DOMAINE ANTONIUS
Le bastion très récent du domaine Antonius accueille cette années la réunion des bannerets de notre grande province. Malheureusement, la province en question est morcelée et sans réel gouvernement central depuis la mort de son dernier monarque, celui-ci ayant trouvé la mort avec tous les membres de sa dynastie et tout héritier potentiellement directe dans l'incendie ayant ravagé leur château pile le jour de la fête d'anniversaire du patriarche pour lequel toute la famille étendue avait été convoquée.
Mon grand-père n'a jamais cru à une coïncidence et encore aujourd'hui n'y crois toujours pas. Honnêtement, je ne peux pas lui donner torts, vu que deux jours plus tard des troupes de la dictature d'Ashnard étaient stationnées à la frontière pour y "ramener l'ordre et la paix de l'Empire". Pour un Empire médiéval, mobiliser un corps d'armée en deux jours est tout simplement impossible, même avec l'aide de ce que je sais de la magie. Les troupes étaient déjà prêtes, il n'y a pas lieu d'en douter.
Mais bon, ces événements datent d'il y a plus de trente ans et mon père à combattu à l'époque les troupes qui ont "accidentellement" franchi la frontière. À l'époque, une alliance des anciens Bannerets du monarque avait permis de repousser les envahisseurs car la réplique avait été unilatérale. Nous avions bénéficié de deux gros avantages : la personne qui avait lancé la manœuvre du côté Ashnardien l'avait fait sans l’appui de son gouvernement et il était obligé de réussir sa conquête s'il ne voulait pas goûter aux foudres de ses dirigeants. Partant du principe que les vainqueurs écrivent l'histoire, il avait pensé attaquer un royaume morcelé mais s'y était pris trop tôt et les seigneurs de l'époque avaient réussi à s'allier sous une bannière commune et à l’éjecter à grand coups de pied dans le derrière. La politique d'Ashnard avait fait le reste pour ce seigneur de pacotille et on en a plus jamais entendu parler.
Le deuxième avantage majeur dont nous disposions, mais nous l'ignorions, c'était qu'au même moment une offensive contre Nexus avait lieu sur un autre front et les conneries de notre attaquant ne pouvaient être réparées sans dégarnir un assaut qui nécessitait toutes les ressources de notre agresseur.
Dernier point, que je n'ai appris que récemment, ce fut une victoire à la Pyrrhus. Les Ashnardiens ont été repoussés, mais l’armée des bannerets a été si gravement touchée qu'elle a mis des années à sa remettre du choc. Heureusement, à l'époque, cet état de fait n'a pas pu être exploité par le haut commandement d'Ashnard. Aujourd'hui, l'alliance a grandi et a forci. En théorie, même du temps de l'ancien roi, nous n'avons jamais eu une puissance militaire aussi conséquente. Mais le principal problème demeure : il n'y a toujours pas de Roi. Qui dit pas de Roi, dit pas de pouvoir central. Et entre-temps les bannerets qui avaient unis les autres pour une défense commune sont passés de vie à trépas et leurs descendants ne sont pas capable de se mettre d'accord sur un menu commun pour le repas de midi.
C'est pourquoi Ashnard a changé son fusil d'épaule et depuis plusieurs années s'attelle à morceler et intégrer les différents fiefs de la province au moyen d'une arme encore plus mortelle : la diplomatie.
De nombreux fiefs frontaliers se sont déjà ralliés de leur plein gré à l'Empire cette fois et nombreux sont les autres dont la dictature convoite l'allégeance. Par les promesses, le charme, les cadeaux, la négociation, l'or, les titres et la flatterie, Ashnard s'empare morceau par morceau de la province sans verser la moindre goutte de sang.
Toute la semaine, une grande réunion des bannerets a lieu dans notre domaine, et pour la première fois mon grand-père accueille à contre-cœur une délégation Ashnardienne qui est venue représenter les fiefs ayant changé d'allégeance.
J'ai assisté en partie à la réunion depuis les gradins de l'auditorium, les seigneurs et représentant étant assis autour d'immenses tables de bois laqué à l'étage inférieur. Le début était intéressant, la présentation de l'état global était plutôt réjouissant, mais ensuite la discussion s'est enlisée en débats stériles sur la question d'élire un roi ou de mettre officiellement en place un système plus collégial. C'est le même sujet qui divise depuis trente ans et tout le monde sait que tant qu'il restera des royalistes, le trône ne sera pas remplacé, même si les progressistes parlent d'un système de voix suivant le titre et l'importance.
Vers onze heures, je me suis éclipsée et j'ai profité que j'étais chez mon grand-père pour aller dans ma chambre et reprendre la lecture de mon livre. Je suis redescendue pour midi afin d'être une bonne hôtesse et veiller que les repas soient bien servis et dîner aux côtés de mon grand-père. J'ai fais de mon mieux pour donner une image gentille et balais-dans-les-fesses autant que possible. En règle générale, plus vous avez l'air coincée, moins les gens ont envie d'engager la conversation avec vous. J'ai cependant découvert qu'en politique, ça ne veut rien dire car j'ai été beaucoup abordée après le repas avant la reprise du sommet par tout un tas de bannerets ainsi que par d'autres dames. On m'a complimentée sur mes cheveux, ma belle mine, mon jolis minois, mes manières, bref on m'a flattée de la tête aux pieds et je suis presque surpris que personne ne se soit risqué à des flatteries sur des parties plus intimes de mon anatomie.
Je suis restée polie cependant, j'ai souris au gens, écouté ce qu'ils avaient à dire mais me suis retenue de tout commentaire. Je n'en penses pas moins, mais mon grand-père m'a toujours appris que souvent le silence est la meilleure manière de ne pas passer pour une idiote.
Les conférences reprennent et j'en écoute encore une petite heure avant de m'en lasser définitivement et d'aller chercher une servante pour lui demander de bien vouloir rester dans les gradins et venir me chercher quand ce sera fini.
Au final, elle se termine pour aujourd'hui avec l'annonce du souper, ce qui sonne également mon retour à la vie active. Je pousse un soupir de lassitude à cette idée. Diriger le domaine ne m'a jamais déplu ou rebutée, même si ce n'est pas une sinécure. Cependant, faire des révérences à tout bout de champ en essayant de retenir qui est quoi et le remettre suivant son titre, c'est un exercice d'appris par cœur qui est une gageur dans mon cas. Je n'ai pas une bonne mémoire des noms, je suis plus mémoire visuelle.
Mais je redescend remplir mes devoirs, après tout, un jour je vais me retrouver à le faire sans la supervision de grand-papa et ce jour-là ce sera autrement plus dur. Je redescend pour m'assurer du service et dîner au côté de mon aïeul en présence du reste de la foule de convives et de leurs accompagnants ayant suffisamment de rang pour tenir dans cette pièce.
Après le repas, mon grand-père me demande de rester près de lui, puis accoste une jeune femme d'une élégante révérence que je l'ai rarement vu employer.
| - Madame la marquise ? Je suis le vicomte Peter Wilhelm Antonius, dit-il avec un sourire affable avant de me désigner. Ma petite-fille, Alaïs Victoria Antonius.
Je m'incline pour faire la révérence.
- Enchantée, dis-je avec un sourire poli.
Mon grand-père se tourne ensuite vers notre invitée.
- Puis-je requérir un entretiens privé ? Demande-t-il d'un ton aimable avant de lui tendre son bras comme tout gentilhomme qui se respecte.
Je m'attends presque à ce qu'elle refuse, mais elle semble vouloir bien suivre mon grand-père qui l'emmène alors avec ses immenses jambes vers le petit salon aux fleurs. Je suis tant bien que mal car, comme toujours, mon ancêtre a tendance à oublier qu'il est fin comme une perche, mais que la perche en question mesure près de deux mètres de haut et a des enjambées de géant pour moi qui suit deux têtes et demi plus petite que lui.
- J'ai beaucoup apprécié votre intevrention sur les relations que nos terres entretiennent avec Ashnard. C'était très sensé. Vous avez su en tirer l'essence avec une acuité qui m'a remarquablement impressionné... Entamme mon grand-père avec emphase alors que nous entrons dans le salon en question.
Il n'est pas très grand vu la taille de notre demeure, seulement une quinzaine de mètres carrés, mais c'est intime et il contient le fauteuil préféré de mon grand-père, que celui-ci s'empresse de s'emparer après avoir invité la marquise à prendre son aise sur le canapé.
Personnellement, je prend place sur un autre canapé et m'attends à devoir subir une longue conversation qui ne m'intéresse qu'à moitié en collant sur ma figure une expression neutre d'écoute polie. Mais étant donné que je n'étais pas présente à l'intervention de la marquise, peut-être serais-je agréablement surprise ?
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