La rançon du pouvoir [Pride]

« Je n’ai pas confiance en lui » martela-t-elle.

Knaël hocha lentement la tête, sans rien ajouter. Les deux femmes s’avançaient le long d’un couloir sombre, très sombre, éclairé faiblement par des interstices et des failles dans la roche, des ouvertures sur l’extérieur permettant de voir un ciel rouge, volcanique, un ciel qui semblait chargé de nuages lourds et ensanglantés s’étirant à l’horizon. Elles s’avançaient dans cette grotte. Deux femmes. La première, Knaël, connaissait bien cet endroit. C’était le domaine de son père, une vaste principauté infernale qui se répandait sur quelques milliers de kilomètres, et abritaient des centaines de milliers de démons. La femme qui l’accompagnait, la seconde, était originaire d’Ashnard, où elle y officiait comme Interrogatrice Impériale, un titre désignant un bourreau. Chrysalis était aussi belle que terrible. Elle avait été capturée par les Formiens pendant de longs mois, et conservait un héritage de ce séjour au sein de la Fourmilière : son corps pouvait générer des insectes, et elle se battait ainsi.

Les deux femmes venaient de traverser un discret Portail qui les avait menés ici, en s’enfonçant dans les profondeurs d’une tour en ruines nichée dans les hauteurs d’un massif montagneux des Contrées du Chaos. Knaël avait réveillé le Portail à l’aide d’un artefact magique, et s’était ainsi retrouvé en Enfer, dans les terres de son père. Knaël avait besoin des informations de ce dernier, et c’était pour ça qu’elle se rendait sur place.

Son père, Allocen, était un être massif, un Prince infernal, qui se trouvait en ce moment dans son palais, une immense structure qui était nichée au milieu de vastes montagnes infernales rocailleuses et escarpées. Le palais s’enfonçait dans les profondeurs d’une montagne, et était composé d’immenses couloirs, afin de permettre au Prince infernal, un démon massif, de s’avancer sans peine. Allocen était un démon terriblement puissant, ainsi qu’il convenait à un Prince, et disposait de nombreuses Légions concentrées autour des créatures morts-vivantes : zombies, squelettes, Liches, nécromanciens, Dracoliches... Sans parler de ces forteresses aériennes, les fameuses Tours Aériennes. Il s’agissait de structures flottant dans les airs, qui larguaient continuellement des troupes, ainsi que des jets de napalm, et qui flottaient dans la Principauté d’Allocen, massacrant les envahisseurs.

En s’avançant hors de la grotte, Knaël longea les plaines infernales de la région. Contrairement à bon nombre de décors infernaux, il ne s’agissait pas d’un vaste désert rouge, mais d’une succession de canyons et de gorges, où elle sentait, ici et là, la mort... Des cadavres étaient pulvérisés sur le sol, et des harpies étaient en train de les déchiqueter. Certains cadavres avaient été empaillés contre les murs, ou crucifiés à des croix inversées. Ici et là, il y avait des bouillies de cadavres, un mélange immonde et écœurant de chair ensanglantée et de pièces d’armures pulvérisées, l’ensemble formant un étonnant mélange, à la limite de l’insoutenable.

« Je crois que mon père a du repousser récemment un assaut...
 -  C’est... Charmant. J’en mouillerais presque. »

La Nephalem haussa les sourcils, sans rien dire. Il lui suffisait de freiner les yeux et d’humer l’air pour sentir les traces de la bataille qui avait fait rage ici. Elle en avait un frisson d’excitation remontant le long de son échine... Que n’aurait-elle pas donné pour se battre ici, elle aussi ? Knaël avait beau descendre des anges, elle avait aussi des origines démoniaques, et un amour sans fin pour le combat. Knaël reprit sa marche, suivant le chemin, jusqu’à ce que le mur extérieur du palais d’Allocen arrive. Un épais mur, haut de plusieurs mètres, avec des patrouilles de soldats-squelettes devant, des Draugr redoutables. Des sentinelles se trouvaient en hauteur.

Chrysalis n’avait pas confiance en Allocen, parce qu’elle n’avait pas confiance envers les Princes infernaux. Knaël la comprenait, car les Princes étaient souvent arrogants et impétueux, ce qui, concrètement, se traduisait par une certaine propension à manipuler les autres. La Nephalem s’avançait, et les gardes, en la reconnaissant, s’écartèrent poliment. Knaël s’avança dans la cour d’entrée du palais, où deux rangées de gibets pendaient à droite et à gauche, avec des cadavres à l’intérieur, et, sur le sol, des piques plantées dans le sol, avec des crânes empaillées dessus.

« Charmant..., commenta Chrysalis.
 -  Oui, ça ne vaut pas la beauté des cités angéliques », reconnut Knaël avec un léger sourire.

C’était le moins qu’on puisse dire, et, avant que Knaël ne puisse rajouter quoi que ce soit, une silhouette se dressa devant elles.

« Tiens, tiens, résonna une voix sarcastique, Knaël la Nephalem. C’est une joie sincère de vous revoir ici. »

L’homme qui venait de parler s’appelait Totec, et était le chambellan d’Allocen. Sur Terre, il avait été un servant d’un Dieu égyptien infernal, Seth, et avait organisé des sacrifices rituels pour Seth, en maîtrisant la nécromancie, et en soutenant une révolte contre le clergé d’Horus, majoritaire dans la région d’où il venait. Totec avait commis de nombreuses exactions, et, en conséquence, s’était retrouvé en Enfer, où il continuait à mener ses expériences magiques sur la nécromancie et la mort dans son laboratoire, dans les profondeurs d’Allocen. C’était un homme répugnant, mais il était également très puissant, maîtrisant la nécromancie et bien des sorts obscurs.

« J’aimerais voir mon père, répliqua Knaël, guère impressionnée.
 -  Je me doute bien que ce n’était pas le paysage qui vous avait attiré ici. »

Totec ne l’aimait pas, et Knaël s’en moquait bien. En fait, Totec n’aimait pas grand-monde, et Knaël avait plusieurs fois suggéré à Allocen de le bannir en le tuant. Totec n’était pas fiable, mais, quand Allocen avait entendu ça, il s’était contenté de dire à sa fille que, s’il devait tuer tous les hommes n’étant pas faibles, il finirait seul sur son mont, dans une cabane, à se masturber la queue avec ses doigts. On était en Enfer, après tout.

« Le Prince Allocen a reçu une visite... Spéciale.
 -  Ah ?
 -  Une femme est venue il y a une heure pour le voir. »

Totec n’allait pas en dire plus, mais il était peu probable qu’il s’agisse de Khyri, sa chère sœur renégate.

Connaissant son père, il devait probablement être en train de se taper cette inconnue. Knaël s’avança, et pénétra dans le palais, Totec la laissant parler, son visage restant indéchiffrable.

Il y a une heure...

« Ah, mes chéries, vous êtes décidément bien voraces pour le pauvre démon que je suis... »

La chambre d’Allocen était énorme, tout comme son lit. Il fallait bien dire que le Prince infernal faisait plus de deux mètres de haut, et au moins 150 kilos. Les succubes soupiraient dans son lit, le regardant en souriant, des lueurs espiègles dans le regard. Elles étaient belles et parfumées, et l’une d’elle venait de goûter au sperme infernal du démon en lui offrant une superbe fellation, tandis qu’une autre était blottie contre son torse, sa tête pesé sur le second cœur d’Allocen, ce cœur magique et artificiel qu’il s’était créé pour sauver cet organe, lors d’un combat redoutable contre un Ange. Allocen lui caressait tendrement les cheveux, son autre main glissant sur son dos, la caressant. Elles pouvaient lui faire l’amour pendant des jours sans rien perdre de leur fougue. C’est bien pour ça qu’il aimait les succubes. Il venait de jouir dans la bouche de l’une d’entre elles, et elle continuait à titiller son sexe, réveillant sa virilité, son ardeur.

Dans toute cette foutue vie de Prince infernal, Allocen devait bien avouer que ces petites démones infatigables compensaient très bien toute la fatigue qu’il y avait à gouverner une Principauté infernale. Allocen avait beau être isolé et tranquille, il était continuellement occupé à devoir repousser les invasions d’autres Princes, des individus qui cherchaient à s’emparer de sa puissance. Il y a à peine quelques jours, une bataille venait de se terminer. Elle avait duré plusieurs jours d’affilée dans les gorges, et avait provoqué des milliers de morts. Les batailles entre Légions pouvaient volontiers durer des mois, car un démon mort ressuscitait toujours, sous une autre forme. Quand un démon supérieur mourait, il revenait sous une forme inférieure, ce qui était toujours préoccupant, mais il y avait toujours quelqu’un pour le remplacer.

Allocen espérait maintenant pouvoir se reposer un peu, et, tandis que ses gorges ressemblaient à un charnier à ciel ouvert, il baisait de manière outrancière. C’est dans cette perspective, alors qu’il se reposait, qu’un gobelin débarqua par un conduit.

« Maître !! »

Allocen soupira. Il était en train d’embrasser la nuque d’une succube, et tourna sa tête vers lui. C’était Gnoff, un messager gobelin qui lui appartenait.

« Que veux-tu ?
 -  Une femme désire s’entretenir avec vous, Maître. »

Allocen hocha lentement la tête. Si Totec l’avait laissé passer, c’est qu’elle devait avoir des choses à proposer. Allocen ferma les yeux, et se concentra. Ce palais était le sien, et il sentait tout ce qui se passait dedans. Il sentit donc cette présence... Une femme très puissante, en effet. Et elle n’était même pas de sa famille ! Était-ce Khyri, sa charmante fille, qui l’envoyait ? Allocen en fut légèrement troublé, et écarta poliment les succubes, les laissant s’allonger sur le lit.

« Maintenez la flamme, les filles. »

Il en gifla une sur les fesses, et, en soupirant, les succubes s’embrassèrent goulument entre elles. Allocen se releva, s’extirpant de son lit, et entreprit de se rhabiller, tandis que la femme grimpait. Il s’assit sur un fauteuil, devant son lit, et, quand il sentit la femme arriver près de la porte, il leva deux doigts, ouvrant le double battant par sa magie. Une superbe femme, en réalité. Avec sa chevelure multicolore et sa silhouette gracieuse, elle avait d’excellents arguments pour obtenir l’attention du Prince. Elle se mit à lui parler, de sa voix mielleuse, et ce dernier hocha lentement la tête.

À ses pieds, il y avait deux succubes, qui caressaient ses jambes, dardant leurs regards sulfureux vers la femme.

« Et bien, tout le plaisir est pour moi... Je vous souhaite la bienvenue en mes terres, et je suis ravi de voir que le bordel dehors n’a pas entaché votre beauté. Nous avons récemment eu des visiteurs inopportuns. »

Il passa rapidement à autre chose, n’ayant guère envie de s’attarder là-dessus, et préféra satisfaire sa curiosité :

« Que me vaut donc la présence d’une si ravissante inconnue en un lieu aussi reculé et inhospitalier ? »

Il avait insisté sur le mot « inconnue », afin de préciser qu’il aimerait bien que cette femme daigne décliner son identité...

Qu’il sache au moins qui elle était.

Ah oui... Les souvenirs lui revenaient. S’il avait oublié le souvenir de cette femme, c’est parce qu’il avait trouvé son projet de déchoir Lucifer totalement ridicule, et n’avait rien retenu... Une erreur, visiblement. Il pouvait toujours retenir sa chevelure multicolore et sa poitrine confortable. En revanche, son arrogance était digne des Princes. Faisant comme si elle était chez elle, elle alla figer ses succubes, les pétrifiant. Allocen fronça légèrement les sourcils. Il était agacé, et il ne se priverait pas pour le faire savoir. Cette femme avait l’air d’être complètement à côté de ses pompes pour penser qu’il suffirait de pétrifier quelques succubes pour qu’aucune oreille indiscrète ne les écoute. Allocen croisa les mains devant lui, joignant ses doigts ensemble, et ne put s’mepêcher une remarque très sarcastique :

« Je dois admettre que vous êtes une femme surprenante, Pride. Depuis des millénaires, je cherche à avoir une conversation privée dans ces endroits pourris, un endroit où je suis convaincu qu’aucun Prince rival ne serait susceptible de m’écouter... Et vous, vous débarquez, avec toute votre suffisance, et vous pensez que pétrifier quelques putes vous met à l’abri des oreilles indiscrètes ? Ma chère, laissez-moi vous dire que vos tours de passe-passe n’impressionnent personne,e t que, si vous voulez vous attacher l’assistance d’un Prince Infernal, vous auriez grandement intérêt à apprendre un peu d’humilité. »

Allocen ne bougea pas. Ses doigts ne remuèrent pas, ni sa queue, mais sa magie se mit à exploser, comme un cyclone, un volcan qui explosa autour de son fauteuil, répandant une onde d’Air terrifiante. La magie était si forte qu’elle se mit à luire autour du corps d’Allocen, formant comme une seconde peau, le nimbant d’une énergie terrifiante. On pouvait sentir toute sa force, incommensurable, typique des Princes Infernaux, et qui semblait totalement écraser Pride. Allocen aimait à se dire qu’il était l’un des plus puissants Princes Infernaux qui soit, mais, en réalité... Et bien, il ne connaissait pas un seul Prince qui se dise plus faible que les autres. De son point de vue, seuls les Archanges pouvaient surpasser la puissance des Princes Infernaux dans tout l’Univers... Eux, et les Grands Anciens, bien entendu.

Le Prince Infernal resta assis dans son siège, et laissa planer quelques secondes, avant de parler :

« Peu importe ce que vous pensez savoir, peu importe toutes vos précautions, si vous voulez tuer Lucifer, considérez qu’il le sait déjà. Nous sommes en Enfer. Ici, on ne monte pas de grade en léchant les bottes de son supérieur et en espérant qu’il vous promeuve. On lui lèche les bottes jusqu’à trouver une faille pour lui planter un couteau dans le dos. C’est la même logique avec les Princes Infernaux, et Lucifer, par ses origines angéliques, est une cible de choix. Sa rivalité avec les Anges le rend très médiatique... Et il déteste qu’on l’appelle par son ancien surnom. »

Allocen pencha la tête en arrière, et entreprit alors de se redresser. Il dominait largement Pride par sa hauteur et sa forte carrure physique. C’était un redoutable colosse, et sa taille physique était à la hauteur de sa maîtrise des arcanes magiques. Il se déplaça, laissant sa queue caudale glisse derrière lui.

« Je n’aime pas la célébrité. Tout ce à quoi j’aspire est de vivre en paix dans mon trou, de baiser avec mes succubes à longueur de journée, et de me bourrer la gueule. Malheureusement, l’une de mes filles souhaite me renverser, et fomente continuellement des complots et des sièges contre moi. Et vous voudriez que je vous apporte mon soutien dans une croisade désespérée et futile contre Lucifer ? Lucifer a le soutien de Belzébuth, et Belzébuth contrôle la majorité des Légions Infernales. »

Jadis, toutes les Légions de l’Enfer étaient sous l’autorité d’un seul et même homme, Satan. C’était lui qui avait envahi les autres plans, qui avait défié les Anges, aux commandes d’une immense armée, comprenant toutes les Légions, les Princes comme Allocen étant alors ses lieutenants. Malheureusement, Satan avait un jour chuté. La rumeur la plus forte était que Lucifer lui-même l’avait tué, prenant ainsi sa place. C’est depuis cette période que l’ancien Ange déchu s'était arrogé le titre de « Grand-Maître des Enfers », un titre contesté par tous les autres Princes. Belzébuth, lui, avait été, durant le Grand Conflit, le second de Satan, son plus proche général, celui qui contrôlait toutes les Légions. Même maintenant, Belzébuth contrôlait toutes les Légions... Théoriquement, du moins. Parfois, il ordonnait à tous les Princes de venir, et ces derniers venaient, généralement pour voir si les autres Princes étaient toujours en vie.

Affronter Lucifer était clairement une mauvaise idée. Il était au cœur du pouvoir, et disposait d’une puissance redoutable. En combat singulier, Allocen n’était pas sûr de le vaincre, et ne voyait pas pourquoi il prendrait ce risque. Il se retourna donc vers Pride.

« Faites-moi votre proposition... Incitez-moi à aller risquer, non seulement ma vie, mais aussi ma relative sérénité, dans une guerre contre un ennemi disposant du triple de mes Légions. Dites-moi pourquoi je devrais le faire. »

Il ne cherchait nullement à lui donner de faux-espoirs.

Diable, il était chez lui, alors il pouvait au moins se permettre de dire ce qu’il pensait, non ?

L’arrogance de cette femme aurait presque pu le faire rire. Elle s’assit sans hésitation sur son trône, minuscule dans cet immense fauteuil, et croisa les jambes, relevant tellement sa robe qu’on pouvait voir son intimité. Prenait-elle donc le Prince Infernal pour un dalleux en manque ? Allocen n’était-il pas entre les bras d’expertes succubes quand elle était venue le perturber ? Cette femme, cette Pride, ne portait pas son nom pour rien, et elle s’était renseignée sur Allocen. Elle savait que sa Principauté était menacée par sa fille, par Khyri. Pride se comportait comme son chef, le traitant comme un inférieur, en lui disant ce à quoi il aurait droit si elle gagnait. Ce ton obséquieux ne plut guère à Allocen. À sa place, n’importe quel autre Prince aurait brisé cette jeune femme, usant de sa magie pour la pourfendre. Pride était puissante, oui, mais Allocen était un Prince infernal. Elle termina en disant que, s’ils échouaient, elle lui offrirait son corps.

Cette fois-ci, Allocen ne put s’empêcher de rire de dédain.

« J’admets que tu es belle, Pride... Mais, si tu veux que je te rejoigne dans ton périple, il va falloir élever un peu plus les enjeux... Pourquoi me proposer quelque chose que je peux déjà avoir sans affronter l’un des Sept ? »

Il serra le poing, et le fauteuil bougea alors. Il était grand, trop grand pour Pride, et des piques jaillirent, transperçant Pride, tandis que des chaînes jaillirent des accoudoirs, enserrant les bras de Pride, des clous en jaillissant pour clouer ses bras aux accoudoirs. Des espèces de lianes métalliques jaillirent également du sommet du fauteuil, et se plantèrent à leur tour dans le corps de la femme. Allocen n’eut ensuite plus qu’à claquer des doigts, et le fauteuil vibra d’une énergie noirâtre maléfique. Des éclairs jaillirent à sa surface, électrocutant Pride pendant quelques secondes, avant que le Prince ne s’arrête.

« Si je veux te baiser comme la dernière des truies et la pire des putes, infâme petite salope, je n’ai pas besoin d’aller défier Lucifer. Je n’ai qu’à me servir sur place ! »

Les liens du fauteuil se desserrèrent alors. La magie d’Allocen s’abattit avec toute sa force sur la femme, la soulevant. Il envoya le corps de la femme s’écraser violemment contre un mur. Elle termina sa course sur le sol, et le pied d’Allocen s’abattit sur sa tête, menaçant de l’aplatir comme une crêpe. Tenterait-elle le moindre coup pour se défaire de cet étau que son attaque magique rebondirait contre les défenses magiques du Prince Infernal.

« Il existe Sept Péchés Capitaux... À ces sept Péchés, on trouve un Prince. Ensemble, ils forment les Grands Princes de l’Enfer, les Sept Démons. Mammon, Asmodée,  Satan, Léviathan, Belzébuth, Belphégor... Et Lucifer. Depuis que l’un des Sept est parti, le plus puissant d’entre eux, l’Enfer n’a plus d’instance suprême. Lucifer espère pouvoir gouverner sur les autres Grands Démons, mais seul Satan en avait ce pouvoir. »

L’histoire était connue des démons. Lucifer représentait l’Orgueuil. Un Ange puissant et présomptueux, qui avait déchu par orgueil, en refusant de se soumettre aux prescriptions du Conseil des Anges. Il se croyait supérieur à n’importe qui, aussi bien anges que démons. Allocen savait qu’il abhorrait les démons, qu’il les détestait et les haïssait.

« Si tu veux vaincre Lucifer, il faut marcher vers les autres. Seul l’un des Sept peut vaincre l’un des Sept, et seul un Prince peut devenir l’un des Sept. »

Le Trône de la Colère était vacant, suite à la disparition de Satan, mais personne n’avait encore pu le reprendre, car il fallait l’accord des six autres Grands Princes, qui refusaient catégoriquement de le céder. La Colère était le plus puissant des Péchés, le moteur qui animait la guerre, la force dont chaque homme avait besoin pour se battre et pour défendre ses convictions.

Le pied d’Allocen écrasait toujours la tête de la femme, et il le releva, avant de se rasseoir sur son trône, et de lui balancer un élixir d’Hirondelle, qui la soignerait rapidement.

« Ne me manque plus jamais de respect en me proposant un marché de dupes, Pride, ou je te briserai. J’ai une sainte horreur qu’on me prenne pour un imbécile, mais... Tu as raison sur un point. Ma fille m’insupporte. »

C’est ainsi qu’on marchandait avec les démons, surtout les Princes. Il fallait s’attendre à se recevoir des coups. Les démons n’étaient guère taillés pour la diplomatie. Toute leur civilisation reposait sur la force et sur la puissance.

« D’ici peu de temps, maintenant, mon autre fille devrait venir. Une Nephalem. Je pense qu’elle essaiera de retrouver Khyri. Accompagne-là. Si tu réussis à me ramener Khyri, alors je te prêterai mon aide dans ta quête... Mais suis mon conseil. Ne t’attaque pas de front à Lucifer, ou tu échoueras. Belphégor est le plus faible des Sept. Il refusera de te rejoindre contre Lucifer... Mais il y a toujours moyen de remplacer un couard par une personne plus déterminée. »

De plus, Allocen avait confiance en Knaël. Si Pride cherchait à le doubler, Knaël serait là pour s’en occuper. Elle avait bien réussi à tuer Phalanx, après tout.

Même pour les Princes, cette nouvelle avait été impressionnante.

Quand on négociait avec un Prince infernal, il fallait s’attendre à un pari risqué. Allocen ne faisait pas partie des Sept Grands-Princes, mais il n’en restait pas moins un démon redoutable, de même classe que les Sept. Difficile de dire si dominer un Cercle le tentait ou non. Il savait en tout cas que Pride était motivée pour récupérer le Trône de Lucifer, mais, à la voir se recoiffer, faisant soigneusement attention à sa chevelure et à son corps, Allocen se demandait si, à la réflexion, elle n’était pas plutôt indiquée pour la Luxure. Mais Asmodée était un Prince redoutable, bien plus puissant que ce qu’on pouvait croire, précisément parce qu’il aimait prendre une apparence raffinée, élégante, mais faisant faible. Allocen connaissait plutôt bien les Sept, et sourit donc lentement devant la détermination de la femme.

« Des démons pétant plus haut que leur cul, j’en ai souvent vu, Pride... Si Lucifer sait que tu souhaites le tuer, alors tes chances sont virtuellement inexistantes. N’as-tu jamais entendu parler de la subtilité ? Lucifer n’est pas un vulgaire bourrin. Il est le Monarque des Enfers depuis des éons ! Et, même s’il n’a pas l’autorité naturelle de Satan sur les autres démons, il n’en reste pas moins le plus puissant des Sept. »

Il semblait néanmoins inutile de faire entendre raison à Pride, qui était convaincue qu’elle y arriverait. Et puis, Allocen venait de lui promettre son aide. Et un démon ne revenait jamais sur sa parole. Allocen se releva alors, et ouvrit la main, faisant apparaître un orbe magique. Ce dernier s’illumina, et Pride put ainsi voir une image holographique apparaître. Générée par la magie, cette image représentait Khyri, sa redoutable fille. Pride put ainsi voir que sa fille était à la fois belle et puissante, accompagnée d’une armée de monstres et de démons.

« Khyri s’est réfugiée aux frontières de mon domaine, et a ravagé plusieurs de mes forteresses. Les démons qu’elle tue la rejoignent par un obscur sortilège qui m’inquiète beaucoup. Son objectif est de me renverser. Qui sait ? Peut-être que tu la rejoindras, toi aussi... Je t’encourage en tout cas à ne pas négliger cette possibilité, mais ça, je suppose que tu l’as déjà vue, non ? »

Inutile qu’elle réponde, Allocen n’était pas aveugle. Pride n’avait rien juré envers lui, aucun serment de fidélité, et c’était mieux ainsi. Les démons allaient toujours du côté où se trouvaient leurs avantages.

« Si tu as des questions, je suis disposé à y répondre. Sinon... »

Allocen se tut brusquement en entendant un Portail s’ouvrir. Une vive lumière s’illumina dans la pièce, et une femme en armure fit brusquement irruption. Knaël s’avança lentement, et fronça les sourcils en observant Pride.

« Qui es-tu, toi ?
 -  Pride, je te présente Knäel, ma seconde fille. Knäel, je te présente Pride, une démone indépendante qui compte t’aider à traquer Khyri. »

Knäel fronça lentement les sourcils en dévisageant l’intéressée.

« C’est une blague ?! » s’exclama-t-elle.