Des derniers mois qui s’étaient écoulés, je n’avais pu tirer que bien trop peu de satisfaction. Me débattant comme un beau diable, je m’étais évertué à me lancer défi sur défi, convaincu qu’il me faudrait changer de registre pour m’attirer un public toujours plus large.
De mes derniers recueils de poèmes je m’étais alors inspiré. Fini la science-fiction, fini la philosophie et la pensée parfois trop pompeuse, j’en revenais à certains de mes principaux intérêts. À savoir : les femmes. Décrites avec amour, passion et beaucoup de délicatesse dans certains de mes ouvrages les plus... « olé olé », j’avais souhaité leur rendre un maigre mais humble hommage, en en faisant les figures fortes et principales de mon tout dernier roman d’aventures.
Prenant le parti de dépeindre un groupe de femmes, désignées à tort comme sorcières, que parce qu’elles forment un ensemble de jeunes femmes libres et indépendantes, se dressant fièrement contre les lois imposées par les hommes, je les avaient pétries de courage et de bien d’autres de ces qualités que je notais chez toutes ces femmes qui m’entourent. Combattives, aimantes, infatigables... Avec beaucoup d’amour, j’avais fait de mon mieux pour dresser le portrait de ces femmes qui font battre mon coeur, de celles que je reconnais comme étant celles à qui je dois tout. Tout de ma passion, tout de ma force... Amies, amantes, famille... elles ont été, sont et resteront mes muses, celles chez qui je décèle encore ne serait-ce qu’un peu de ces choses qui me donnent foi en l’humanité. Femmes, je vous aime. Tel est l’implicite message caché derrière ces lignes, tout au long des 800 pages de cet ouvrage.
Allez savoir pourquoi alors, celui-ci n’aura pas su trouver son public. Trois mois peut-être, que mon livre est sorti, mais les ventes peinent à décoller. Les retours sont bons, pour ceux et celles qui ont pris la peine de se laisser aller... mais il faut croire que cela prend difficilement. Ma lettre d’amour reste sans destinataire, inconnue, vouée à sombrer dans l’oubli.
Certes, ce n’était pas le premier de mes livres à passer inaperçu. C’était d’ailleurs pour cela que j’écrivais autant. Toutefois, il est à penser que celui-ci me tenait particulièrement à coeur, tant j’avais mis du coeur, un peu de mon âme, à donner vie à certains de ces personnages. Tout cela me minait un peu le moral et, depuis quelques semaines maintenant, j’avais mis un frein à mon activité, me laissant une pause alors que le doute me gagnait, me disant que peut-être, peut-être n’étais-je désormais plus capable de toucher mon lectorat...
À buller sans trop savoir comment me remettre de cet échec, je passais mes journées à rêvasser, à lire sans vraiment retrouver goût à la lecture, à écrire deux lignes pour tout raturer aussitôt... J’étais dans la tourmente. Jour après jour, nuit après nuit. Même dans mes rêves, je les voyaient, ces sorcières de mon coeur. Ou plutôt, celle. Il n’y en avait qu’une, étrangère à mon imagination. Une femme, grande, très grande, qui revenait chaque nuit me rendre visite, me couvant de toute sa chaleur comme pour m’apaiser, pour me dire que elle, elle m’avait entendue.
Bien trop grande pour moi, cette créature de mes rêves revêtait toutefois l’habit de la plus sécurisante et douce des amies. De ses cheveux de feu à ses yeux d’une profondeur infinie, nuit après nuit, elle s’offrait, plongeait en moi comme pour m’aider à trouver le repos. Nous allions chaque fois plus loin, à mesure que dans mes rêves nous faisions connaissance. Se découvrant d’abord de son chapeau, elle avait d’abord laissé mes mains onduler dans sa somptueuse crinière, rendant un sourire amical à chacun de mes gestes, jusqu’à ce que je pose mes doigts sur ses douces joues.
Et... peu à peu, mes nuits s’en trouvèrent plus calmes et reposantes. Tombé amoureux de cette rêverie, j’avais fini par prendre place sur ses genoux tel un enfant. Plus apaisé que jamais, chaque nuit désormais, je trônais là tout contre elle, à téter son gigantesque sein comme pour m’abreuver aux mamelles du divin. Tout n’était désormais plus que douceur. Nous devenions amants et je l’aimais. Je l’aimais pour le réconfort qu’elle m’apportait, je l’aimais pour être la gardienne de mon repos. Pourtant, jamais à mon réveil, je ne me rappelais de ses mots, de son corps... son visage me restait familier, mais disparaissait vite, le matin, dans l’épaisse brume de mes pensées.
Contrarié j’étais, mais au moins, j’avais fini par me reposer. Le stress m’avait quitté et, sans doute ne tarderais-je pas à me remettre en selle. Après tout, j’avais peut-être seulement besoin de cela, de repos.
Et, c’est par une nuit, comme toutes les autres ou presque, que tout finit par prendre un tout autre sens. Je ne saurais le dire avec pleine assurance, mais endormi, je crois qu’elle et moi faisions l’amour. Nus, l’un contre l’autre, nous nous unissions dans mes rêves dans un ballet devenu, plus qu’érotique, indécent. Je crois bien sentir sa peau tout contre la mienne encore... son souffle chaud. Mais... rien n’est réel. Je le sais. Tout s’arrête d’un coup lorsque j’ouvre subitement les yeux, réveillé en sursaut par cette main qui m’attrape. L’impression de tomber. Mon lit se creuse, comme si je m’y trouvais aspiré.
J’ai l’impression de chuter. Vous savez, comme cette sensation que nous avons tous, assez souvent la nuit. Sauf qu’ici je tombe. Vraiment.
Ma respiration est forte, courte. Comme si mon coeur allait s’arrêter à tout instant. Lentement mes yeux s’ouvrent, sur ce qui n’est pas, mais alors absolument pas, ma chambre.
Suis-je toujours en train de rêver ? D’un bonD, je me redresse, mes yeux virevoltant énergiquement tandis que je me trouve plus que déboussolé, perdu.
« Pfou... ouf... Qu’est-ce que... ? »