Les terres sauvages sont une contrée de mystère et de diablerie. Un territoire hostile aux hommes, à la civilisation, ce qui fait que bon nombre de ceux qui ont besoin de se faire oublier y cherche souvent le refuge, la protection naturelle. Des villages se créent de toutes pièces par la main de ces rébus de la société, puis les âges font leurs restes, amenant lentement les vieilles histoires à se tasser, tant et si bien que les plus récents membres de ces petits hameaux n'ont plus rien à voir avec les horribles pratiques de leurs ancêtres.
Et dans les faits, Darthestar faisait partie de ces gens là, des gens nés dans de petites cahutes sans la moindre prétention, suffisante par leur toit simple et leurs murs en chaume. Il était de ceux qui ne connaissaient rien des contrées qui les entouraient, qui estimaient simplement qu'ils étaient arrivés ici pour y mourir, quand les hivers auront suffisamment rongés leurs os. Malgré tout, que ce soit son humilité ou son relativisme, le destin en voulut autrement : Frappé par un coup du sort, il avait dû quitter les grandes forêts du Sud de ces terres pour se mettre en marche. Il s'était alors crû d'un devoir divin, comme béni... Il ne comprit que bien plus tard que quelque chose lui pourrissait les veines et l'esprit, le transformant lentement en un être qui n'avait sûrement rien eut à envier aux premiers colons de ces terres sans maîtres... ni milice. Alors, malgré tout, quant il se trouvait là, comme aujourd'hui, devant les plaines escarpées du cratère d'Ourt'h, il était souvent divisé entre la nostalgie, la honte, ainsi que le dégoût :
Il y était à sa place.
Traversant donc les champs herbeux le séparant de son objectif final, il se remémorait les raisons de sa venue. Le cratère d'Ourt'h était un lieu généralement peu visité. Les créatures s'y faisaient souvent nombreuses, mauvaises aussi, tant et si bien que les non-initiés restaient souvent bien loin de ce genre de domaine, craignait d'y laisser plus que des plumes. Pour les forbans et les mages de peu de scrupules, cet espace de plus de vingt kilomètres de diamètre avait un second visage : Quand les pluies cessaient de baigner les forêts au Sud, une très grande majorité des bêtes belliqueuses s'éloignaient pour aller vivre une saison des amours bien douce dans un climat plus tempéré. Cela permettait alors, pendant trois semaines, au marché des Arts de s'installer. Pour un voyageur, ancien manipulateur et chercheur des forces magiques, ainsi que criminel réputé dans plusieurs états, Darthestar connaissait ce fameux marché dans les moindres détails, depuis de nombreuses années. En cette soirée pourtant, il s'en approchait d'un pas preste, car il n'avait pas l'intention de s'y éterniser.
La nuit fut sur place avant lui. Cela ne gênait pas le vampiroïde, l'homme n'avait pas la moindre difficulté à voir dans la pénombre, sans parler même d'avoir la nécessité qu'on le reconnaisse. Sous le couvert sombre de son manteau, son habituel chapeau noir vissé sur le crâne, il n'y avait bien que ses cheveux d'argent qui restaient reconnaissables, ainsi que sa perturbante carrure. Il ne doutait pas que les créatures qu'il rencontrerait au marché des Arts essaieront de lire en son âme plutôt que sur ses traits, aussi avait-il depuis bien longtemps masqué sa nature par le biais d'enchantements divers. Un simple avertissement en soi : ne cherchez pas à me connaître, voyez moi simplement comme un client. Un comportement que bon nombre de personnes suffisamment talentueuse dans les voies aetheryques avaient depuis longtemps adopté, notamment pour s'assurer que ni fey ni daemon ne soient attirés par des choses de valeurs bien plus importantes que l'or. Dans le cas de la monstruosité qu'il était, cela se résumait aussi à ne pas faire trembler d'effroi ses interlocuteurs. Difficile de marchander avec un Croc-d'Ambre qui manque s'uriner dessus.
L'homme mit donc un premier pied au milieu des caravanes marchandes alors que l'obscurité nocturne avait envahit l'air. Seule de tristes et sordides lanternes permettaient encore de véhiculer entre les formes blafardes qui se déplaçaient le long des étals, la luminosité grisâtre ou orangées de ces premières n'ayant pour seul avantage que d'envelopper les environs de cette ambiance sinistre qui convenait parfaitement à ce genre de milieu. Sorciers, nécromants, esprits et brigands se déplaçaient sans se regarder, la capuche tirée en avant pour couvrir leurs visages. Au moins les méthodes du vampiroïde ne tranchaient guère avec celles des autres occupants de cette ville nomade. Quelques êtres malins cherchaient déjà à faire les poches des moins prudents. L'un d'eux tenta de s'approcher des affaires de Darthestar, et fut cueillie en plein vol d'une main preste. Les voleurs avaient souvent la vie dure une fois qu'ils étaient attrapés. Dans le cas présent, l'homme aux cheveux d'argent redressa sa prise à autour de visage, découvrant la forme grimaçante d'un Noxfume, une espèce de fey alliée à la tromperie et aux mensonges. Piètre rencontre !
"
Relâche-moi la brute ! -
À tes ordres. "
Il fit passer un message aux autres malins qui seraient tentés de lui trainer autour : le pauvre Noxfume fut vidé de la majorité de son énergie, le vampiroïde lançant sans incantations un toucher vampirique qui draina le voleur en un instant. Mais il le relâcha avant que la mort ne l'emporte, laissant le petit être desséché s'écraser au sol, incapable de mouvoir ses petites ailes trouées. Maintenant, l'homme sera tranquille, nul ne le suivra. Alors il s'écarta des carioles les plus honnêtes et s'enfonça entre certaines, s'éloignant du coeur de ce commerce de l'occulte pour s'enfoncer dans sa périphérie, là où l'odeur des vents nécromantiques devenaient lourds, macabres. L'homme avait un seul objectif, comptait donc disparaître immédiatement après celui-ci accompli : Trouver un flacon de grenat. C'était un objet bien moins élégant que son nom : le grenat était un distillat magique précieux, un "mauvais ichor" comme certains l'appelait. En boire une goutte permettait généralement d'éviter les cas d'épuisement magique les plus conséquents. Dans le cas de Darthestar, cela lui permettait de vivre sans avoir à mordre à nouveau qui que ce soit pour se sustenter. Une goutte de magie noire contre le sang d'innocents, il avait fait son choix.
*
* *
La calèche de Dame Jurpim était toujours aussi curieuse. Les guirlandes de verre coloré pouvaient paraître un signe de douceur, mais la sorcière y avait cachée bien des choses, certaines de ces surfaces scintillantes abritant esprits farceurs et démons, lui octroyant en un claquement de doigt une garde des plus meurtrière. Une garde que le vampiroïde avait déjà dû rencontrer, à l'époque où ses pouvoirs grandissant avaient alarmés certains de ses membres, les invoquant immédiatement pour faire barrage. Désormais, ces bêtes et ces horreurs ne quittaient plus leurs habitacles quand le voyageur s'approchait : la survie de leurs psychés et de leurs âmes valait plus qu'un peu de zèle. Quand à l'occupante des lieux, elle ne cherchait pas à créer la confrontation : Darthestar était devenu un client régulier, elle acceptait sa présence, même si son existence l'horripilait.
L'homme s'avança sur le perron de bois, faisant craquer les marches, puis il tendit la main et appuya sur la porte, ouvrant le sceau qui maintenait les panneaux chancelants solidement fermés. Biens des mages et non-connaisseurs de l'Aethyr considèreraient cette porte comme infranchissable... Il s'agissait simplement de la seule épreuve de la sorcière qui habitait ces lieux pour juger de la valeur des clients qui souhaitaient s'entretenir avec elle. Le vampiroïde n'avait eut de mal qu'à sa première visite, désormais, il s'agissait d'une serrure comme les autres. Passant la porte, il s'avança dans l'obscurité complète des lieux. Ni bougie, ni lumière extérieure. Le vide, une protection qui avait fait ses preuves : Quand on marche au coeur de la magie, difficile de repérer ce qui s'y terre. Pourtant, le flamboiement délicat d'une pipe à herbes lui révèle rapidement la position de son hôte, les braises éclairant le visage imprécis, malléable, éternellement changeant de Dame Jurpim. Aussi belle que laide, aussi jeune que vieille, sainte vierge et véreuse traînée.
"
Daaaaarth. Bonsoir à toi fétide engeance. Le voyage ne fut pas trop rude ? -
Dame Jurpim. J'imagine que votre talent pour la mise en scène n'a d'égale que votre éternelle santé. Quel fut le sacrifice pour vos cent prochaines années d'existence ? -
Le sang de ceux que tu as égorgé pendant tes dix premières années d'existence, chien. "
Pour une fois, ils passèrent ces salutations des plus aimables fort rapidement. Ils se connaissaient suffisamment pour savoir que l'un la voyait comme une immondice sans la moindre once d'états d'âme, l'une comme un hypocrite écoeurant aux manières aussi belles que son âme était noire. Les politesses n'avaient guère besoin d'êtres plus longues :
"
Tu viens toujours pour la même chose ? -
Oui. -
Alors le prix reste le même. Attends moi ici. "
La sorcière et sa pipe disparurent tout aussi rapidement dans les profondeurs noirâtres qui les englobaient. Darthestar était habitué à ce petit numéro, aussi resta-t'il à la même place, patientant tranquillement le retour de cet être nauséabond qui lui permettait de se fournir. Il en avait conscience depuis sa cinquième visite, mais l'éternellement changeante avait depuis longtemps apprit à user de ses pouvoirs pour traverser les dimensions et les différentes poches de réalités qui l'entourait. Cela demandait toujours du temps et de la précision, aussi le vampiroïde n'y trouvait pas la moindre forme d'insulte. Il se contentait de rester à sa place. Calme, détendu, il doutait être dérangé.
Oui, il n'avait qu'à attendre, puis à disparaître immédiatement une fois son flacon obtenu.