Il y avait souvent des personnes qui venaient dans le parc, le soir, et qui avaient des yeux partout. Comme on pouvait s'y attendre, beaucoup de lycéens. Ils bravaient régulièrement les interdits de leur dortoirs ou de leur pensionnat, fouillant buissons et branches d'arbres, et se carapatant comme jamais quand, enfin, ils découvraient ce qu'ils étaient venus chercher.
Shire maudissait régulièrement le manque de courage de ces petits humains - incapables de venir prendre leur dû. C'est vrai, quoi, ce n'était pas comme si ils vivaient à même la forêt et que ce défi ne signifiait pratiquement aucun effort à être fait ! Personne ne vivait prés du parc, les humains bâtissaient leurs maisons dans le paysage. Lorsque l'on grimpait au sommet d'un arbre, on pouvait voir chacune de leurs constructions parsemées de petits trous, d'où la lumière s'échappait dés la tombée du jour, indicatrice de quelque force obscure capable de faire briller le soleil à l'intérieur d'une habitation. Bien sûr, on aurait pu d'abord penser à du feu, mais les humains transportaient aussi de petits objets capables d'émettre cette lumière vive, qui lui faisait d'ailleurs très mal aux yeux. La satyre supposait qu'une puissante magie était originaire de cette sorcellerie. Ca avait l'air bien pratique, remarque !
En tout cas, si leurs habitations étaient si lointaines, cela signifiait qu'ils devaient faire plusieurs kilomètres pour parvenir au lieu de leurs recherches. Et pourtant, au moindre craquement ou souffle, ils s'enfuyaient tous en hurlant...
Inutile de dire que, quand ils parvenaient à voir ne serait-ce qu'un bout de sa queue touffue ou de ses bois, la réaction était décuplée. Une femelle s'était même évanouie, une fois. Quand elle s'était réveillée d'elle-même, Shire l'avait vu sortir deux bout de bois cloués en croix d'une de ses poches et le brandir jusqu'à ce qu'elle quitte cette forêt... ça avait été assez drôle à voir, même lorsque, comme la satyre, on ne connaissait pas l'idéologie chrétienne et la terreur que pouvait susciter la vue d'une créature à cornes et ressemblante à un bouc pour les adeptes de ces idéaux-là.
Ce soir, pour une fois, Shire avait donc abandonnée l'idée de faire peur aux humains. La tactique se révélait en effet lassante, usante. Et lorsqu'un portail était apparu et lui avait donné l'occasion de faire venir quelque amis sur ce plan-là, la satyre avait fait un peu de chemin pour trouver des compagnons de jeu : quelques loups, qui avaient accepté de venir jouer avec elle et avaient traversé le portail pour parvenir dans le parc.
C'était quelque chose que faisait la petite, de temps en temps : elle invitait des animaux sur cette terre, leur évoquait une idée de jeu, avant de se lancer dans une partie de loup glacé ou un cache-cache, pour le reste de la nuit. Et ses partenaires de jeu favoris étaient les loups : ils étaient en effet facilement trouvables dans Terra, assez évolués pour comprendre les règles du jeu rapidement, et pour y trouver un semblant d'amusement. Ils faisaient aussi des rivaux assez ardus à combattre pour que cela devienne intéressant, avec leurs longues pattes qui leur permettaient de courir et d'attraper Shire avec facilité si elle ne pressait pas le pas. Dans la saison des amours, ils devenaient aussi des partenaires intéressants pour d'autres jeux, auquel Shire se pliait sans encombres, étant complètement ignorante des tabous et dangers que pouvait représenter la zoophilie. Pour elle, entre amis, on s'entraidait, c'est tout !
Ce soir-là, ils étaient tous partis pour une simple partie de loup glacé, et aussi surprenant que cela pouvait paraître, les loups menaient la danse. Shire avait déjà plusieurs marques de dents sur ses cuisses velues, bras et torse - pas trop fortes, mais assez vives pour apparaître et pouvoir compter facilement les points. D'un index expert, la satyre grommelait en comptant le nouveau point qui venait d'être fait. La créature n'était pas très bonne perdante.
"Mghrg... ça fait 12 pour vous et 5 pour moi. Pff."
Tout prés d'elle, les loups faisaient une pause et la toisait, leur yeux en amande légèrement plissés, comme pour réprimer une envie de rire. Cela ne manqua pas de faire réagir Shire, qui se redressa rapidement sur ses sabots.
"Oui, bon, ca va, hein, arrêtez de vous vanter ! Vous êtes cinq contre un, aussi, comment vous voulez que je gagne ?!"
Plusieurs grommellements légers se firent entendre - l'équivalent animal d'un rire, sans aucun doute. Les loups s'élancèrent dans les bois, devenant bien vite invisibles, prêt à marquer leur prochains points. Shire s'épousseta, continuant de râler toute seule, sa voix enfantine résonnant dans les sous-bois.
"C'est pas juste ! gémit-elle, incendiant un arbre du regard. Il me faudrait quelqu'un d'autre dans mon équipe, sinon vous allez tout le temps me battre et moi, je vais avoir l'air idiote, encore !!!"
Personne ne lui répondit. La forêt resta silencieuse, en contraste avec les cris de la satyre. Une fois qu'elle se fut calmée, elle s'élança de nouveau, recherchant ses compagnons à fourrure... ils se révelaient maître dans l'art du camouflage, contrairement à la petite qui faisait un bruit d'enfer avec ses sabots. Elle s'en fit la remarque, ce qui attisa de nouveau sa colère... bien sûr, en plus, elle avait un handicap, tiens ! Décidément, c'était vraiment perdu d'avance, qu'est-ce que ça pouvait être énervant !!!
Après cinq minutes, il n'y avait toujours pas eu l'ombre d'une oreille ou d'un museau. Les sabots ralentirent, doucement, au même rythme que ceux d'un cheval. La satyre regarda autour d'elle, certaine que les loups allaient profiter de cette pause pour l'attaquer de nouveau. Mais aucune boule de poil ne surgit des fourrés alentours. Il n'y avait même pas l'ombre d'un bruit.
Shire fut soudain saisie d'un pressentiment étrange. Où étaient-ils, au juste ?
Pas très loin, pensa-elle juste après, quand elle entendit le hurlement d'un de ses compagnons de jeu. Mais ce hurlement n'était pas tout prés. En fait, d'après ce qu'elle en comprenait, il se trouvait juste à côté de l'entrée du parc... et surtout, il ne lui était pas adressé à elle.
Un courant électrique parcourut toute sa colonne vertébrale, et les sabots recommencèrent à claquer contre le sol - cette fois-ci, dans un rythme effréné, alors que Shire se dirigeait en direction du bruit.