Air… Oxygène… Respirer… Ces mots tourbillonnaient dans sa tête, alors qu’elle sentait une espèce de vive pression écraser son corps, opprimer ses poumons, agresser ses lèvres.
*Ouvre, ouvre, ouvre !
Non ! Non ! Résiste, résiste, résiste !*
Un débat se jouait dans sa tête entre l’impulsion instinctive d’aspirer, et le refus de le faire, par peur d’être noyée. Elle sentait vaguement la présence de Lyli, et ouvrit les doigts, se sentant glissée et emportée. Des points noirs obscurcissaient sa vue, alors qu’elle sentait quelque chose tambouriner dans son cou. Elle ouvrit les doigts, et, si Lyli n’avait pas été là pour la retenir, Alice se serait sûrement noyée. Cette dernière remonta, et Alice sentit la lumière revenir, toujours de manière diffuse… Et puis, il y eut un bruit impérial, et elle traversa la couche de l’eau, sentant le vent siffler dans ses oreilles. Ses oreilles étaient légèrement bouchées, mais elle put enfin ouvrir la bouche, et le sifflement de l’air produisit ce bruit si caractéristique d’une personne cherchant à reprendre son souffle. Elle aspira goulûment l’air, se cramponnant contre le corps de Lyli, au milieu de l’océan, à mille lieues selon elle de la côte.
« Désolée j'ai oublié de prendre en compte notre différence d'expérience, je t'avais presque oublié, une chance que je me sois rappeler de toi à temps. »
*Haha ! Elle devrait songer à une carrière d’humoriste, celle-là ! Quelle salope !* songea une voix dans la tête d’Alice.
Trop épuisée pour lui répondre, elle se contenta de se blottir contre la femme, aspirant l’air, fermant les yeux, les rouvrant. Elle se passa une main sur le visage, ouvrit les yeux à nouveau et les referma quand une vaguelette s’écrasa sur sa tête. Reprenant peu à peu ses esprits, elle sentait son corps bouger presque tout seul, et prit vaguement conscience qu’elle avait perdu son médaillon.
« On va s'installer un petit moment sur cette barque le temps que tu ne reprenne un peu tes esprits, lâcha alors Lyli.
- Bo… Bonne idée… » répliqua Alice, qui ne savait toutefois pas où était cette barque.
Lyli nagea un peu plus lentement, Alice se cramponnant à elle, à ce corps qui restait relativement chaud… Curieux… Alice était frigorifiée, mais Lyli semblait ne rien ressentir, et la vitesse à laquelle elle nageait… Elle était remontée en quelques secondes à la surface, nageant bien plus rapidement qu’une humaine, du point de vue de la Princesse. Avait-elle affaire à une nageuse olympique ? Une athlète ? Elle n’en avait pourtant pas vraiment la carrure, avec son corps fin et délicat. La femme arriva près d’une espèce de sinistre barque désuète. Alice monta dessus en se laissant faire, et s’écrasa au milieu de ce petit bâtiment en bois. Un rafiot pourri qui flottait à la surface de l’eau. Sur le sol, elle sentit une espèce de gravure, quelque chose qui avait été tracé au couteau. Un cœur avec deux initiales. Elle comprit que cette barque avait du être faite, ou volée par des adolescents. Elle imaginait sans peine un couple allant sur une barque, et la perdant par mégarde dans des ébats nocturnes endiablés sous l’œil scrutateur des étoiles.
« Dé… Désolée, parvint-elle à lâcher en se relevant. Je crois que je n’ai pas définitivement le… Hey ! »
Venant d’apercevoir son médaillon, elle sentit une bouffée de soulagement la transporter. Rien qu’à l’idée de l’avoir perdu, elle en avait des nœuds à la tête. Lyli lui offrait un sourire ravissant et charmant, l’un de ces sourires qui sonnaient faux.
« Dis moi princesse, est-ce que tu tiens à cette chose ? demanda alors Lyli.
- Oui, c’est mon médaillon ! Merci de l’avoir récupéré, mon Père m’aurait… commença-t-ellee, avant que Lyli n’amorce le geste de le jeter à l’eau. Hey ! Non ! » protesta Alice.
Elle bondit vers Lyli, mais cette dernière avait jeté son collier. Elle le vit atterrir à la surface de l’eau, avant qu’une vague ne l’engloutisse, et elle tendit inutilement la main. Sentant ses mains trembler nerveusement, la Princesse se retourna vers Lyli, furieuse.
« Mais qu’est-ce qui… ?! commença-t-elle.
- Saute, va le récupérer avant qu'il ne tombe trop profondément, ordonna Lyli.
- Hein ?!
- Tu n'as pas le choix n'est-ce pas ? Puisque j'imagine que ce bijoux doit avoir une certaines importance pour toi ou ton statu de princesse, que penserait le royaume si tu le perdait ? »
Ça, elle le savait très bien… Son Père se fâcherait, et Alice prit soudain conscience, avec un certain détachement, que Lyli n’était pas une simple humaine. Pendant ce temps, le collier continuait à tomber, transportant avec lui la gemme du dragon, et Alice se mordilla les lèvres, en serrant les poings, sentant une larme de frustration couler sur une joue de ses joues, qu’elle sécha rapidement.
« Alors... tu ne compte pas allez le récupérer dans l'eau ? » lâcha Lyli.
Alice la regarda, furieuse. Elle ne tenait pas non plus à mourir ! Lyli jubilait alors, arrivant à une conclusion qui fit bouillir de rage la Princesse.
« Je ne pensais pas que tu serais une princesse aussi pitoyable que ça ma belle »
Des frissons la traversèrent, des spasmes, comme une envie furieuse d’étrangler cette femme.
« Tu ne viens pas du village, hein ? Tu dois être une sirène… lâcha alors Alice, avant de se mettre à sourire, sentant un calme assez étrange envahir son corps, alors qu’elle était dans une situation qui se prêtait plus à la panique. Ce collier a une grande importance pour moi, en effet, mais ce n’est pas qu’un simple collier. Je suis la fille unique de Tywill Korvander, et, en vertu de nos lois, il ne peut avoir un autre enfant. Ce collier est un objet dont je ne dois jamais me débarrasser, et ce sous aucun prétexte. Et tu veux que je te dise pourquoi ? »
Cessant de regarder l’eau, Alice fixait la sirène. Elle semblait conforme à l’image qui se dégageait des sirènes dans les contes : des beautés fatales, des manipulatrices, mais Alice n’allait pas se noyer pour le bon plaisir de cette dernière. Retourner dans l’eau ne la tentait guère.
« Cette gemme au bout de mon collier… Elle contient une larme de dragon, mais aussi une goutte de mon sang. Les deux sont reliés par l’alchimie et la magie. C’est une gemme qui sert à m’identifier, à envoyer un signal quand je suis en danger. Il y a plusieurs moyens de déclencher ce signal : soit en versant mon sang dessus, soit quand je commence à périr, ou soit quand la distance entre moi et la gemme commence à devenir trop lointaine. »
Parler permettait d’évacuer la rage. Alice retrouvait son calme, son sang-froid.
« Il est vrai que je ne sais pas nager, et qu’Hodor ne le sait pas non plus, mais Hodor n’est pas mon seul garde du corps. Quand ce collier sera trop éloigné de moi, il émettra un signal que mon père recevra, signe que je suis en danger, et il se lancera à mon secours. Le sang du Dragon d’Or coule dans mes veines. Partout sur Terra, les dragons dorés sont capables de me retrouver. Si tu trouves qu’Hodor est terrifiant, je me demande ce que tu diras quand les navires de Sylvandell débarqueront. Je ne sais pas ce que tu me veux, Lyli, ou quel que soit ton nom, mais sache qu’on ne kidnappe pas impunément la Princesse de Sylvandell. Maintenant, poursuivit-elle après une brève pause, si tu ne veux pas voir le dragon doré sur lequel je suis arrivée débarquer dans quelques secondes, je te conseille de récupérer ce médaillon, et d’arrêter tes petits airs supérieurs. »
Naturellement, Alice bluffait. Il n’y avait pas de dragon dans le village, et, s’il n’était pas impossible que le signal de la gemme parvienne jusqu’au dragon d’Or, les dragons dorés ne pouvaient tout de même pas venir de Sylvandell en quelques secondes. Cependant, Lyli l’ignorait. Et Alice n’était pas du genre à se laisser faire. Si elle parlait d’un ton assuré, elle était toutefois terrorisée, mais elle savait qu’il ne fallait pas que Lyli le voit. Autrement, cette dernière pourrait faire d’Alice ce dont elle voulait.
Bizarrement, outre la terreur, très largement dominante, Alice ressentait aussi, dans les tréfonds de son inconscient, une espèce de pointe d’excitation.