Depuis le temps qu’elle s’adonnait à cette nouvelle passion, Emi avait investi dans du matériel semi-professionnel pour mieux satisfaire ses abonnées. De même, ses clichés naissaient uniquement de ses propres efforts – cadrage, réglages, déclenchement… Tout reposait sur son savoir-faire. De temps en temps, toutefois, la jeune femme employait les services d’un véritable photographe. Après tout, aussi indépendante qu’elle soit, Emi n’en demeurait pas moins consciente de ses propres limites. L’absence d’un studio photo, une technique qui lui faisait défaut, un éclairage trop capricieux, un angle impossible à réaliser seule… ou simplement ce regard extérieur capable d’apporter une vision différente.
Elle ne pouvait pas tout faire, tout le temps.
Néanmoins, elle ne s’y risquait qu’à de rares occasions, autant pour préserver son identité et son intimité, que pour garder la maîtrise de son univers. Déléguer, c’était accepter de perdre une part de contrôle, de confier ses idées, ses angles et ses émotions à un autre regard. Une concession qu’Emi n’accordait qu’avec parcimonie, convaincue que personne ne saurait mieux qu’elle traduire ce qu’elle voulait raconter à travers ses images.
Cette fois-ci, impossible de s’en passer. Elle avait alors décidé de contacter un professionnel, quelqu’un qu’une connaissance dans le milieu des modèles OnlyFans lui avait conseillé. Une personne discrète, compétente, qui saurait se montrer à la fois efficace et respectueuse. Les curieux trop envahissants ou les arrogants baratineurs, elle avait donné, et surtout, n’avait plus la patience de les supporter. La preuve, dès qu’elle recevait des propositions de ces types-là, elle n’hésitait pas à les envoyer paître. Et à leur balancer leurs quatre vérités à la figure. La réputation de certains n’était plus à faire.
Le fait que le photographe qu’elle avait sélectionné ait une assistante avait également joué en sa faveur.
Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait dû repousser des avances insistantes et déplacées, garder son calme face à des comportements lourds ou insolents, et faire comprendre, sans détours, que ses limites n’étaient pas négociables. Un comble, tout de même.
Mais pour l’heure, rien de tout ça. Les messages échangés s’étaient montrés cordiaux, et lorsqu’il avait appris pour sa profession, le photographe – Hiroto Sugiyama, si elle se souvenait bien – avait simplement validé le contrat, sans commentaire aucun, se contentant de confirmer qu’il traiterait chaque séance avec la plus grande discrétion. Par-fait. Emi ne pouvait espérer mieux, en particulier après ses dernières expériences désastreuses. On pouvait dire que ce fameux Hiroto était son dernier recours, l’homme de la dernière chance, en quelque sorte. Et elle ne doutait pas qu’il saurait s’adapter à ses désirs.
Ah, dirait-elle une telle chose, si elle savait ?
Qui sait.
Emi sortait du métro, prête pour sa séance photo, lorsqu’elle reçut un message de l’homme. Un simple rappel de l’adresse, qu’elle connaissait déjà. Immédiatement, elle se mit en route vers l’hôtel, non loin de la bouche de métro d’où elle émergeait avec assurance. Elle s’était préparée avec soin pour l’occasion – douche parfumée, cheveux lissés à la perfection, corps badigeonné de crème hydratante, une touche discrète de maquillage, et surtout… Son costume, soigneusement plié dans son sac. Prête à révéler toute l’attention qu’elle portait à chaque détail. Une requête de certains abonnés, qu’elle avait acceptée de bon-gré, pas farouche pour un sou.
En quelques minutes, voilà qu’elle arrivait dans le hall principal de l’hôtel. Après avoir échangé deux-trois mots avec la réceptionniste pour s’assurer du bon numéro de la chambre, elle se dirigea vers l’ascenseur. Une fois à l’intérieur, Emi profita du miroir pour se recoiffer légèrement, lissant quelques mèches rebelles, et détailler sa tenue d’un regard critique, mais satisfait. Sa jupe crayon, noire, et son tee-shirt blanc étaient simples, mais parfaitement ajustés. Un ensemble confortable, qu’elle n’allait pas tarder à quitter pour enfiler son costume, de toute façon. Pas la peine d’en faire des tonnes.
Au
ting de l’ascenseur, elle en sortit pour se diriger vers la chambre 34, ses longues jambes mises en valeur par ses talons vertigineux, qui claquaient légèrement sur le sol. Bien, c’était le moment. Pas le moins du monde stressée par cette rencontre, c’est d’un geste assuré qu’elle toqua à la porte, le bruit discret semblant résonner dans le couloir. Et peut-être aurait-elle dû, parce qu’en découvrant le joli minois de l’assistante, Emi se sentit légèrement prise au dépourvu. Sûrement parce qu’elle s’attendait à une personne plus âgée, moins avenante, ou simplement moins charmante. Alors qu’un sourire poli étirait ses lèvres, Emi fut bien forcée d’avouer qu’elle était tout à fait son genre.
Dommage qu’elle ne soit pas là pour ça.
«
Mme Nakano, bonjour, l’accueillit Giulia, une expression chaleureuse et professionnelle éclairant son visage.
Entrez, nous vous attendions. »
Se décalant d’un pas, l’assistante permit à la jeune femme d’entrer, ses gestes précis et élégants, comme si chaque mouvement avait été chorégraphié pour mettre à l’aise. Elle indiqua d’un léger mouvement de la main la direction de la chambre, tout en gardant ce sourire à la fois accueillant et discret, dans une maîtrise parfaite de son rôle. Emi ne se fit pas prier, rejoignant l’espace principal de la suite, ses yeux parcourant rapidement l’espace. Sans remarquer que dans son dos, ceux de Giulia s’attardaient imperceptiblement sur le galbe de ses fesses, parfaitement moulées par sa jupe crayon.
«
Je vous en prie, installez-vous, ajouta-t-elle, en récupérant sa veste, puis son sac. »
Ce fut le moment pour Emi de saluer l’homme qu’elle avait embauché pour l’occasion. Et qu’elle ne fut pas sa surprise – encore, décidément ! – lorsque ses iris rencontrèrent ceux d’Hiroto, avant de dégringoler le long d’une silhouette imposante. Grand, large d’épaules, et une présence presque intimidante. Heureusement qu’elle n’était pas de ces jeunes timides qui se dandinaient devant un tel gabarit.
«
Bonjour, lança Emi d’une voix claire et assurée, en lui tendant la main.
Merci de m’accueillir aujourd’hui. J’espère ne pas être en retard. »
Dans son dos, l’assistante s’affairait sur les derniers détails. Puis, elle s’approcha d’Emi, un peignoir soigneusement plié à la main.
«
La salle de bain est à votre disposition si vous souhaitez vous changer, expliqua-t-elle, sous le regard attentif de notre jeune modèle.
Nous avons également des costumes prêts à l’emploi, au cas où vous voudriez les utiliser. -
Oh, ça ira, je vous remercie. J’ai apporté ce dont j’ai besoin, répondit-elle, dans un sourire léger. »
L’espace d’une petite dizaine de minutes, les détails furent discutés entre Emi et son photographe. L’éclairage à privilégier, les angles de prise de vue, les différentes poses, ainsi que ses limites, ou ce qu’elle permettait. Ils évoquèrent aussi les accessoires et les éventuels changements de décor ou de costume, et le déroulé général de la séance, s’assurant que chaque élément correspondrait à l’ambiance souhaitée. Emi avait versé un acompte pour réserver la séance, le solde restant dû à la fin, le prix total incluant d’éventuelles retouches sur les clichés. Ils étaient toujours d’accord sur ce point.
Puis, sur ces mots, Emi disparut dans la fameuse salle de bain. Et ne réapparut qu’une minute plus, tard, habillée de son costume. Enfin, costume… Tout était relatif. La jeune femme était habillée d’un ensemble de lingerie très minimaliste, façon bikini, qui moulait ses formes d’une façon indécente. Le haut, à peine couvrant sa poitrine généreuse, dessinait ses courbes avec une audace assumée, tandis que le bas, un simple string assorti, soulignait la finesse de ses hanches et l’élancement de ses jambes. Ses bas, arrivant au milieu de ses cuisses, ainsi que ses gants, recouvraient une partie de sa peau, là où tout le reste de son corps était parfaitement dévoilé. Le motif du tissu ? Des taches de vache, tout simplement.
À croire qu’elle avait parfaitement conscience de l’image qu’elle renvoyait. Une vache à lait.
Et pourtant, Emi ne semblait nullement embarrassée, ni intimidée par sa tenue. Au contraire, elle rejeta ses cheveux en arrière, d’un geste nonchalant, tout en approchant des deux comparses, ses yeux brillant d’une lueur espiègle. Presque provocante.
«
Vous êtes prêts ? »