C’était un jour assez exceptionnel aujourd’hui. Un grand jour pour Sylvandell, un jour de paix et de bonheur, un jour férié. Le calendrier sylvandin comprenait une petite dizaine de jours fériés, célébrant de grands évènements historiques ou religieux. La naissance présumée d’Erwan Korvander, le Premier Roi de Sylvandell, le Fondateur, était ainsi classé jour férié. Il en allait de même pour le jour où Sylvandell et les Ashnardiens avaient signé le traité de paix mettant fin à la guerre entre les deux, la concrétisant par l’annexion du royaume au sein de l’Empire. Aujourd’hui, on célébrait le centenaire de la fin d’une lointaine guerre, surnommée « La Guerre des Deux Mers », car elle avait opposé l’Empire à un puissant État insulaire qui avait délivré une politique expansionniste l’amenant à attaquer les régions côtières et limitrophes d’Ashnard. La guerre avait duré des années, et les historiens la décrivaient comme une guerre difficile, très difficile, qui avait coûté énormément de ressources à l’Empire. C’était ce conflit qui avait mis Sylvandell sur le premier plan, car les dragons dorés avaient été une aide non négligeable contre les innombrables flottes de cet ennemi, cet Empire aquatique.
Aujourd’hui, ça faisait donc plus de cent ans que cette guerre s’était terminée. On ne célébrait pas la dernière bataille, qui avait permis de renverser cet Empire, mais la signature du traité de paix, quand les forces officielles avaient capitulé. C’était donc un jour férié, et tout un programme de festivités était prévu : un défilé, une parade militaire, et même un cirque le soir ! Des musiciens, des chanteurs, des attractions, étaient prévues, les festivités officielles ayant lieu sur la ville haute.
Alice allait participer avec sa femme à un discours introductif organisé par son père. Elle était donc assez fébrile. On avait mis des drapeaux, des guirlandes un peu partout, et on entendait, venant des plaines, les bruits des tambours. Bien des Sylvandins étaient montés sur les hautes plaines, et des saltimbanques étaient déjà là, accompagnés de clowns, de jongleurs, de forains présentant leurs attractions : des ours dansants, des mimes. Les enfants riaient, et les dragons volaient dans le ciel. Pour eux aussi, cette guerre avait été éprouvante, car les insulaires avaient lancé sur eux leurs propres créatures : des léviathans aquatiques, des dragons d’Eau massifs, et des déluges de flèches. Plusieurs dragons avaient été tués lors de cette redoutable guerre.
Le Roi se tenait dans son énorme armure noire sur une estrade bâtie sur l’occasion, à la place du marché. Alice, dans une belle robe de Princesse, était derrière lui, avec d’autres dignitaires. Il y avait notamment l’
Omniprêtre, dont la longue robe flottait sur le sol. Grand maître spirituel, le vieil elfe borgne, dont l’œil de diamant continuait encore à faire peur à Alice, était à ce poste depuis des siècles. Il avait participé à cette guerre en tant que guerrier, et son passé lointain était enveloppé de mystères. Il avait grandi dans le Bosquet sylvestre des elfes, cet arbre géant qui abritait toute une ville au milieu d’un lac, mais la Princesse n’en savait pas plus. Accompagnant son Père, il y avait également le Grand Maître de l’Ordre des Dragonniers, Loden. L’homme portait une belle armure bronzée, aux couleurs des dragons, et avait retiré son casque, laissant pointer sa belle chevelure noire, ainsi que sa barbe. Les trois hommes étaient plutôt grands, mais son Père, la
Montagne, les dominait amplement par sa stature. Il y avait également plusieurs Commandeurs, comme Oberyn, ou encore le Limier, Sandor Clegane, le Gardien de Sylvandell.
Il y avait du beau monde, mais toutes ses personnes n’intéressaient pas vraiment Alice... Du moins, pas autant que celles qui se tenaient près d’elle. Sur sa droite, il y avait, en effet, sa belle femme, Sakura, et, entre elles, Ayano, sa petite belle-sœur à la peau bronzée. Ayano, soit dit en passant, semblait assez mal à l’aise dans la robe qu’on lui avait cousu sur mesure, et qu’elle était
obligée de porter. Elle se forçait à rester calme, car elle pressentait que cet évènement était plus important, mais Alice était sûre que l’espiègle jeune fille ne cherchait qu’un moyen de s’enfuir.
«
Cette guerre a causé la mort de nombreux Sylvandins, expliqua Alice à sa femme.
Elle est entrée dans la mémoire collective du royaume. C’est donc une fête très importante. »
Ceci expliquait toutes les festivités. Le Roi de Sylvandell leva finalement la main, et des trompettes résonnèrent alors. Un
BOOOOIIIINNNGGGGG strident et sonore, repris par de nombreuses trompettes, se répercutant dans toute la vallée, descendant jusque dans les plaines. Un système d’acoustique magico-tekhan avait été mis en place pour que le Roi puisse s’adresser à toute la foule. Les trompettes résonnèrent assez longuement, puis ce fut l’occasion des tambours.
BOOOONG !!!!! BOOOOONG !!!! BOOOOOOOOONG !!!Les tambours résonnèrent avec force pendant quelques minutes, faisant taire tout le monde, instaurant un silence global. Le Roi allait faire un discours, et il reposa sa main. Connaissant son père, le discours serait bref. La coutume imposait du Roi qu’il ouvre les festivités.
«
Mes braves sujets... Je vous souhaite le bonjour ! commença le Roi, avant de se racler la gorge.
La célébration du centenaire du traité de paix entre Ashnard et feu l’Empire de la Mer de Jade est officiellement commencé. Bonne journée ! »
Il y eut quelques ovations. Les Sylvandins n’étaient pas surpris, et, à vrai dire, on trouvait que le Roi avait fait des efforts. L’année dernière, il s’était contenté d’un simple «
Salutations », et, il y a deux ans, avait sorti un sommaire «
Amusez-vous bien, mais ‘faites pas chier quand même ». On pouvait donc dire qu’il s’améliorait. Le Roi s’écarta, et l’Omniprêtre se mit à parler, de sa voix envoûtante d’elfe, même si elle avait parfois quelques échos nasillards... Du moins, aux oreilles d’Alice.
«
Pour moi qui ait participé à cette guerre, je suis heureux de voir que les bourrasques de la Mer de Jade ayant survenu lors de ce dernier siècle n’ont jamais dégénéré en une tempête qui nous aurait contraint à devoir intervenir une nouvelle fois. »
L’Omniprêtre s’exprimait généralement par métaphores. Après la signature du traité de paix, il y avait eu des révoltes, des tentatives de guerre civile, mais elles avaient toutes avorté.
«
Bien que nous soyons un royaume guerrier, au sein d’un Empire très militarisé, il est parfois bon de se rappeler que la paix a des bienfaits. Gardons-nous, toutefois, de ne pas oublier que toute guerre est fondamentalement nécessaire pour en apprécier les bienfaits. Dans sa plus petite expérience, chacun le sait. Comment peut-on apprécier une chose positive, si on n’a jamais goûté à son négatif contraire ? Redoutons un monde où les gens ne connaîtraient que la paix, car la paix sans la guerre est chose illusoire. Le sentiment de paix se nourrit de la réalité de la guerre, s’en abreuve, et nous rend meilleurs. »
C’était singulièrement différent du discours de son Père. L’Omniprêtre parlait de manière un brin philosophique.
«
Goûtez aux fruits que la paix offre, savourez-les chèrement. La paix offre à chacun la sûreté et la sérénité, la jouissance d’une vie sereine et belle, pleine d’amour. Inspirez-vous de ces bons exemples, et redoutez les mauvais. Inspirez-vous de la douceur et de la joie de vivre de notre couple royal, union uniquement motivée pour l’amour, par le désir de paix. Savourez la paix et ses bienfaits en chaque instant, en chaque heure, comme si ce devait être le dernier instant, la dernière heure. Inspirez-vous de nos Princesses ! »
Les applaudissements furent plus prononcés, Alice étant légèrement rouge. Elle leva la main gauche pour saluer la foule, puis leva la droite, qui tenait dans son poing la main de Sakura. Les deux femmes s’embrassèrent ensuite tendrement, donnant lieu à de nouveaux lieux applaudissements.
«
Tu veux aller leur dire quelque chose, mon amour ? » lui demanda Alice après ce bref baiser.