C'est vrai, l'idée que ce palais eût été bâti par les elfes ajoutait à sa majesté une aura féérique ; on en regardait les pierres différemment, se disant de chacune : elle a pu être taillée par des bras non humains, dont la vie révolue depuis longtemps. Des centaines de bras non humains, aujourd'hui tous poussière, qui vivaient sous un ciel dont on ignore la couleur.
"Je tâcherai de vous en trouver une qui ne soit pas trop compliquée... Et à jour.
- Merci, madame. Elle peut être complexe, ça n'est pas un problème." répondit humblement l'horlogère. Elle n'avait pas l'habitude d'être complaisante avec son intellect. Si la carte était compliquée, elle devrait apprendre à la manipuler, voilà tout.
Les deux femmes marchèrent ensuite en silence, et l'attention de Kami se détacha quelque peu de l'instant présent, pour laisser place à la vision d'ouvriers elfes qui taillaient et, sur rondins, déplaçaient de massifs blocs de pierres, au sommet de la falaise encore vierge, posant les fondations de ce qui serait le plus haut édifice connu de Nexus, un palais labyrinthique et luxueux où Elena, reine du monde civilisé, se cacherait de ses ennemis et promènerait ses seins. Sur lesquels Kami s’efforcerait de ne plus poser les yeux. Elena avançait, les mains dans le dos, un reste de sourire sur les lèvres, et semblait occupée à ses propres pensées.
Lorsque les deux femmes arrivèrent devant l'escalier, l'attention de Kami fut de nouveau captivée par la richesse du décors. Les vitraux, illuminés par le jour, projetaient des formes colorées sur toutes les surfaces et, lorsqu'elles passèrent, sur la serrurière et sa souveraine. Celles-ci passèrent deux portes successives et leurs paires de gardes, jusqu'à pénétrer dans un nouveau salon. L'endroit était spacieux et divisé en deux, et possédait... un lit. Mais après tout, pourquoi pas. Kami était entrée à la suite d'Elena, mais en restant légèrement en retrait, ne s’engouffrant que de quelques pas dans le salon et laissait une distance de quelques pas se reformer entre elles.
"Vous avez vu ces deux portes que nous venons de traverser, n’est-ce pas ? Ce sont elles que vous devrez examiner.
- Oh ?..."
Kami pivota brievement pour les observer à nouveau.
"Très bien."
C'était en fait un peu étrange de vouloir encore renforcer l'entrée principale de ces appartements. Si Kami avait voulu assassiner la reine, elle aurait plutôt tenté sa chance au salon de lecture, ou lorsque qu'elle se promenait seule dans les couloirs du palais. À moins que les serrures n'aient pour but de remplacer les gardes, Langley avait une manière très étrange de déterminer ses priorités.
"Vous voyez, quand Nexus a été sous forte influence religieuse, le Roi et la Reine avaient une chambre séparée. Et, ensuite, une même chambre... Puis mes parents ont déplacé le lit au fond du salon. C’est une question d’éclairage. Mon père, m’a-t-on dit, aimait voir au petit matin les rayons du soleil éclairer le corps de ma mère... Et on ne pouvait les voir qu’ici."
Kami jeta un regard de biais à la souveraine de Nexus. Une lumière chaude traversait les carreaux et l'auréolait à contre-jour, ajoutant à la difficulté de deviner ses émotions. Fidèle à son tempérament, Kami resta muette.
"Vous n’êtes pas trop fatiguée, au moins ?
- Les muscles un peu raides, seulement, à cause du voyage. J'ai beaucoup dormi cette nuit. Mes yeux sont grands ouverts, madame."
Elle avait répondu doucement, en s'accordant au ton d'Elena. Son regard se porta vers une fenêtre par laquelle, de sa position, elle apercevait un petit bout d'horizon marin. Elle n'était pas trop tendue, bien que toujours plus étonné de la tournure que prenaient ses entretients.
"J'ai absorbé beaucoup de lumière aujourd'hui, de quoi être éveillée pour un moment."
Son regard revint à la reine et descendit rapidement sur sa robe.
"Je pensais à une clé à 4 pannetons, au début, mais si vous devez toujours l'avoir sur vous, il vaut mieux qu'elle soit plate et fine. Cela signifie deux pannetons au maximum." ajouta-t-elle, dans une tentative de ramener la discussion dans sa zone de confort.