-Véronique, tu restes ici. Je reviendrai te chercher plus tard, d’accord? Sois sage.
C’est tout ce qu’avait dit la noble en laissant la petite sur la place du marché. Depuis, elle est restée parfaitement immobile. Elle est restée toute seule pendant deux jours, à attendre, avant de comprendre que sa maîtresse ne reviendrait pas. Elle n’a pas pleuré. D’ailleurs, elle n’avait pas bougé, ce qui était probablement la raison pour laquelle les esclavagistes qui sont passés par là n’ont eu absolument aucun mal à l’embarquer avec eux. Ils ont essayé de la violer, mais son air totalement absent les empêchant d’avoir une érection, ils ont abandonné cette idée et se sont contentés de l’enfermer dans une grande cage. Encore une fois, elle est restée bien sage. Bien entendu, on lui a demandé son nom, mais elle n’a pas répondu. Après d’innombrables tentatives pour lui arracher des mots, c’est une des terranides enfermées avec elle qui s’approcha enfin et qui lui donna un petit crayon de couleur. Elle écrivit alors son nom, à la grande stupéfaction de ses geôliers qui la croyaient tout simplement sans éducation et complètement débile. Débile, peut-être, mais elle a quand même fréquenté le lycée de Seikusu en récoltant les meilleures notes de sa classe. Si son souci était son jugement et sa capacité de raisonner, elle conservait encore son habileté très sélective de conserver de l’information. En fait, tout ce qu’elle lisait n’était jamais perdu à sa mémoire. Mais c’était infiniment rare si elle accordait de l’importance à ce qu’elle apprenait. Les gardes hochèrent en même temps de la tête puis ils la laissèrent tranquille.
Or, depuis quelques heures, il y avait cette poupée qui n’arrêtait pas de gueuler comme une dingue et qui agressait de sa voix stridente les oreilles sensibles de l’Inu. Loin de porter la moindre attention, la gamine la snobait superbement, si bien qu’elle suscitait une nouvelle fascination chez ses compagnes d’infortunes, qui se retenaient à grande peine de découper cette sale petite poupée en pièce pour la faire taire, mais comme une poupée n’est scientifiquement pas vivante, et que celle-ci devait être possédée, elles se doutaient que la mettre en morceau ne règlerait rien du tout. En fait, elles avaient peur de la poupée. Pas Véro. En fait, elle n’avait jamais la trouille de ce qu’elle ne comprenait pas. On ne peut avoir peur de quelque chose dont on ne perçoit pas l’existence sur le plan mental. Puis, elle fut saisie par le col de son pull et soulevée comme on le ferait en tenant un chat par la peau du coup. Repliant ses membres et les yeux ouverts, curieux, elle chercha à savoir qui la tenait ainsi, mais elle eut beau gigoter autant qu’elle le voulait, elle ne put se retourner, et elle fut balancée avec rudesse dans sa nouvelle demeure, une cage toute neuve et toute propre. Elle tomba durement sur le sol dans un grand « clang » metallique. Elle songea étrangement à Loki, alors qu’elle heurtait le sol froid de la cage. Il s’était emporté contre elle lorsqu’elle avait passé un collier et une laisse à son cou et voilà qu’aujourd’hui, elle se laissait elle-même enlever par des hommes qui allaient probablement lui faire passer de très sale quart d’heures. Elle regarda l’extérieur de la cage et colla son front aux barreaux. Elle crut voir Marine passer devant la cage, mais elle secoua la tête et la reposa à nouveau contre les barres de métal. Marine ne voulait pas d’elle. Et Marine l’a vendue. Bref, elle n’avait pas besoin d’elle dans ses pattes. Mais bon, elle n’eut pas le temps de s’apitoyer sur elle-même car la poupée faisait à nouveau des siennes.
"... Non mais c'est QUOI CE DÉLIRE ? VOUS ALLEZ OU COMME ÇA AU JUSTE ?! REVENEZ TOUT DE SUITE ! REVENEZ ! REVENEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEZ !"
Véronique regarda la poupée puis elle la prit dans ses bras. Comme elle parlait, elle la tourna dans tous les sens, malgré ses probables cris de protestation, pour trouver le bouton qui pourrait bien la faire taire. Ne trouvant rien, elle la plaça la tête en bas puis elle la secoua violemment pour qu’elle arrête de faire des sons avec sa petite bouche. Franchement, autant écouter Jason chanter sous la douche que supporter les cris de cette petite peste. Finalement, elle retira sa petite culotte et l’enfourna dans la bouche du jouet. Voilà qui devrait faire l’affaire! Non mais franchement. Elle frotta alors sa bouche étrangement humide sur son pull tout blanc et découvrit que le choc lui avait fendu la lèvre. Bah, ce n'est pas grave. Elle a déjà eu pire. Être abandonnée aux mains des esclaves dépravés de Mélisende, c'était presque du luxe de s'en tirer avec une si petite plaie.
-Nuh, déclara-t-elle simplement avec une petite once de fierté, comme si elle voulait dire "Voilà, c'est fait."
Véronique fit plusieurs fois le tour de la cage, à la recherche qu’un coin tranquille où elle pourrait dormir, mais comme elle s’y attendait, elle n’en trouva pas. Une cage, c’est une cage. C’est un prisme constitué d’épais barreaux très très rapprochés qui n’avait pas été conçu pour le confort des prisonniers. La petite Véronique eut beau se coller contre les barreaux pour simuler un canapé, ou alors se rouler en boule sous son pull, elle n’arrivait pas à être suffisamment confortable pour dormir. Alors, elle reprit la poupée qu’elle venait de contraindre au silence et se servit d’elle de la bonne manière; en tant que poupée pour l’aider à dormir, rien de plus.