Le soir était venu si vite que Catalina n’avait presque pas eu le temps de peaufiner sa tenue. Il y avait un bal masqué, organisé pour un gala de charité. La veuve n’en manquait jamais aucun, de ces galas, paraissant ainsi comme une riche bienfaitrice qui ne voulait que le bien du monde. Si seulement ces gens-là, avec qui elle discutait, flirtait ou travaillait, connaissaient son passé… Ils ne la verraient plus comme une bonne âme, généreuse, mais comme une femme souhaitant sa rédemption, souhaitant racheter ses fautes. Cela dit, il n’en était rien non plus. A vrai dire, la veuve noire agissait de cette façon pour se créer une couverture, un personnage public et médiatique. Elle donnait des os à ronger aux journalistes, et n’était ainsi pas inquiétée quant à son passé. Passé, d’ailleurs, très bien dissimulé. L’organisation pour laquelle elle avait travaillé avait bien fait les choses. Jamais la veuve n’avait été impliquée, de près ou de loin, avec son identité officielle, dans ces meurtres prémédités. Jamais on n’avait fait mention de son nom. Les héritages étaient reversés à la prétendue veuve de chaque victime, et les redistributions étaient si nombreuses qu’au bout du compte, on ne savait même plus d’où l’argent provenait.
Ce soir-là, Catalina allait encore reverser une coquette somme à l’association qui organisait ce gala. Pour l’occasion, elle s’était trouvé un costume ravissant. Fort cher aussi, pour que l’impression soit aussi authentique que possible, et pour coller à son personnage. Et puis, au final, elle s’y était habituée, à ce luxe. Elle s’y complaisait, et adorait porter les créations de grandes marques.
Un coup d’œil dans le miroir avant de partir lui avait montré l’image d’une séduisante Geisha, avec son teint aussi pâle que de l’albâtre, sa longue crinière noire disciplinée et coiffée à la manière de ces dames, son maquillage appuyé et sa robe fort seyante. A ses pieds, de petites ballerines noires complétaient le costume. Elle ne se voyait pas porter ces chaussures très peu élégantes que ces femmes portaient dans les temps anciens. Il ne fallait pas pousser le vice trop loin non plus. Mais du coup, on remarquait d’autant plus que la veuve n’était pas très grande. Elle atteignait péniblement le mètre soixante, ce qu’elle cachait en règle générale avec des escarpins vertigineux.
L’ambiance du bal était feutrée. La soirée se déroulait sans problème. Après deux heures, Catalina avait glissé un chèque d’une somme conséquente dans l’urne dédiée aux dons. Après trois heures, elle avait pas mal bu de coupes de champagnes. Quand minuit sonna, elle était occupée avec un très séduisant pirate dans l’une des alcôves sombres de la salle auxiliaire. Les mains de ce forban étaient partout sur son corps. Sa langue, qui dansait entre ses cuisses, lui donnait l’impression de flotter dans un monde de plaisir pur. Elle ne portait pas de sous-vêtement, aussi l’exploration avait été aisée. Embrasée, la veuve se cabrait sous la langue experte de son amant de la soirée. Peu avant, elle avait pu goûter à sa vigueur mâle, et n’avait plus qu’une hâte : La sentir la pourfendre sans pitié, l’aborder avec rage et rudesse. Elle perdait la tête, et gémissait sourdement. D’autres couples s’adonnaient aussi à ces petits écarts charnels, un peu partout dans les alcôves disséminées ici et là. Aussi les sons ne gênaient pas. Les soupirs et les halètements étouffés renforçaient le désir de Catalina. Chancelante, tremblante de la tête aux pieds, elle n’en pouvait plus. Elle suppliait son amant de venir la conquérir de son épée de chair. Mais il repoussait ce moment, encore et encore.
Pour finir, rompant l’atmosphère érotique de la scène, un téléphone sonna. C’était son pirate, le responsable. Il abandonna brusquement sa proie, pour décrocher. Les yeux agrandis par le désir et la surprise, la veuve n’en croyait pas ses yeux. Elle était prête, trempée, elle n’attendait plus que sa présence imposante. Mais l’homme répondait à un appel. Quand il raccrocha, elle s’apprêta à le rabrouer, mais le pirate la devança.
« Je dois y aller. Au plaisir de vous recroiser… »
Et il l’abandonna, ivre de désir, chancelante et frémissante. Elle mit un instant à retrouver assez ses esprits pour murmurer :
« Quoi ? »
Elle était interdite. Mais son désir était toujours là, ardente braise au creux de ses reins. Avec beaucoup de peine, elle replaça sa robe sur ses cuisses. Elle fit quelques pas hors de l’alcôve, vacillante, juste à temps pour voir le pirate sortir du bâtiment.
Ses jambes faillirent la lâcher tant l’excitation était à son comble. Et la frustration de se faire abandonner ainsi enfla en son sein. S’appuyant contre un mur pour reprendre son équilibre, la brune crut manquer son appui comme elle faillit tomber. Elle se rattrapa finalement, mais le mur était plus loin que ce qu’elle avait cru. Elle ne s’était pas rendu compte de ce qui venait de se passer : Elle était passée à travers une faille. Elle qui ignorait tout de Terra et de ses excentricités, elle venait pourtant d’y atterrir sans le savoir.
En voyant le décor japonais de la pièce, elle se dit qu’elle avait dû passer à travers un passage dérobé du bâtiment. Malgré le désir lancinant, elle voulut explorer un peu et fit quelques pas. Le sol tanguait, mais elle mettait cela sur le compte du désir et de l’alcool. Elle était loin d’imaginer être sur un navire, dans un autre monde. Ses prunelles claires avisèrent alors une silhouette humaine un peu plus loin, allongée sur une couchette. Curieuse, elle s’avança, et découvrit un homme. Du moins le supposait-elle. Mais son déguisement était si réussi qu’elle aurait pu le prendre pour une autre espèce étrange, un peu androgyne.
Les roulements du navire n’inquiétaient pas la veuve plus que ça. A vrai dire, en voyant cet inconnu, son désir était remonté en flèche. Déjà qu’il ne s’était pas beaucoup apaisé… Elle se rapprocha alors, d’une démarche aguicheuse.
« Salut, toi… Est-ce que ça te dit, une petite virée au septième ciel ? »
Oh, elle était directe, la Catalina. Directe, parce qu’excitée et frustrée. Directe, parce qu’elle ne rêvait que de se sentir prise avec passion, à cet instant précis.