L'officier, après que sa partie fine ait prit fin, se laissa tomber sur son grand lit. Les baldaquins oscillèrent dans l'air frais du soir pénétrant par la grande fenêtre ouverte, les draps ondulèrent autour du lit. Son regard fixait le plafond lorsque l'ombre se glissa dans la pièce depuis le balcon. Elle n'était pas bien grande, guère massive, et suffisamment silencieuse pour n'être remarquée qu'au dernier moment, ce qui flanqua une peur bleue à l'officier lorsque, perdu dans des pensées certainement très agréables, il vit surgir au dessus de lui un visage inconnu, et des yeux brillants, cercles de phosphore d'un blanc cru dans la pénombre dévorant le faciès de la nouvelle venue. Il se releva avec précipitation, s'empêtrant dans les draps du lit défait, et s'étrangla en gargouillant plutôt que de hurler, la tranche d'une main lui ayant écrasé la trachée d'un mouvement fluide et précis.
Semille se tenait face à lui. Pour le trouver et l'approcher sans risque elle se faisait passer pour une danseuse depuis quelques jours, et occupait les tavernes le soir, la rue en journée, des grelots aux chevilles et des rubans au poignets, les plumes dans sa longue chevelure. Il ne lui restait plus que les plumes ainsi que quelques rubans, mais ceux ci ne flânaient pas dans son sillage, ils retenaient un habit de satin collé à son corps, la moulant tout en lui permettant des mouvements amples et souples, nécessaire à l'accomplissement de ses missions.
Sans grande émotion la terranide regarda l'homme choir sur le lit en se tenant la gorge, il devait avoir du mal à respirer désormais. Elle le releva à l'aide de son pouvoir, un friselis dans l'air enveloppant l'officier pour le dresser devant elle. Il n'était pas spécialement laid, mais les médailles qu'il portait chaque jour hors de sa demeure semblaient lui peser, elles l'écrasaient plus qu'elles ne le grandissaient. Semille connaissait des hommes sur lesquels le moindre bouton un peu ouvragé devenait une fierté, un phare plaçant leur lumière au dessus de la plèbe. Ce pauvre homme croulait sous les responsabilités et semblait mourir un peu plus chaque fois qu'elle le voyait plastronner misérablement dans des goguettes pouvant à peine accepter quelqu'un de son statu social. Elle l'aurait plaint si elle le pouvait, mais elle manquait de coeur pour ces choses là, après tout il faisait tuer des gens lui aussi, ils étaient de la même espèce, mais elle, elle l'assumait.
-Quel dommage. Vous trouvez une belle hétaïre mais c'est la bayadère qui vous tue, disons que votre amie avait besoin d'argent, elle vous aura poussé, vous ne vouliez pas payer autant et . . . oh, zut. Mort.
En le bougeant dans les airs comme un bout de viande la terranide venait d'envoyer l'homme au sol, sa nuque heurta une table basse avec un craquement affreux, les yeux devinrent vitreux et les membres flasques. Elle se pencha sur lui et déroba la bourse, les bagues, les amulettes, tout ce qui pouvait présenter une valeur importante et se transporter facilement. Elle laissa sur le cadavre quelques marques de précipitation à imputer à une putain un peu trop empressée qui se serait enfuie, des marques évidentes sur les doigts, des écorchures au cou, là où se trouvaient les chaînes de métaux précieux, et trois petites griffures sur la joue, comme pour une violente gifle. Le décor convenait, un officier d'Ashnard serait trouvé mort, la faute à sa dernière acquisition d'un soir, on en tuerait une centaine pour faire un exemple, mais ça, ça n'était pas le soucis de Semille.
-Il faut toujours se méfier des femmes les plus vénales mon cher, enfin, des autres évidemment, pas moi.
Semille volta rapidement pour faire face à une nouvelle arrivée dans la chambre, ses oreilles ayant saisit les pas au passage de la porte. Elle fixa l'importune, la fameuse fleur de pavé sur qui elle faisait peser la mort de l'officier. Elle la jaugea rapidement et estima qu'il ne s'agissait pas d'une combattante, peut être possédait-elle quelques pouvoirs, mais si c'était le cas elle fuirait en dévastant la chambre pour créer la confusion. Elle ne s'attendait cependant pas à être sollicitée pour un nouveau contrat. Ses yeux glissèrent de la donzelle au cadavre, songeurs, puis du cadavre à la donzelle. Elle présenta la bourse du mort et les bagues passées à ses doigts, les colifichets précieux ornant ses poignets.
-Il faudra trouver de l'or ailleurs si vous espérez vous offrir mes services, celui ci vous l'avez volé, mais j'empoche le magot.
Elle garda une distance de sécurité avec la femme en se dirigeant vers une commode. Une fouille rapide et elle passa à l'armoire à panneaux de verre, dans laquelle elle trouva une bouteille de liqueur sur son service. Tout en surveillant l'inconnue dans le reflet des verres elle s'en servit un, puis s'adossa au meuble d'une épaule et sirota une lichette du breuvage.
-Je ne vais pas deviner vos intentions, si vous devez parler c'est maintenant.