Parfois, et bien souvent même, il suffisait de prendre du recul pour avoir une meilleure vision des événements. En l'occurrence, il suffisait de reprendre les bases de ce conflit pour se rendre compte qu'il ne s'agissait qu'une accumulation de bien des broutilles : une jeune femme passablement agacée de devoir sans cesse exposer sa fragilité, et un grand gaillard sur les nerfs qui en avait marre de se faire balader. En un mot : diplomatie. Il aurait certes était cocasse pour Lied de manquer de diplomatie, en tant que sénatrice, mais il n'empêchait qu'elle n'était pas la demoiselle la plus patiente de cet état et que, quelques fois, elle pouvait manquer un peu de jugement, se montrer fermée voire témoigner de la colère. Alors elle prenait les devants, tâchait de faire de son mieux pour aller vers les autres lorsqu'elle faisait une erreur. La grosse paluche qui faisait pression sur son épaule était une bonne marque de la réussite de tous ces efforts, de ces quelques excuses et explications tandis que le minuteur se manifestait pour indiquer la fin de cuisson de leur repas.
Celui-ci était d'ailleurs presque ridicule : Héraclès se retrouvait avec un large plat où trônaient trois poissons roses surmontant une montagne de riz, déversant leur jus odorant sur les grains pâles, alors que sa petite assiette lui donnait un air de pimbêche comptant chaque calorie dans son plat. Chacun avec son assiette en main, Lied fit un énième sourire :
«
Mais non, tu n'as pas tout foiré, c'est normal de se tromper des fois. »
Ce qui fut en revanche très surprenant, ce fut ce qu'il révéla une fois assis, la première fourchette à portée de lèvres, qui en fit avaler de travers la sénatrice, obligée de frapper du poing sur la table. C'est un « Quoi ?! » à demi-étranglé qu'elle sortiy ensuite, se massant la gorge tout en reprenant contenance, le fixant de deux billes bleues à la limite du choc. Elle s'y était attendue, en quelques sortes, que ses rapports avec la gente féminine soient des plus compliqués, mais pas qu'il en soit au stade de n'avoir jamais mis les pieds sous la même table que l'une d'entre elle ! Et la vie adolescente, les plaisirs de jeunesse, la drague abrutie des pubères ! Un bref instant, un brin de tristesse marqua sa figure douce. Il lui avait déjà fait part de problèmes de contrôle, d'où l'intervention de sa cadette, mais tout de même...
«
Ca ne doit pas être facile tous les jours... »
La situation impliquait bien des choses, que Lied imaginait sans grand mal : une main de fer sur son quotidien, une volonté souvent mise à mal, un trou dans la sociabilisation, et l'absence de toute expérience amoureuse. Si néanmoins Feyril avait pu apporter quoi que ce soit, peut-être que son arrivée fulgurante en Tekhos n'aurait pas été vaine, et la demoiselle le lui signala aussitôt : s'il voulait emmener lors de son retour quelque médicament ou autre que ce soit, elle n'y voyait pas d'inconvénient. L'accord tacite était son silence, mais il n'y avait nul besoin de le réitérer quand Héraclès l'avait déjà accepté en entrant dans cette jolie maison en compagnie d'une figure tekhane. Secouant brièvement la tête, elle apporta ensuite le dessert, qui consistait en une pile de yaourts en pot et de sa si précieuse boîte à cupcakes. A y regarder de plus près, il s'agissait même à vrai dire d'un superbe coffret en bois, peint et gravé, aux finitions des plus minutieuses pour conserver le tout de la saveur des divines pâtisseries qui faisaient la joie de ce petit bout de femme. Cette fois-ci elle ne lui en proposa pas, égoïstement, bien qu'en risquant un œil, il était possible de voir qu'il ne restait que trois petits gâteaux, le reste ayant été mystérieusement ingurgité. C'est ainsi après avoir mordu dans un gâteau au glaçage blanc nacré, quelques miettes éparses sur les joues, qu'elle fixa son comparse avec un regard un peu gêné.
«
Euh, la région.... »
Sa première réaction fut de se diriger vers une pochette aimantée au réfrigérateur, sur le côté, visiblement faite pour être à portée en cas d'urgence. Elle en sortit un dossier papier, dont les lignes noires étaient savamment surlignées de couleurs différentes : du rose fluo, du rose saumon, du jaune, du orange, du vert, du bleu, du violet, tout un panel vif qui attirait immédiatement l’œil. Lied revint ensuite à sa place, le dossier sous le nez, commençant alors à lire ce qu'elle avait pris.
«
Le village de Sleprin est idéalement situé à une heure et demi de Tekhos Métropolis, mouais euh... La création d'un espace boisé et d'un lac artificiel permet un cadre de vie adapté à la retraite des tekhanes en recherche des plaisirs naturels alliés à la sûreté et le confort de la proximité de la capitale. Là ils disent qu'il y a une place de marché, et.... Oh ! Apparemment le seul point d'intérêt naturel des lieux est une crevasse d'une centaine de mètres de profondeur. »
Levant le nez de son document, la sénatrice le présenta à Héraclès, à la fois honteusement et fièrement :
«
Ma secrétaire me l'a imprimé et a surligné les trucs importants. Je connais très mal Tekhos. Je ne connais déjà que peu la capitale, alors que j'y suis née, alors les terres voisines arides et désertes... Globalement, c'est un territoire très vide et nous ne pouvions pas trop nous éloigner. Donc.... et bien, c'est surtout moi qui vais te suivre je pense. »
Après un rapide ménage, la jeune femme retourna à sa chambre afin de changer sa tenue. Ce n'était pas la ville, il fallait un tant soit peu porter attention, comme ne pas porter un petit haut fluide et large qui s'envolerait au premier coup de vent. Aussi, c'est une demoiselle aux cheveux attachés, vêtue d'une manière fort simple, qui descendit, une paire de baskets dans la main, prête à aller en découdre avec la terre sèche au dehors. Il faisait beau, un ciel bleu parsemé de quelques duveteux nuages blancs, dans une chaleur agréable. Quelques bruits laissaient entendre de la légère vie environnante alors que le duo progressait sur le chemin de terre caillouteuse jaune qu'avait déjà emprunté le titan pour se rendre en direction du bosquet artificiel. Sur ce chemin, Lied lui fit d'ailleurs part du clair manque de nature dans les structures tekhanes, que par exemple, la petite forêt qu'il avait vue était certes faite de vrais arbres, mais qu'ils avaient été plantés là par l'humain, il n'y avait deçà quelques dizaines d'années que gravats, sable et roches en ces lieux. Ce n'étaient là que de simples généralités, aussi vastes qu'évidentes, tout comme l'était l'ignorance candide de la demoiselle aux cheveux roses. Tout d'abord dans la retenue, elle finit par se laisser aller à demander à Héraclès ce qui lui plaisait dans cet endroit, ce qu'il avait vu, puis s'il voulait bien lui montrer ses trouvailles avant qu'ils n'aillent explorer la crevasse qui figurait sur son guide. Ils avaient encore jusqu'au lendemain minimum pour se détendre avant que l'apocalypse ne leur fasse les gros yeux.
Le drôle de duo parvint tout d'abord auprès de l'étendue d'eau claire dans laquelle se trouvait maintenant un très gros caillou, commentaire de la jeune sénatrice, qui feignit tout d'abord une moue furieuse sur son protégé avant qu'un rire léger et cristallin ne sorte de sa gorge. Un certain temps fut même perdu sur place, en raison du fait que Lied fut plus qu'impressionnée par les ricochets que son camarade pouvait faire ; à vrai dire, elle ne savait tout bonnement pas qu'il était possible de faire rebondir une pierre sur de l'eau et fut plus que demandeuse quant à apprendre là, à cet instant, fixant avec insistance de ses grands yeux bleus emplis de détermination celui qu'elle voulait comme professeur.
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Boum broum boum. Ca va vite, et c'est tout cassé par terre. June avait la tête par la fenêtre et regardait derrière elle le gros nuage noir qu'elles laissaient, là, loin, très loin, très très très très loin de la maison. June était un peu triste, Bephy n'avait pas voulu qu'elle fasse une omelette. Une grosse omelette, toute noire, avec le gros œuf qu'elle avait trouvé. Il y en avait plein, aussi, des œufs ! Plein ! Ca aurait fait un gros manger, ça, les œufs ! Mais Bephy avait dit non, alors June avait boudé, puis June avait quand même été contente, un peu, parce que June et Belphy avaient fait un gros barbecue après. Bon, le barbecue avait un peu mal tourné, parce qu'il avait fait un très gros boum, et les barbecues, c'est pas censé faire boum. Mais ça sentait le barbecue, après ! Et Violette, elle avait dit qu'on pouvait faire des barbecues avec plein de trucs : un baril, un râteau à feuilles, un caddie à courses.... Alors pourquoi pas avec des serres, hein ? June en avait vus, des barbecues, dans les bas fonds à la maison, avec des trucs, et sinon, elle avait aussi fait des barbecues avec les bas fonds à la maison. Donc, c'était un barbecue.
Un gros truc rouge lui arriva dans la figure, aussi, June grogna et le mordit, le tira, avant de s'apercevoir qu'il s'agissait de ses cheveux. A côté, Belphy semblait pas contente, elle faisait que grogner et dire des choses très bas, comme quand elle mâchait un gros steak. La dernière fois, et elle ne parlait pas du dernier steak qu'avait mâché Belphy, Bephy avait fait plein de viande à steak. Blam ! Il y avait un très gros trou, et Bephy venait de crier très fort en disant la même chose que quand on se prenait le petit orteil dans une tronçonneuse. Du coup, June rentra dans la voiture, se rasseyant sur son siège, sa figure s'étirant dans un sourire impossible à dissimuler plus encore.
«
Bephy ! Bephy ! Belphyyyyy ! On arrive quand ! On arrive quand !-
…. Bientôt, ma chérie. On roule encore quelques heures puis on fera une pause.-
Dis, dis, on va faire quoi déjà aussi ? Pourquoi on rentre pas avec Violette ?-
On va rendre visite à Lied et à un.... problème. -
Depuis quand on rend visite aux problèmes ? On les tue plus les problèmes ?-
Visiblement, pas celui-là. Concrètement.... Concrètement.-
Bephy, June a pas compris. -
Ce n'est pas grave, dis-toi qu'on pourra faire un autre grand barbecue.Sur ces derniers mots, le sourire de la petite demoiselle aux cheveux pourpres devint carnassier, tandis que son corps aux bras encore ensanglantés sautillait joyeusement sur le siège rembourré, scandant le dernier mot prononcé par sa chère et tendre.