Le moins qu’on puisse dire, c’est que le jeune homme avait bien grandi. En observant le manoir de l’extérieur, Mélinda dut bien reconnaître que livrer Corinthe aux autorités impériales aurait été bien du gâchis. Même maintenant, alors que les années avaient passé, elle se souvenait encore de ce moment où un chevalier nexusien fanatique, Korvinor, l’avait attaqué chez elle, en compagnie de ce jeune garçon. À cette époque, Mélinda n’était pas devenue la puissante Comtesse qu’elle était actuellement, une femme avec qui il fallait compter. Une femme qui avait redonné aux Warren ses lettres de noblesse après son mariage avec Vanillia, une femme qui disposait d’un clan comprenant de puissants membres, comme le Duc Richard de Castlevania, ou Ishtar Naviento-Warren, qui lui avait juré une fidélité sans bornes… Non, à l’époque, elle n’était guère qu’une simple tenancière d’un bordel de luxe à Ashnard. Elle avait longtemps soupçonné que ce Korvinor avait été envoyé pour obtenir des informations de sa part sur quelqu’un d’autre, sur l’un des riches clients ashnardiens venant s’épancher chez elle… Ou alors qu’il s’était tout simplement trompé de chambre.
Korvinor avait découpé le lit, et elle avait réagi à temps, évitant l’attaque. Comme toujours, Mélinda dormait avec ses esclaves, et l’une d’elles avait été grièvement blessée par ce premier coup. Le reste avait toutefois été à l’avenant, car Mélinda n’était pas une guerrière. Elle avait pu repousser l’apprenti de Korvinor, mais lui avait été plus rude. Il avait frappé Mélinda au visage, la clouant à terre, le visage ensanglanté, et, alors qu’elle se relevait, un coup d’épée lui avait ouvert le ventre. Fort heureusement, l’éternel protecteur de Mélinda avait bondi sur Korvinor. Bran, son grand-frère, avait combattu le chevalier, et l’avait finalement tué, en transperçant son ventre. Korvinor s’était vidé de son sang sur le sol, et le jeune homme l’accompagnant s’était ensuite rué sur les vampires, manifestant une redoutable agressivité. Sa lame avait blessé Bran, et c’était finalement Mélinda qui l’avait maîtrisé, agrippant sa gorge, et plantant ses crocs dans son cou. Elle avait bu de son sang jusqu’à le faire plonger dans le coma, et avait ensuite réfléchi sur son sort.
Et là, ses doigts caressaient la reliure des livres sur sa bibliothèque personnelle. Essentiellement des traités religieux, militaires, des livres sur l’histoire de Solvinor…
*Tout ça a quand même l’air bien barbant…*
Contre toute attente, Mélinda avait, non seulement choisi d’épargner le garçon, mais, surtout de ne pas le livrer. L’attaque de Korvinor avait ébranlé tout le manoir de Mélinda, et sa mécène, Samara, en avait été informée. Elle était venue en personne, tandis qu’on soignait l’esclave mutilé, sur laquelle Mélinda veillait étroitement. Samara lui avait expliqué que Korvinor d’Astain était un raté, un chevalier qui n’avait pas réussi à devenir paladin, qui épanchait sa frustration sur ses disciples, et était le partisan d’un courant rigoriste de l’Ordre Immaculé. Pour autant, les raisons ayant justifié l’attaque sur Mélinda étaient mortes à jamais avec le corps de Korvinor, que Samara avait pris. Même maintenant, Mélinda ignorait les raisons profondes de cette attaque, mais était convaincue que Samara ne lui avait pas dit toute la vérité.
Ce que Mélinda n’avait jamais avoué à Corinthe, c’est que, si elle l’avait pris sous son aile, c’était parce que Samara le lui avait ordonné, après avoir examiné le garçon.
« Mais pourquoi ? Il a tenté de me tuer !
- Un jeune garçon sous l’influence d’un fanatique… Il n’est pas responsable de ses actes.
- Et que dois-je en faire ?
- Veille sur lui. Perfectionne son entraînement. Je te garantis qu’il ne te fera pas de mal, et je sens en lui quelque chose de particulier.
- Et tu peux m’en dire plus ?
- Non, pas avant de faire des investigations complémentaires. »
Les mystères, c’était la spécialité de Samara. Il arrivait fréquemment qu’elle lui donne des instructions de ce genre. Dans tous les cas, Mélinda n’aurait pas eu le cœur à tuer un jeune garçon, et elle veilla donc sur lui. Elle lui apprit à se méfier du manichéisme absolutiste de l’Ordre Immaculé, qui voyait toutes les créatures et toutes les races différentes comme des engeances maléfiques. Curieusement, Corinthe s’avéra assez curieux, et, peu à peu, ils sympathisèrent… Jusqu’à ce que Mélinda évoque avec lui les « pics sanguins significatifs » qu’elle sentait émanant de lui les matins… Une manière polie de dire qu’elle savait qu’il avait des érections matinales. Ce n’était sûrement pas Korvinor qui lui aurait parlé de ça, et Mélinda entama donc son éducation sexuelle, le masturbant lentement dans son lit, en l’incitant à lui raconter ce à quoi il pensait.
Finalement, Corinthe réussit à partir. Mélinda avait toutefois pu retrouver sa trace, et, bien des années après, ils allaient se revoir.
*Où les as-tu mises ? Je suis sûre que tu ne les as pas brûlées…*
Elle observait les livres, et chercha ensuite un coffre, ou une cache quelconque. Avançant lentement, elle tâtait le sol du pied, à la recherche d’un espace qui sonnerait creux. Las, ses investigations ne lui permirent guère d’obtenir satisfaction, et elle entendit des bruits de pas, signe que Corinthe retournait dormir dans sa chambre.
*Bon, tant pis… Normalement, il devrait ressentir ma présence, s’il est à la hauteur de sa réputation…*
Mélinda avait profité du bain de Corinthe pour se renseigner sur sa vie actuelle, et fut à la fois soulagée et déçue de ne sentir aucune présence féminine ici. Quand Corinthe ouvrit la porte, la pièce était plongée dans la pénombre, mais il devrait sans doute noter quelque chose d’anormal… À savoir que la fenêtre de sa chambre était ouverte, délivrant un courant d’air frais sur la pièce… Mélinda, elle, était installée sur le lit, tenant entre ses mains un livre qu’elle avait pris au hasard dans la bibliothèque.
« J’ai cherché, mais je n’arrive pas à trouver autre chose que des recueils de prières ou des livres assommants sur les commandements et les devoirs sacrés des Lions d’Enoch… Tu n’as rien de plus distrayant à lire, mon beau Corinthe ? »