- Ces plaines suitent d'horreur et de dégoût,
Ami, que devenons-nous ?
La désolation toute entiére me prend
Quand je constate avec mécontentement
Que certains cadeaux sont gâchés,
Et qu'on ne leur présente plus aucun intêrét.
L'être humain est bien insondable,
Ou juste littéralement irresponsable ?
Mes chers poètes, réveillez la civilisation.
Usez de vos charmes, de votre indignation !
Diable, si vous saviez d'où je viens,
Vous ne vous comporteriez pas en tel vaurien.
La voix et le ton durs, la maitrise profonde et le souffle court, les yeux au regard froissé et dénués de tout intérêt pour une quelconque personne, la muse des Enfers vagabondait dans landes. Ici, au moins, aucune présence humaine, personne pour venir détruire un paysage paisible et plaisant. Le seul son était le vent, ou son souffle saccadé par cette colère singuliére qui l'animait.
Elle n'aimait pas l'humanité.
Cette idée était née, en elle. L'humanitè était absurde, et avec elle tout un ensemble de choses qu'elle ne comprenait pas ... Elle souffla, durement, les yeux plissés et colériques, sans une once de tendresse entre les paupières.
- Voilà que vous gâchez tout.
On vous offre le meilleur,
Et vous l'abattez avec ardeur.
Mauvais goût, vous avez mauvais goût ...
A gâcher ainsi des présents inestimables,
C'est de bêtise que vous êtes coupables.
Elle en venait à regretter, même, son statut. La Muse qui avait inspiré Dante était déçue, épuisée ... Tout lui semblait si vain, et son autorité était même contestée. Ah, elle détestait l'être humain, à un point conséquent ! Et cette pensée la ruinait. Elle s'installa sur un rocher, en haut d'une falaise qui surplombait une plaine rougeatre. La nuit allait venir, et avec elle des souvenirs. Et voilà qu'elle discutailler avec des rochers, des cailloux, des arbres morts, spectateurs silencieux d'une tragédienne déçue. Une déception tranchante, d'ailleurs ... Muse ne s'en remettrait sans doute aucunement. Aucune parole sortant d'une bouche humaine ne lui semblait louable et sage.
Elle mit son visage dans ses mains. Aujourd'hui encore, elle portait une longue toge noire, qui lui donnait un aspect fantômatique. Par dessus, un immense manteau en fourrure noire, qui découvrait ses bras fins, qui laissait une traîne derrière elle. Ses cheveux étaient maintenus par quelques sortiléges, et son maquillage marquait son visage de manière inquiétante. Et ses yeux, si froids, frappaient le monde d'un sort tragique : L'humanitè mourrait de bêtise, de renfermement. L'humanité souffrirait longtemps, et se rendrait compte trop tard qu'elle n'était, aprés tout, qu'une espèce naturelle parmi tant d'autres. Elle ne se donnait même plus les moyens d'avancer, préférant ramper plutôt que se relever.
- Illusion, déception, lacération, soupira t'elle du bout des lèvres.
Elle releva les yeux vers le soleil. Lui aussi semblait abandonner la partie, dissimulé derrière les rochers, au loin. Elle se sentait seule, aujourd'hui. Elle n'aurait souhaitée que retourner aux Enfers, et laisser là ce peuple ignorant et méprisant.