La dame lui parla, d'une manière un peu engourdie, ce qui était normal vu les circonstances : se prendre un rocher sur la tête ne rendait en effet jamais plus brillant qu'auparavant. Pam ne pouvait cependant s'empêcher de penser que quelque chose n'allait pas sur cette scène accidentée. Tous les rochers autour d'elles étaient énormes, de vrai mottes de pierres pensant bien leur cinquante kilos. Se prendre un truc de la sorte sur la tête, c'était le prélude d'une commotion cérébrale, et d'une mort loin d'être formidable. Cette femme n'aurait même pas dû être capable de maintenir la paroi avec ses bras, elle aurait dû tomber dans les pommes et glisser au fond de l'eau.
Peut-être que le rocher coupable se trouvait à cet endroit, suggéra la logique de l'adolescente. Néanmoins, cette hypothèse fut vite réfutée, quand elle aperçut une large trace de sang sur une pierre, prés du bord. L'arme du crime, de bonne taille !
Mais ce genre de considération ne lui encombra pas longtemps l'esprit- quelle idée de se faire ce genre de films quand quelqu'un d'accidenté se tenait à côté d'elle ! Il lui fallait vite sortir cette dame de l'eau, et faire quelque chose pour ses blessures ! Elles appelleraient les secours une fois dehors.
La réfléxion que lui inspirait ce plan fut interrompue par la victime, qui était manifestement en train de se débattre. Pam suivit des yeux les mouvements du corps svelte, et s'aperçut avec horreur que le côté droit de celui-ci semblait écrasé par une pierre échouée dans l'eau, qui faisait pratiquement leur taille à elles deux !
"S-s'il vous plaît, ne vous débattez pas comme ça, vous allez vous faire encore plus mal !" s'affola la blonde, en observant avec horreur le rocher tanguer et se balancer.
Ses bras vinrent saisir la paroi de la pierre par réflexe, ne sachant pas trop si elle devait empêcher le rocher de bouger ou au contraire aider cette jeune femme à se libérer. Finalement, la solution se présenta d'elle-même quand Lyli se libéra... libérant par la même occasion un gros nuage pourpre, qui se répandit dans l'eau et poussa Pam à reculer, terrifiée. Personne n'aimait se retrouver devant une aussi vaste quantité de sang, et Pam s'imaginait déjà les pires scénarios.
Aucun de ces scénarios ne vint, cependant. Après avoir hurlé un bon coup - et manqué de faire s'évanouir sa "sauveuse" - cette mystérieuse dame reprit un air blasé, semblant simplement fatiguée par toute cette aventure. Son teint n'était pas plus pâle et ses lèvres pas plus bleuies par la perte de sang. Elle évoqua le fait de stopper l'hémorragie presque comme une simple hypothèse, comme si ce n'était pas très grave. A dire vrai, Pam sentait son attention plus focalisée sur sa propre personne que sur son état critique- cela la mettait un peu mal à l'aise, cette façon qu'avait la femme de l'observer sous toutes les coutures.
*Elle se demande sûrement à quel point je suis horrible en maillot de bain, hein ?..*
En bonne adolescente qui se respectait, Pam n'était pas encore habituée à lire réellement le regard des gens. Elle était par contre très douée pour interpréter un regard aussi pesant comme une sorte d'ode à sa propre "laideur", celle que pouvait lui chanter les filles de sa classe quand elle passait devant elles. Les regards se faisaient, en effet, tout aussi pesants dans ces moments-là- et ils étaient ponctués, en règle générale, par de petits rires moqueurs et des remarques désagréables. Une certaine paranoïa déformait donc régulièrement le raisonnement de la moindre paire d'yeux qui pourrait se poser un peu trop longtemps sur sa personne.
En gros, si l'on lui lançait un regard perçant de ce genre, Pam s'imaginait tout de suite que l'on avait commencé à la cataloguer de "grosse" et à notifier soigneusement tous les défauts de son apparence. Elle n'était pas habituée à déceler un intérêt positif envers sa personne - aussi évident fut-il. Ce fut probablement pour cette raison qu'elle préféra tourner le dos à Lyli après s'être assurée que celle-ci ne glisserait pas en un quart de seconde. Elle se déplaça pour aller saisir son sac à dos en forme d'éléphant, et venir s'asseoir à côté du bord. L'adolescente semblait un peu plus calme, mais moins sûre d'elle que jamais.
"Je-j'ai de quoi vous panser dans mon sac à dos... j'emporte toujours une petite trousse de secours avec moi, ça peut toujours serv..."
Sa phrase fut coupée par la silhouette de la femme se redressant sur le bord, ce qui surprit Pam- la pression légère qui suivit ce rapprochement lui fit ouvrir des yeux grands comme des soucoupes. Elle observa celle qu'elle voulait aider lui faire un gentil sourire, qui lui expliquait d'une voix calme qu'elle était la cause de sa survie. L'adolescente sentit son teint devenir cramoisi, gênée par tant d'éloges et d'affection envers elle.
"M-moi ? Heu, moi je m'appelle Pam, déclara-elle maladroitement. J'étais sur la plage quand j'ai entendu l'éboulement, il n'y avait personne d'autre et, heu... je veux dire, il aurait mieux valu pour vous que ce soit un docteur ou quelque chose dans le genre, quand même..."
Son regard se reporta sur la plaie qui saignait toujours abondamment, répandant une rivière rouge dans l'eau et mettant l'adolescente très mal à l'aise. Elle n'aimait décidément pas du tout la présence d'autant de sang- cette dame allait vraiment avoir de sérieux problèmes, si ça continuait comme ça !
"I-il faut panser votre plaie, regardez, vous avez du sang partout ! V-vous pouvez sortir de l'eau, s'il vous plaît ? C'est nécessaire si vous voulez que je panse votre jambe, je peux pas le faire si vous êtes dans l'eau, et, heu... j'ai mon diplôme de premier secours..." ajouta-elle, un peu fière d'elle.
Du sac à dos sortit une petite trousse de toilette bordée de dentelle. La joyeuse bouille de chat brodée dessus contrastait avec le regard de Pam, qui était soudainement devenu suspicieux. Une hypothèse terrible lui était venu en tête.
"...J'espère que vous avez pas attiré des requins, avec tout ça dans l'eau..."
Ses yeux scrutèrent l’entièreté de la caverne, comme si le requin en question allait soudainement sortir de l'eau pour venir les attaquer par surprise. Dans son esprit un peu fantasque, tout était possible- tout, sauf probablement l'hypothèse que le déjeuner du requin imaginaire pouvait être une autre créature des mers...