Le souffle chaud, régulier et calme, se glissait entre les lèvres à peine entrouvertes pour venir caresser la corde tendue et prête à rompre de l'arc que tenait Hota, le regard fixé sur un grand daim. L'animal, n'ayant pas encore réalisé le danger, mâchonnait tranquillement une herbe verte et brillante de la rosée matinale. Il régnait un grand calme dans cette forêt et seul le vent jouant dans les branches venait troubler la tranquillité.
Le jeune Lupus, chasseur affirmé, avait eu le bon sens de prendre place face au vent pour que celui-ci ne porte pas son odeur jusqu'à sa proie, ce qui n'aurait pas manqué de la faire fuir. Hota n'était pas pressé, prenant tout son temps pour viser sa cible. L'important était de ne pas se louper car, si la flèche ne le tuait pas sur le coup, il risquait de devoir lui courir après et le traquer pendant des heures avant que sa proie n'agonise Dieu sait où. Mais Hota n'avait pas ce temps là à perdre, il avait faim.
Ses yeux diaphanes n'étaient plus que deux lignes discrètes entourées de cils blancs tandis qu'il les plissait à l'excès. Il se redressa un peu, écarta un peu plus les épaules, redressa légèrement le coude, prenant le temps de soigner sa position pour affiner sa cible et mettre toute les chances de son côté.
Le jeune Lupus inspira doucement, expira lentement, inspira de nouveau. C'était le bon moment. Hota lâcha brusquement la corde, propulsant la flèche avec une vitesse et une puissance incroyable, alors qu'au même moment... :
- Je l'ai !!!!
Hota écarquilla les yeux de stupeur avant de voir une silhouette tomber du ciel, juste au-dessus de l'animal. Il vit une lame briller. Le daim sursauta et bondit comme un ressort, la flèche meurtrière parvint seulement à frôler sa croupe avant de disparaître dans un buisson et le perturbateur loupa son coup. Sa lame s'était abattue dans le vide et il parvint de justesse à maîtriser son atterrissage, roulant maladroitement au sol tandis que le daim détalait à toute allure entre les arbres.
L'archer poussa un juron et s'avança à grands pas de son comparse. Ses sourcils froncés et son regard glacial en disait long sur sa colère. Une fois arrivé devant un Kooy déçu et un peu hébété il lança :
- Idiot ! Je t'avais dit d'attendre au campement et de me laisser m'occuper de la chasse ! Qu'est-ce que tu fou ici ?!
- Bah c'est que... je m'ennuyais un peu et je m'étais dit que je pouvais te filer un coup de main.
Hota prit une profonde inspiration pour ravaler les insultes qu'il réservait à cet abrutit et se contenta de lui lancer un regard méprisant avant d'aller fouiller le buisson qui avait avalé sa flèche. De son côté, Kooy poussa un soupire. D'ordinaire cette technique fonctionnait plutôt bien. Il se glissait dans les arbres, silencieux et agile, avant de se laisser tomber sur sa proie qui n'avait pas le temps de réagir. En général, le danger ne venait pas d'en haut et la plupart des bêtes ne s'attendaient pas à ce genre d'attaque aérienne. Seulement là, il avait fait un excès de zèle et son cri avait suffit pour faire détaler leur repas. Hota allait le maudire pendant des jours après ça, c'est sûr.
Celui-ci venait de récupérer sa flèche et s'éloignait déjà avec une démarche sèche qui trahissait son agacement. Un peu penaud, Kooy le suivit. Il savait qu'il était inutile de traquer l'animal, celui-ci devait déjà être loin et ils avaient beaucoup de route à faire. De retour au petit campement qu'ils avaient improvisé pour la nuit, Hota récupéra ses affaires et sans un mot, il se dirigea vers le Sud. Kooy s'empressa de l'imiter, gardant tout de même une distance de sécurité entre eux tant que son compagnon de route n'était pas calmé. Ce n'était pas la première fois que le jeune lupus avait affaire à la colère de son acolyte et il savait à quoi s'en tenir. Il resta donc muet, un peu déçu encore une fois d'avoir à voyager avec un individu aussi peu amical.
Le ventre vide, donc, il marchèrent pendant plusieurs heures en direction du Sud. Malgré cela, ils n'avaient toujours pas quitté l'immense forêt qui semblait interminable. Midi avait passé lorsque le ventre de Kooy commença à gronder. Il regrettait vraiment le gros daim appétissant de ce matin. Au bout de plusieurs minutes, Hota s'immobilisa au milieu d'une petite clairière et laissa tomber son sac par-terre avant d'annoncer sans lui lancer un regard :
- Faisons une courte pause, j'ai besoin d'étudier encore un peu la carte de la région.
- Je vais chercher le déjeuner ? Demanda prudemment Kooy.
- Oui, mais contente toi de nous cueillir des fruits ou des baies, nous devons avancer rapidement. C'est à ta portée, ça, non ?
Le ton était sec et sarcastique, mais Kooy préféra ne pas le souligner et préféra lui tendre un large sourire édenté avant de répliquer :
- Pas de problème, Kïn ! Ces trucs là risquent pas de s'enfuir si je leur tombe dessus ! Ah ah !
Mais comme à son habitude, Hota n'était guère sensible à la plaisanterie et se contenta d'ouvrir sa carte en fronçant les sourcils. Kooy haussa les épaules et s'éloigna. Le jeune Lupus aurait préféré avaler de la bonne viande, mais il avait tellement faim qu'il était prêt à avaler n'importe quoi. Une demi-heure plus tard, ils reprenaient la route, assez rassasiés pour attendre le soir et garder une bonne allure. D'après Hota, ils ne quitteraient pas l'immense forêt avant demain après-midi.
La lumière déclina assez rapidement. Les arbres immenses ne permettaient plus aux rayons du soleil de percer à travers l'épaisse végétation. Il n'était pas rare de croiser des créatures dangereuses dans les environs et les deux compères prirent soin d'être le plus discret possible.
Lorsque la nuit tomba tout à fait, Hota enfila ses étranges lunettes, les manipula quelques rapides secondes, puis continua d'avancer comme si de rien n'était. Kooy connaissait les problèmes que rencontrait Hota dans l'obscurité. Contrairement à lui, il ne voyait pas bien dans le noir, une espèce de tare qu'il avait depuis la naissance et qui l'obligeait à porter ce drôle d'accessoire. Cependant, ils n'avaient pas l'attention de marcher toute la nuit, il était temps de faire une pause pour manger et dormir un peu. Seul petit souci, ils n'avaient croisé aucun animal comestible sur leur chemin et ne disposaient d'aucun repas pour ce soir. Il allait encore falloir chasser. C'est alors que Kooy s'immobilisa et renifla l'air.
- Hota ? Tu sens, ça ?
Oui, il avait sentit lui aussi. Un délicieux fumet de viande traînait dans l'air et ça ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose. Ils n'étaient pas le seul dans le coin. Quelqu'un avait du allumer un feu et s'installer dans les environs. Hota réfléchissait. Il valait peut-être mieux éviter toute rencontre. Alléché, Kooy respirait profondément l'odeur délicieuse.
- Humm... un jeune cervidé. Sa viande doit être si tendre.
- Et peut nourrir aisément tout un petit groupe. Pas question de s'attirer des problèmes, on va continuer et s'éloigner un peu.
- Quoi ?! Mais..., si ça se trouve ils ne sont pas nombreux et dans ce cas... il y a de quoi partager.
- Pas question, c'est trop risq... Kooy !!
Son acolyte ne l'écoutait déjà plus et s'était mit à courir en direction du divin fumet. Hota pesta et n'eut d'autre solution que de le suivre pour tenter de le rattraper et de l'arrêter. Ce foutu idiot était bien capable de s'attirer des ennuis, comme d'habitude. Rapidement, il perçut la leur d'un feu et ralentit. Lorsqu'il parvint aux abord du petit campement étranger, caché derrière un arbre, il ne vit pas Kooy. Il devait s'être caché un peu plus loin. Hota épia le campement, mais il ne vit qu'une jeune femme seule en train de déguster son repas. Une jeune femme qui n'était pas humaine d'ailleurs et présentait des signes familiers. Le Lupus l'observa d'avantage avant de froncer les sourcils.
*Une Lycane, pas de doute...*
C'est alors que la jeune femme en question cessa de manger, l'air soucieuse et attentive, comme si elle avait sentit ou entendu quelque chose. Hota prit soin d'être invisible à ses yeux, bien caché derrière le tronc épais d'un vieil arbre. Puis il l'entendit prendre la parole, invitant les éventuels curieux à venir partager sa nourriture s'ils avaient de bonnes attention. Dans le cas contraire, elle laissa entendre qu'elle n'aurait aucune hésitation à tuer. Hota ne bougea pas, cherchant plutôt un signe de Kooy. Où était donc cet imbécile ? Sa réponse ne se fit pas attendre lorsque le jeune Lupus en question quitta les fourrés pour apparaître dans la clairière, à la lueur des flammes.
- Je prendrai volontiers un morceaux ! Lâcha t-il avec un grand sourire.
Hota serra les dents et en à peine une seconde, il tenait son arc entre ses mains, une flèche tendue, prête se planter dans le crâne de l'inconnue. C'était une inconnue, une étrangère, qui n'avait pas peur de tuer. Si elle tentait quoique ce soit, il ne la louperait pas. Ainsi, il resta caché tandis que Kooy avançait d'un pas, pas plus, avant de poser une main contre sa poitrine et de s'incliner poliment pour saluer la jeune femme.
- Bonsoir, je m'appelle Kooy. Rassurez-vous, la seule chose que j'ai envie de manger c'est cet alléchant petit faon grillé à point ! Puis-je me joindre à vous ?
Hota n'aimait pas du tout ça. La situation pouvait vite dégénérer, mais il était prêt. Si c'était un piège, il était hors de question qu'il se fasse surprendre. Son attention toute portée sur l'étrangère, il ne vit pas Kooy se baisser pour attraper un petit caillou et le jeter dans sa direction. Une vive douleur sur la tempe lui laissa échapper une exclamation de surprise et il abaissa son arc pour frotter la partie douloureuse en grognant. Kooy s'exclama alors avec bonne humeur :
- Hota, espèce de mal élevé ! Viens te présenter et saluer la Demoiselle.
Le jeune chasseur lança un regard assassin à son comparse, invisible derrière ses épaisse lunettes, mais finit par sortie de sa cachette, se contentant d'approcher de deux pas seulement, son arc toujours à la main. Et si celui-ci n'était plus tendu en direction de l'étrangère, la flèche était toujours armée et prête à servir. Il fixa la lycane avec froideur et méfiance, mais ne la salua pas. Il ne prononça aucun mot, se contentant de la fixer. Pour dissiper le malaise, Kooy toussota et ajouta sur un ton joyeux :
- Je te présente Hota, mon compagnon de route. Il n'a pas l'air digne de confiance, là comme ça, mais je peux te jurer qu'il ne te fera aucun mal. Il est juste... heu... excessivement prudent.
- A juste titre, répliqua froidement l’intéressé. On ne la connait pas, Kooy et je pense qu'on ferait mieux de partir.
- Oh, non, je suis rincé, moi ! On a marché pendant des heures avec seulement quelques fruits dans l'estomac, je meurs de faim et je suis trop fatigué pour chasser !
Il croisa les bras pour montrer qu'il ne changerait pas d'avis et Hota soupira. Ce type était vraiment inconscient...