamais pu aller jusque-là.

C’était une zone dangereuse, sauvage. Il y avait des bêtes affamées, des prédateurs redoutables, et Delirium chassait depuis une semaine. Overlord l’avait autorisé à se perdre dans les profondeurs de la jungle de Zerrikane. Cette zone était considérée comme l’une des plus dangereuses de Terra. On pouvait trouver dans les grandes bibliothèques des récits d’aventuriers et d’explorateurs ayant essayé, sans réel succès, de cartographier cette partie de Terra. Les aventuriers avaient également fait des romans, devenus des best sellers à Nexus, et ayant suscité un regain d’intérêt pour l’exploration de Zerrikane. Quelques hommes d’affaires peu scrupuleux avaient tenté d’organiser des séjours touristiques, mais ils n’avaient pas duré. Tout était dangereux ici. Que ce soit les énormes araignées tachetées qui étaient si grosses que leurs toiles pouvaient attraper des éléphants ou les mouches Tsé-tsé, tout était redoutable ici. Les mouches Tsé-tsé étaient particulièrement affreuses. Elles pondaient leurs œufs dans les cerveaux de leurs victimes, ces derniers se nourrissant de la cervelle de la victime. Les mouches sortaient ensuite en crevant les yeux des porteurs.

Tout l’enseignement de Zerrikane reposait essentiellement sur le travail de Marco Knopf, qui avait consacré tout un traité à l’étude de la jungle, dans son fameux « Insectes de Zerrikania et autres vermines ». Knopf était alors un explorateur qui avait rejoint une expédition militaire dans la jungle. L’expédition avait échoué, et les survivants, peu nombreux, n’avaient jamais vraiment pu oublier cette expérience. En somme, même pour Delirium, ce voyage était risqué. Mais elle aimait justement ça. Elle vivait depuis plus d’une semaine dans cette jungle, et pistait un gros gibier, simplement pour s’amuser.

Sa route la conduisait à la lisière de la jungle, dans des zones encore habitables, où on trouvait de petits villages de sauvages et d’autochtones. Certains étaient sauvages, cannibales, mais tous ne l’étaient pas forcément. Delirium n’avait cependant pas souhaité leur hospitalité. Elle se sentait mieux dans la nature, plus libre au milieu des animaux, loin de toute forme de civilisation. De temps en temps, ça faisait du bien.

Shea’Rin s’arrêta sur une corniche, et sortit son arc, visant entre les arbres. Elle entendait des pas. Elle était silencieuse et invisible, et avait un œil fermé. Delirium retint son souffle afin de réussir son coup, banda son arc, et tira. La flèche s’envola, fendant l’air, filant vers sa cible.

Le fauve se tenait près d'un mince cours d'eau, remontant vers l'amont. Depuis plusieurs jours qu'il traversait cette gigantesque jungle, il avait gardé ce point de repère pour ne pas se perdre dans l'enfer vert. Il aurait surement pu se retrouver simplement à l'odeur, ou à des détails. Mais sans réel but, pourquoi pas suivre ce ruisseau ? Il avait croisé nombres d'animaux sur sa route, pas tous hospitaliers. Le dernier serpent croisé pendait sur son bras, du moins sa peau. Il avait évidé la bête et racler autant que possible pour ne garder que la peau. De deux mètres au moins, le serpent avait une couleur jaune citron, et il tenait à se fabriquer un pagne ou un étui à couteau à l'aide de cette peau.

Ce n'était pas sa seule prise, mais il ne s'encombrait pas des autres généralement. Il chassait, puis abandonnait le reste du repas quand il reprenait la route. Ce soir n'allait pas être une exception, après avoir trouvé de quoi se sustenter, il planterait son campement. Depuis qu'il était ici, il s'était mis à s'installer dans les hauteurs, pour éviter les mauvaises surprises durant la nuit. Une branche suffisamment renforcée suffisait généralement à passer une bonne nuit.

Mais l'heure n'était pas au sommeil. Depuis près d'une demi heure, il avait senti quelqu'un, ou quelque chose. Plusieurs fois, il avait scruté la forêt, sans trouver âme qui vive. Qui que ce soit, son poursuivant se cachait, pensant peut-être lui sauter dessus durant son sommeil. Si tel était le cas, il saurait l'accueillir. La gigantesque hache dans une main, il taillait un chemin dans les lianes trop épaisses, se tenant par la même sur le qui-vive si jamais la situation devait évoluer.

Et elle évolua. Un sifflement, la flèche entre les arbres, et Reith fit volte face. Le projectile s'écrasa sur le métal de la hache dans un bruit sourd. Il était clair à présent qu'un humanoïde en avait après lui, vu l'usage d'une flèche. L'instant d'après, il levait la tête, fouillant la direction d'où provenait la flèche, en quête du tireur. Et là, à peine visible sur la corniche, dépassait un bout d'arc et de tête.

Un pas, puis deux, le léonin abandonnait au sol sa besace pour saisir sa hache à deux mains. Troisième pas, il courrait déjà, droit vers la butte. Et dans un élan formidable, il se propulsait en l'air, en direction de la corniche et de son agresseur, la hache relevée et prête à s'abattre sur l'importun. Ce n'était pas dans son tempérament d'agresser une personne, mais lorsqu'on le cherchait, il n'y avait plus de retenu de la part du léonin, et son ennemi risquait de l'apprendre à ses dépends.

Les arcs n’étaient pas les armes de prédilection de Shea’Rin. Elle les utilisait, car ils étaient indispensables dans la chasse, mais elle préférait bien plus se servir de ses deux épées pour se battre. Delirium était une femme rapide, agile, et n’avait pas la patience des chasseresses de son village natal. Ces femmes avaient la patience nécessaire pour passer des heures allongée sur une branche d’arbre, entre des buissons, à se confondre totalement dans le décor, jusqu’à ce qu’une biche apparaisse, pour lui tirer dessus. Delirium était malheureusement incapable de faire preuve d’une telle patience ; elle était bien trop nerveuse pour cela. Comme les sages de son clan l’avaient dit, c’était une femme au tempérament de feu, une guerrière, et non une chasseresse.

Sa flèche loupa la cible, heurtant un objet dur et métallique. Shea’Rin pesta, et essaya d’armer son arc à nouveau, de décocher une seconde flèche pour atteindre le monstre. Que ce monstre dispose d’une hache ne sembla, sur le coup, guère la surprendre. Elle avait déjà rencontré des Terranides de ce genre, qui savaient utiliser des outils, mais n’en étaient pour autant rien d’autre que des bêtes sauvages. Le Terranide, sa proie, ne chercha pas à fuir, et parvint à repérer l’origine du tir de Delirium, une autre preuve que cette dernière n’était pas une grande spécialiste en matière d’archerie. Un bon archer pensait toujours à bien se camoufler, de manière à pouvoir, si le premier tir échouait, avoir une chance de décocher une seconde flèche. Delirium n’en eut pas le temps. Dès que le Terranide lion l’aperçut, il se rua vers elle. Il sortit des arbres, filant vers la rivière, s’appuya sur un gros rocher plat, et s’en servit pour bondir en l’air.

Une belle détente... Shea’Rin le vit s’envoler dans les airs. Le soleil se refléta brièvement sur sa hache, et Shea’Rin agit instinctivement. Elle était accroupie sur le sol, et bondit en arrière, évitant de peu l’immense hache qui se plantait sur le sol.

« Keral’Kra ! » siffla-t-elle, mécontente.

L’animal était nerveux, agité, et Delirium se contenta de bondir de gauche à droite pour éviter ses puissants coups de hache. Il avait une hache énorme, et la manœuvrait sans trop de difficulté. Ses muscles étaient puissants, une belle bête. A une époque, elle aurait fièrement exhibé sa tête comme trophée dans sa hutte, entre les défenses du mammouth qu’elle avait jadis réussi à vaincre. Delirium se retrouva acculée contre la paroi et le monstre, qui brandissait à nouveau sa hache, et l’abattit sur elle. Shea’Rin l’évita en bondissant en avant, roulant sur le sol. N’ayant pas le temps de sortir ses lames, elle sortit une petite dague, et la planta dans la cheville de la bête, ayant atterri à côté de lui.

Elle se reçut en réponse un coup avec lune des pattes de la bête, et roula à côté. Le dos de Delirium atterrit sur un rocher, et elle serra les dents. Ils se battaient sur un petit espace, et elle réagit en bondissant sur ses pieds, et en courant vers l’adversaire. Delirium bondit alors dans les airs, et joignit ses deux pieds, le frappant sur le torse avec ses deux pieds joints. Le coup fit reculer la bête, mais sans vraiment la blesser. Delirium, de son côté, atterrit sur le sol, et bénéficia de ce court laps de temps pour sortir deux des épées rangées dans son dos, en tenant une à chaque main. Le coup de patte du Terranide lion l’avait blessé, surtout quand elle avait heurté le rocher. Sa tête saignait un peu, mais rien de bien méchant.

« Telakh’Sikh’Krey’Threy ! » s’exclama-t-elle, le provoquant.