L’attendu est ce qui nous maintient stable, c’est l’inattendu qui change nos vies pour toujours. Lee avait entendu cette phrase dans un de ses cours de philosophie. Tout ce qui lui était arrivé d’inattendu était intimement lié les uns aux autres. Que ce soit sa rencontre avec Haruka, puis sa perte. Sa rencontre avec Abaddon, sa défaite elle n’avait rien d’inattendu pour être honnête. Puis tout devint très monotone, le moine se contentait de vagabonder, de rencontrer des gens, puis de recommencer, encore et encore. En vérité bien qu’il ne sache pas de quoi était fait demain, sa vie était bien stable, ne subissant que peu de vague, et il ne s’attendait pas à ce que cela change. Il avait de nombreuses fois tenté de rencontrer à nouveau celui qui avait fait de sa vie un enfer, sans succès évidement, et aujourd’hui ne ferait pas exception.
Alors que le moine tourna les talons, un frisson parcourus tout son corps. Chaque partie du corps de Lee, chaque cellule, la moindre chose qui le composait se mit en alerte. Vous connaissez cette sensation, presque bestial quand votre inconscient sait qu’il se passe quelque chose et que cela décuple le moindre ressentit, le moindre de vos sens. Il se figea presque instantanément, cette sensation …. Il l’avait déjà ressenti. Le temps se stoppa, absolument tout se mit en suspend au moment ou un long grincement retenti dans la bâtisse. Lee c’était préparé à bien des choses depuis le temps, à des rencontres, à des crises, à de la joie, de la tristesse, de la colère. A la mort. Cela lui permettait de savoir réagir en toute situation. Mais rien, absolument rien ne l’avait préparé à ça.
L’aveugle avait rencontré des centaines et des centaines de personnes, et en l’absence de vision, vos souvenirs prennent d’autres formes. Il se souvenait parfaitement de certaines odeurs, de certains sons, il pourrait reconnaitre n’importe qui même déguisé, parce qu’il y a des choses qui ne trompent pas, et il avait pleine confiance en ses sens. Ils ne pouvaient pas le tromper, il avait plus confiance en ses sens qu’en ses pouvoirs, qu’en sa propre raison. Alors pourquoi…
« Pourquoi es-tu là ? » Murmura-t-il.
Il ne pouvait pas se tromper, cette odeur… C’était la sienne. Un parfum si réconfortant et pourtant si terrorisant à la fois. Un flot de sentiments incontrôlable parcouru le cœur de l’homme, toujours figé. Joie et peine s’entredéchiraient, luttant pour survivre chacun de leur côté, recouvert par le voile de la colère et de l’incompréhension. En fait les mots ne pouvaient même pas décrire ce qui se passait en lui à ce moment-là. Le silence de cette église devenait assourdissant, comme un brouhaha invisible, rythmé par ses propres battements de cœurs qui frappait dans sa poitrine comme un tambour de guerre. A la même cadence que le cœur de celle qui lui faisait fasse, comme si après tout ce temps, ils savaient encore danser ensemble sans dissoner. Elle fit un pas vers lui, presque exactement en même temps et presque instinctivement, il fit un pas en arrière.
« Lee ? »
Un simple mot. Une simple consonne. Ce simple murmure confirma que c’était elle, amplifiant l’horreur qu’il était en train de vivre. Ce qui devait sonner comme une douce mélodie parvenait à lui comme un cri strident, un bruit terrifiant qui ne cessait de se démultiplier dans les échos de l’église. Mais rien de toute cette situation ne le fit plus souffrir que lorsque la vérité le frappa sans prévenir. Lorsqu’elle fit un second pas et qu’elle leva son regard sur lui, son pouvoir d’ESPer se déclencha. Une succession d’images traversa son esprit, lui donnant immédiatement une migraine. Encore. Encore. C’est encore un de ses putains d’ange qui venait pour le tourmenter. Il avait pris tout d’elle, sa forme, son odeur, sa voix, il l’utilisait. Comment avait-il pu croire ne serait-ce qu’un instant que c’était vraiment elle, comment avait-il pu imaginer qu’elle pouvait se tenir devant lui ? Comment.. Tout ce qui avait été un bouilli de sentiments se transforma en un bloc de tristesse et de colère noir. Il avait accepté beaucoup de choses, mais cet affront, il ne le pardonnerait jamais. Quitte à y laisse la vie, il ne laisserait pas cet acte impuni. Ses muscles commencèrent à se tendre, comme pour entamer un combat. Personne ne souillerait la mémoire de…
« Lee s’il te plaît attend. »
Chose rare, son deuxième pouvoir d’ESPer se déclencha à ces quelques paroles, celui lui permettant de connaître les intentions de son interlocuteur. Il fut alors frapper par une violente vague de tristesse, de confusion. Ce n’était toujours pas elle, du moins pas totalement. C’était comme si quelqu’un avait hérité d’Haruka, de tout ce qui la caractérisé, de tous ces souvenirs, et qu’on l’avait posé ici. C’est tout. Il sentit alors comme un doux voile de bienveillance, d’angoisse. D’amour. Perdu dans ses pensées, la main de … La femme le ramena à la réalité, elle était là, en face de lui. Il pouvait sentir son souffle sur sa peau, son odeur plus forte que jamais, la chaleur de sa main sur son bras. Lee avait besoin d’un peu de temps pour réagir, il avait été traverser par bien trop de sentiments opposés pour pouvoir laissé échapper non seulement un quelconque mot, mais rien qu’une émotion. Il ne savait plus s’il devait être heureux ou en colère, si il devait se battre ou discuter. Et c’est finalement elle qui brisa encore une fois le silence, lui demandant de prendre le temps. Situation qui pouvait sembler inversé mais le mage lui accorda son souhait mais ne répondit rien pour l’instant.
Il attrapa la main qui tenait son avant-bras, il passa ses doigts dedans, caressant très délicatement la paume, les doigts, le dos. Elle tremblait, comme prise d’un doute, qui ne serait pas inquiétait à sa place, elle avait toutes les raisons de craindre Lee, elle était un imposteur jouant avec les sentiments du moine. Et pourtant le moindre de ses gestes était réconfortant, ne montrant aucune violence envers elle. Maintenant qu’elle était à quelques centimètres de lui, même s’il avait voulu, il n’aurait jamais pu la blesser. Sa main effleura la peau de l’ange tout le long de son bras et vint se poser doucement sur ses cheveux. Il les caressa doucement et entremêla ses doigts dedans. Il était comme en train de la redécouvrir, et juste dans les moins détails c’était elle. Toujours le visage impassible, sa main glissa jusqu’à son visage, la touchant du bout des doigts, chaque parcelle de peau était passé au peigne fin. Ses joues, ses cils, son nez, ses lèvres. Il descendit et vint mettre ses doigts autour du coup de la femme. Comment un ange pouvait paraître si faible, il pouvait, s’il le voulait, mettre fin à tout ça d’une seconde à l’autre, d’une simple contraction de ses doigts. Il la lâcha et recula d’un pas, remettant un peu de distance entre eux. Doucement, il retira son bandeau, venant délicatement tomber sur le sol, laissant apparaître des yeux hazel, dont le vert était proche de celui de l’émeraude. Il la regarda dans les yeux, quelques secondes qui lui semblèrent une éternité.
« Tu me l’avais demandé, je savais que je n’aurais pas dû te les montrer mais je l’ai fait. Je n’ai même pas eu le temps de voir une étincelle de vie dans tes yeux. »
Une larme coula sur sa joue, ce souvenir le rongeait chaque jour, chaque fois qu’il pensait à elle. La culpabilité avait été sa plus fidèle compagne, ne l’ayant jamais quitté depuis ce jour-là. Elle était magnifique, il n’était pas tombé amoureux pour son physique évidemment, mais pouvoir la voire… vivante. Il ne bougea pas d’un iota, comme s’il y avait un obstacle entre elle et lui, quelque chose d’infranchissable. Autour d’eux, les éléments semblaient se déchainer, comme si cette rencontre n’aurait jamais dû avoir lieu. Et pourtant Lee semblait si calme, créant presque une petite bulle de tranquillité au milieu de cet orage.
« Il y a des années, je t’ai perdu. Non. Je t’ai enlevé à ce monde. Si tu savais le nombre de fois où j’ai voulu échanger nos places, où j’ai voulu te rejoindre… Ailleurs. Mais tu m’en aurais voulu si j’avais fait ça. »
Le moine recula encore d’un pas, brisant cette bulle de tranquillité. Son visage laissa enfin apparaître du doute, ses yeux de la tristesse et du regret mais ne cessant de la regarder. Les bras ballant le long de son corps, le pouce de sa main droite taper tour à tour, chacun de ses autres doigts, signe évident de stresse. La voix de l’homme semblait aussi de plus en plus angoisser, se mélangeant étrangement bien avec le bruit du vent s’infiltrant là où il peut.
« Entre temps beaucoup de choses se sont produites, on m’a raconté certaines choses qui ont changé ma perception du monde, et même de notre relation. Ses choses me hantent aujourd’hui, parce que je sais qu’elles sont vraies. Depuis tout ce temps, j’ai vieilli, et tu n’as pas pris une ride, tu es exactement la même. »
L’hésitation laissa place à la colère, qui marqua plus son visage, son point se serra, ses muscles se contractèrent, lui donnant une posture plus défensive. Tous ses changements d’humeur n’étaient que le reflet du tourment qu’il vivait, tantôt un vers, tantôt un cauchemar. Ne discernant même plus bien si ce qu’il vivait été réelle où le fruit d’un délire. Quelques larmes continuèrent de couler sur le visage crispé de Lee. Son ton de voix devint plus dure, accusateur.
« La dernière fois que je t’ai regardé, tu es morte dans mes bras. Aujourd’hui peu importe combien de temps je te regarde, tu restes là. Qui. Es. Tu ? »
L’attendu est ce qui nous maintient stable, c’est l’inattendu qui change nos vies pour toujours. Lee, à l’image de cet orage, grondait en son intérieur, ne témoignant d’aucune stabilité et c’est que qu’on pouvait attendre d’une telle situation. C’était une rencontre dont chaque minute ne pouvait être prédite, dont l’issue était inattendu, qui pouvait changer deux vies, pour toujours.