Juzô Kiritsugu était un buffle. La nature était ainsi faite : elle avait doté cet homme de main d'un clan yakuza d'un physique en parfait accord avec sa profession et l'allure de l'homme mettait tout de suite le ton. Un mètre quatre-vingt douze pour cent vingt kilos de muscles entretenus par la pratique du sport intensive du sport dans sa jeunesse, qui si ils n'étaient plus aujourd'hui aussi sculptés qu'autrefois étaient encore de beaux volumes. Une gueule patibulaire balafrée ici et là au fil des réglements de comptes dans lesquels il avait été impliqué pour le boss et l'honneur du clan, ainsi que des mains larges qu'on disait capable d'étourdir un homme en une seule gifle. Il n'était pas vraiment beau ni même séduisant, mais Juzô jouissait pourtant d'un certain charisme. Peut-être que cette image de bad-boy aussi stéréotypée que réussie, accessoirisée à coup de grosse chaîne en or et de cheveux gominés y était pour quelque chose ? Ca, ou l'élégance certaine avec laquelle il s'habillait -car Juzô avait du goût, sans nul doute.
Mais surtout, Juzô avait pour lui le contraste. Le buffle était un animal savant, un personnage éduqué et poli qui avait pour lui une bonne culture générale et de la conversation en plus d'un brin de malice qui le rendait généralement sympathique et tranchait avec son allure de bourreau moderne. Il plaisantait facilement, avait beaucoup d'esprit et toujours le sourire. On l'appréciait beaucoup en général, une fois la façade passée. De plus, le yakuza était loin d'être mauvais : si il se salissait les mains pour le clan et son boss, Juzô évitait au mieux les éclaboussures collatérales. Mieux, l'homme épargnait ceux qui pouvaient l'être et prenait parfois la défense de ceux qui en avaient besoin. Pas un justicier ; juste un homme qui avait des convictions et assez de jugeotte pour les faire prévaloir sans que ça nuise à son image où celle des siens.
Pour autant, il n'était ni mièvre ni naïf et pouvait même se montrer vindicatif et cruel. Son dévouement au clan et son respect des valeurs "saines" desquelles se prévalaient les vieux yakuza en faisaient un des favoris de Boss Iwanbô, qui acceptait ainsi de lui passer certains écarts parce qu'il savait que Juzô saurait s'en excuser et ne pas lui faire regretter.
Evidemment, Juzô avait des problèmes avec les femmes. Celles qui l'acceptaient le faisaient pour l'argent ou parce qu'elles avaient peur des représailles -à tort, avec ce sucre de Kiritsugu. Celles qui osaient poliment le repousser le faisaient par crainte de ce mâle massif et puissamment charpenté, qui avait de quoi effrayer des gabarits naturellement plus fluets. Pourtant, Juzô avait apprit à ne pas s'en vexer. La vie lui avait apporté quelques relations satisfaisantes et son travail lors de ses jeunes années assez de putes sous coke pour qu'il explore les domaines sombres d'une sexualité débridée. Alors que la quarantaine arrivait doucement, le buffle n'avait plus envie de jeunettes déchainées mais davantage de femmes prêtes à avancer sérieusement dans la vie.
Ceci étant, il ne dénigrait pas non plus les rencontres d'un soir afin de pimenter son quotidien de célibataire.
Quand cette caucassienne était arrivée dans son bar préféré, Juzô n'était pas parvenu à la lâcher du regard. Certes, son amie était jolie aussi. C'était juste
différent avec la brune et le Buffle avait décidé de tenter sa chance en choisissant une approche qui, il l'espérait, serait moins frontale pour la jeune femme. Il lui avait payé un verre pour signifier sa présence à quelques tables de la sienne, juste de quoi voir le monstre qui s'était contenté de lui adresser un sourire chaleureux et un regard simple qui était volontairement resté braqué sur son visage.
Mais la brune avait fuit sous l'impulsion de son amie, probablement par crainte du colosse. L'affaire aurait put en rester là, Juzô oubliant sa petite déconvenue avec un verre de martini, quand un de ses "collègues" lui avait glissé un coup de coude. Après s'être gentimment moqué du Buffle, il avait passé quelques coups de fil à des amis qui lui avaient déjà parlé d'une fille comme la brune qui traînait dans les environs. Rapidement, Juzô entra en possession de l'adresse du lieu de travail de Drew ainsi que de son prénom. Et, après avoir longuement réfléchi, il avait retenté sa chance dès le lendemain en lui faisant parvenir un bouquet de fleurs.
Au bout d'une semaine aux jours jalonnés de cartes simples et de bouquets variés, elle avait accepté de convenir d'un rendez-vous. De guerre lasse -Juzô n'en doutait pas- mais le Buffle se faisait fort de jeter ses derniers as dans la partie lors de la rencontre.
Le coup de dés s'était joué dans le bar du soir du verre. Juzô l'avait invitée (et l'avait trouvée jolie même dans cette tenue sans sensualité), lui avait offert un nouveau bouquet et avait entamé la discussion. Au départ, le Buffle avait parlé pour deux. Il n'avait toutefois nullement ramené la conversation à sa simple personne, cherchant à impliquer Drew sur des terrains neutres. La mettre à l'aise, lui faire oublier le côté intimidant à qui elle faisait face. Et, peu-à-peu, Juzô avait constaté le succès de sa stratégie. Lente mais efficace, elle avait tenue Drew en sa compagnie jusqu'à une heure avancée de la nuit. Et en conclusion, la belle avait même accepté qu'il la raccompagne jusqu'au pas de sa porte. Puisqu'elle avait en prime accepté de le revoir une autre fois, notre bon Buffle considérait avoir gagné sa soirée et s'en était montré tout guilleret les jours suivants.
Les rencontres et le cadre dans lequel elles se faisaient s'enchaînèrent, et toujours plus naturellement. Sur la pause de Drew à midi, un matin pour partager un café avant d'aller vaquer à leur quotidien respectif, le soir pour un ciné ou un karaoké, ou simplement à partager des toasts en discutant dans le salon du yakuza. Des moments simples qu'il s'était surpris à attendre avec toujours plus d'impatience, en plus d'échanges sms assez intensifs mais toujours sages. Juzô n'avait jamais caché son attirance physique pour la superbe brune mais n'avait jamais essayé d'accélérer le tempo. Plus que son corps, le Buffle recherchait la compagnie de Drew. Peu-à-peu, une réelle complicité s'installa entre eux. Ils se livraient naturellement l'un à l'autre, se renseignaient sur leurs journées et étaient tout à fait capable de nommer les collègues et petits soucis de l'autre, signe stupide mais net de leur intérêt mutuel.
Juzô n'avait rien caché de ses activités, tout en expliquant à Drew qu'il ne pourrait pas tout lui dire pour sa propre sécurité. Elle n'ignorait donc pas qu'il était ce qu'il paraissait être, qu'il avait des casseroles criminelles dans le placard et des journées qu'il ne partagerait jamais avec elle malgré toute l'affection sincère qu'il lui témoignait. Drew avait eu le bon sens de le comprendre et une fois ces sujets délicats abordés, la vie entre eux avait continué.
Et puis un soir, la donne avait changé. Drew l'avait retenu alors qu'il s'apprêtait à la laisser sur le pas de sa porte.
Un baiser.
Drew lui accorda un baiser et la passion qui les habitait depuis si longtemps s'enflamma enfin et se consuma dans les draps de la belle américaine, qui se livra à son colosse. Juzô fit montre de mille précaution alors qu'ils plongèrent dans les plaisirs de l'amour, apprenant à manipuler ce corps si fluet par rapport au sien. Ils se donnèrent du plaisir et de la tendresse, concluant plus ou moins dans une boutade qu'ils étaient bel et bien faits l'un pour l'autre.
De ce soir fièvreux, ils refusèrent pour de bon de se quitter et se considérèrent comme un couple à part entière.
*
* *
Comme souvent, Juzô passa la porte de son appartement en sifflotant un air de J-pop à la mode (son appréciation avérée de ce style musical était un secret qu'il avait solennellement fait jurer à Drew de garder dès lors qu'elle fut amenée à rencontrer quelques collègues "sûrs" de son amant) et commença par ôter sa veste de costume pour la poser proprement sur un cintre. Il verrouilla la porte, sourit quand le parfum de sa compagne lui caressa le nez ainsi que celui de sa cuisine. Le colosse passa dans le salon en déboutonnant les manchettes de sa chemise et se laissa guider vers le son de la télé pour mettre la main sur Drew. Il n'avait pas pu l'appeler aujourd'hui et lui avait envoyé un texto pour s'excuser de son silence, lui promettant de se rattraper dès le soir venu. Ce qu'il escomptait faire dès la porte franchie à vrai dire, mais puisque Drew avait fait la cuisine, il attendrait peut-être d'avoir passé au moins l'entrée.
Le couple avait aujourd'hui une activité sexuelle soutenue et en plaisantait régulièrement, Juzô se faisant fort de faire rattraper à Drew le temps qu'elle considérait avoir perdu, et elle hésitant bien moins à proposer la multiplication des leçons. Ils se refusaient toutefois à n'être que des lapins, et préféraient toujours soigner leur proximité et leur complicité que leur libido.
Quand il arriva dans le salon, Juzô se dirigea vers le canapé et posa ses larges mains sur les épaules de sa compagne, se penchant pour lui embrasser le cou. Joueur, il passa ses mains sous ses bras de façon à pouvoir la soulever sans mal, l'asseyant sur le dossier du canapé pour qu'elle partage sa hauteur ainsi qu'un long baiser digne de ce nom. Lorsque les retrouvailles furent tendrement consommées, le Buffle se recula d'un pas pour embrasser la vue de Drew dans son ensemble.
- Aurais tu quelqu'un à séduire, ou quelque chose à te faire pardonner ? Tu es superbe !Il le disait souvent mais le pensait toujours. Venant s'asseoir à ses côtés, il passa un bras autour de ses épaules et l'attira à lui pour souffler enfin un peu. C'était un des moments qu'il préférait : se tenir à ses côtés pour recharger ses batteries à la fin de la journée.
- Mon ange, serait-il envisageable que tu prennes des vacances d'ici peu ? Boss Iwanbô a offert de me laisser son chalet en montagne. Depuis quelques temps, les amoureux parlaient de quitter Seikusu le temps de profiter d'un autre paysage. Juzô avait envie de lui faire oublier le quotidien du working-girl, mais aussi le fait qu'il était un malfrat. Elle n'en disait rien, mais le Buffle craignait que ça ne finisse par la ramener à Kenneth, à son passé agité. Partir leur permettrait peut-être de mettre les choses à plat plus sereinement, de parler un peu plus d'avenir. Depuis des semaines, il avait engagé des tractations avec le boss pour récupérer les clefs du châlet... Et cela s'était enfin fait, moyennant une condition qu'il allait falloir exposer à Drew.
Juzô prit une inspiration, et se tourna vers elle.
- Mais pour ça, il désire te rencontrer d'abord. Cela voulait dire mettre un pied dans le monde de Juzô, ce qui n'était pas sans conséquence. Oh, elle ne serait pas une criminelle pour autant non. Il n'y aurait pas de "test d'admission" ou de rituel. Il s'agissait d'une discussion avec le chef de famille, qui était curieux de faire la rencontre de la femme qui était parvenue à lui ravir son poulain favori. Juzô entretenait une relation profonde avec le chef du clan et Drew le savait bien. Pour le Buffle, cette rencontre aurait encore plus de sens que de lui présenter ses propres parents. Comme toujours, il ne la forcerait à rien. Même boss Iwanbo n'avait pas posé d'ultimatum, afin de ne pas contraindre la jeune femme à un choix délicat. Juzô s'était toujours refusé à la forcer à quoi que ce fût, et son boss respectait cette volonté.
De crainte que la révélation ne fasse trop proposition pressante, le colosse préféra passer l'air de rien à autre chose.
- Il se trouve que j'ai fais un plein conséquent de crème glacée. Et, comme par hasard, celle que tu adores... Tu ne voudrais pas passer le week-end au lit, pour m'aider à écluser les pots ?