- Majesté, ils sont là!
- Tous à couverts! Archers!
- FEU À VOLONTÉ!
Serenos leva les yeux juste à temps pour voir déferler la Cavalerie des Wyrms Ashnardiennes. Le Roi agrippa la garde d’Ehredna de la main droite et leva le bras gauche.
-Mages! Préparez-vous! Chevaliers, en position! Attendez mon signal!
Les archers faisaient un excellent travail pour s’opposer à la cavalerie aérienne, mais les capitaines d’escadrons et les lieutenants avaient un avantage par rapport à leurs subordonnés; l’armure de leurs wyvernes comprenait une protection complète ainsi que des toiles protectrices. Même la plus affutée des flèches ne pouvait espérer franchir cette protection, mais Serenos avait prévu une parade à cela. Un bombardement humain.
- À L’ATTAQUE! MAINTENANT!
Et à peine eut-il beuglé son ordre que les mages s’emparaient par magie des corps de leurs camarades Chevaliers et les propulsait dans les airs, comme des marionnettistes soulevant leurs marionnettes au bout de leurs fils. Aux cris de guerre se joignit des rires et des cris de plaisir, alors que les chevaliers s’engageaient à un combat aérien avec leurs opposants, ne nécessitant nulle monture pour se maintenir dans les airs. Serenos se joignit à la ligne de front, ne relayant que sur ses propres pouvoirs pour maintenir son corps en altitude, et engagea un capitaine au corps à corps. Leurs armes se rencontrèrent une première fois lorsqu’il porta son premier coup, et ce test confirma la puissance du Roi par rapport à l’autre homme, car le bras de celui-ci fléchit sous la force de l’impact. Le Roi de Meisa enchaîna avec un coup de botte dans le buste, propulsant magiquement son corps à la rencontre du capitaine, pour le désarçonner. Malgré les courroies supposées maintenir ses jambes en celle, le coup suffit à faire basculer son opposant dans le vide; la sangle ventrale qui maintenait la selle en place venait de lâcher. Serenos posa alors le pied sur le dos du draconide, qui resta en vol stationnaire, perturbé par l’absence de l’esprit étranger qui avait depuis tant de temps maîtrisés ses faits et gestes. Serenos le débarrassa de deux coups de lame de ses rennes et de ses armures, avant de lui ordonner mentalement de partir. Le Roi de Meisa sauta à nouveau dans le vide, et regarda le combat se déroulant sur mer.
Les coups de canons lui suffisaient à comprendre que le combat arrivait à termes. Son vaisseau-amiral, le Corbeau Noir, se déplaçait rapidement sur les vagues, et ses hommes mitraillaient le
Marteau d’Arthorius de leurs projectiles. Fascinante invention qu’étaient les canons, et Serenos se félicitait d’avoir obtenu les schémas de ces armes au Conseil Militaire d’Anderran. Si la flotte Anderranienne était incroyablement inférieure à celle de Meisa, qui était quand même une île et qui nécessitait donc d’une armada pour la guerre, ces puissantes armes avaient suffi à maintenir le Royaume à distance.
Il eut tout juste le temps d’élever un bouclier magique en forme de sphère pour protéger son corps d’une flamme magique qu’il comprit que les renforts ashnardiens venaient d’arriver. Il était donc inutile de poursuivre cette escarmouche. Usant de la magie comme d’un parachute, il se fit planer jusqu’à atteindre le pont du Corbeau Noir et fit signe à ses capitaines de se replier. Les trois navires de Meisa exécutèrent leurs manœuvres de replis, laissant derrière eux des barils explosifs pour couvrir leur retraite alors qu’ils se retiraient du champ de bataille, suivit par leurs chevaliers volants, qui couvraient leur retraite des derniers cavaliers-wyvernes de leurs armes.
Bien vite, les sons des canons se turent; les Ashnardiens abandonnaient leur poursuite à l’approche des eaux territoriales Pemendoriennes, où Ashnard n’était visiblement pas prêt d’envoyer ses soldats de sitôt. Les mages rappelèrent leurs compagnons chevaliers au navire, et s’ensuivit rapidement des cris de joie et des rugissements de victoire de l’escarmouche Meisaenne. Serenos lâcha un soupir de soulagement en constatant qu’il n’y avait eu que très peu de pertes parmi ses soldats. Sachant cependant qu’il ne pouvait garder ses troupes sur le territoire d’un autre royaume impunément, il fit parvenir aux trois capitaines de ses navires l’ordre de repli vers Meisa, tout en conservant le Corbeau Noir sous son commandement direct.
-Il est temps d’aller visiter la Reine Cécile vi Numendor, décida-t-il en hochant de la tête.
Une autre décision prise sur un coup de tête, mais qui devait être faite tôt ou tard. Le capitaine Maurice de Longforêt semblait un peu douteux de cet ordre, mais en bon soldat, il ne posa pas de question et donna ses ordres à ses matelots, qui s’affairèrent à ajuster les cordages et les voiles pour leur nouvelle destination. Serenos descendit du poste de commandement, et ouvrit la porte menant aux quartiers du capitaine. Lorsque le Roi naviguait, il était coutume de lui céder ces quartiers pour des raisons de confort, et c’était l’un de ses rares caprices; il préférait de loin dormir dans un vrai lit plutôt que de séjourner dans les quartiers des matelots.
***Trois jours plus tard***
-Vous ne le trouvez pas tendu, le Roi, les gars?
-Fichtre, il n’a de cesse de regarder le port depuis qu’il y a envoyé le capitaine.
-Hé! Si vous avez le temps de ragoter, vous pourriez frotter le pont, bande de pipettes!
Les matelots baissèrent à nouveau la tête sur leur travail et frottèrent plus vivement le sol alors que le quartier-maître passait derrière eux avec une mine sombre. Le capitaine était parti au petit matin demander l’autorisation d’amarrer le navire au port Pemendorien, et depuis, aucune nouvelle. La quatrième heure de Midi était déjà passée, et le capitaine n’était toujours pas revenu. À la cinquième, le Roi se leva de son banc.
-Au Port. S’ils veulent faire attendre le Roi de Meisa et d’Anterran, ils apprendront que ma patience a des limites.
Et les hommes acquiescèrent, plus soucieux pour leur capitaine que pour la patience du Roi, mais d’accord avec lui sur la méthode à suivre. Le Corbeau Noir reprit son allure et s’approcha du port, sur lequel commençait à se masser une troupe de soldats.
Un comité d’accueil ou une farce, je ne saurais dire marmonna le Roi. Il ne sous-estimait aucunement les services d’informations d’Alancor; sitôt le Corbeau Noir, avec le drapeau du Sombrechant flottant fièrement au vent attaché à son mât, en vue du port, ils savaient qui était à leurs portes, donc, il savait qu’ils ne l’accueilleraient pas chaleureusement. Mais l’hostilité était une mesure de sécurité qu’il avait appris à apprécier chez les inconnus; cela voulait dire qu’il avait autant le droit de se méfier d’eux qu’eux de lui.
Le navire accosta sans problème, malgré les appréhensions de l’équipage; des flèches enflammées ou quelque chose, voilà à quoi ils s’attendaient, apparemment à tort. Les marins se jetèrent du navire pour poser le pied au port dans une admirable démonstration d’agilité et d’acrobatie. Les marins Meisaens semblèrent tout de même vexer certains habitants du port, car tout muscle dehors, vêtus d’un pantalon bouffant et de bottes, ils ne semblaient avoir aucune gêne à exhiber leur physique puissante. Deux marins firent alors tomber un grand escalier, et de cet escalier descendit le Roi de Meisa, ses cheveux longs et noirs volant aux quatre vents, lui qui n’avait pas pris la peine de couper ses cheveux depuis qu’il était parti en mer. Il posa le pied sur terre et lâcha un soupir de satisfaction de ne plus sentir le sol tanguer sous ses pieds au gré des vagues. Enfin le plancher des vaches.
Le Roi n’eut pas vraiment le temps d’apprécier le sol qu’un homme s’approchait, entouré de gardes, en vociférant des jurons, frappant le sol si fort de ses pas raisonnaient jusqu’au navire. Le Roi n’aimait franchement pas la tournure que les choses semblaient prendre, mais fit tout de même signe à ses hommes de baisser leurs armes. Il était inutile de commencer inutilement des hostilités. Plusieurs épées furent rangées dans leurs fourreaux avec grande méfiance, mais tous obéirent sans s’objecter. L’homme s’arrêta devant le Roi.
-Comment osez-vous poser le pied sur mon port sans autorisation?
-Nous avons demandé l’autorisation avant de le faire. M’est avis que mon capitaine vous a…
-Vous n’avez aucun droit ici, étranger! Il s’agit des terres de la Reine Cécile d’Alencor, vous n’êtes pas…
-Monseigneur, je vous conseille de vous calmer, fit le Roi d’un ton plus calme, tout en restant très menaçant. Causer un incident diplomatique n’est certes pas votre intention, ni la mienne. Par contre, si vous ne changez pas votre ton en ma présence, je doute que votre Reine n’appuie votre conduite. Qui plus est, ma visite est tout ce qu’il y a de plus pacifique. Votre port, comme vous vous plaisez à l’appeler, est l’accès principal à vos terres, et j’ai fait parvenir ma requête dans les règles. Maintenant, où est mon capitaine?
-Votre… Capitaine?
-Oui, mon capitaine. Un homme de grande taille, la peau sombre, une tête à faire peur…
-Nous avons effectivement arrêté un espion qui…
Serenos semblait sur le point de frapper son interlocuteur. Mais il s’en abstint.
-Je vous demanderais courtoisement de me rendre mon subordonné et de nous libérer le passage. J’ai matière à discuter avec votre Reine, et je ne crois pas qu’il serait sage pour vous de me contenir ici. Je ne suis pas le Roi, ici, j’en ai assurément le savoir, mais je ne crois pas que votre rang vous autorise à décider si, oui ou non, je puis me rendre à Alencor pour présenter mes respects à Sa Majesté.
Qui qu’il soit, l’homme semblait être d’accord pour ne pas prolonger la discussion et fit signe à un homme, qui s’empressa de tourner les talons et se mettre à courir. Au bout d’une demi-heure, il revint avec le capitaine. Le commandant naval salua son Roi avant de prendre son congé, remontant à bord du Corbeau Noir avec une étincelle de fureur dans l’œil que le Roi ne manqua pas de détecter. Assurément, il était outré. Serenos s’assurerait de réclamer réparation auprès de la Reine en temps et lieu. Il suivit ensuite l’officier dans son bureau et y remplit les papiers d’autorisation. Décidément, il ne pouvait visiter quelque endroit que ce soit sans causer des vagues. Mais bon, quand on était un étranger, roi ou pas, les gens se méfiaient. Mais de là à arrêter un marin sans lui poser la moindre question… quelque chose se passait dans ce royaume. Et cela piquait la curiosité de Serenos comme une tique.
Une fois les papiers remplis et frappés du sceau de l’officier de port, le Roi quitta le bureau avec sa copie et la fit parvenir à son capitaine, tout en conservant son papier de droit de passage. Il glissa à l’autorisation un ordre spécial pour le capitaine « Rentrez en Meisa. Si je n’envoie pas de nouvelle d’ici une semaine, vous avez consigne d’informer le Conseil de Guerre. » On était jamais trop prudent, et il se méfiait de cet officier.
Il quitta donc le port, entouré de sa garde rapprochée, incluant Alessa, la Matriarche des Gardiennes Meisaennes. Il ne faisait pas confiance à beaucoup de gens, mais lorsqu’il s’agissait de cette femme, et seulement elle, il ne craignait pas d’être trahi. Alessa mourrait pour lui, s’il le fallait, parce qu’elle ne laisserait personne d’autre qu’elle-même lui passer une arme dans le corps, tout en attendant l’heure où il ne serait plus utile au Royaume pour passer à l’acte. Et elle ne changerait pas d’idée, parce qu’elle voulait voir Grymauch sur le trône avant de voir Serenos au bout d’une lance. Une chose qu’il lui avait garanti de ne jamais voir si elle tentait ou laissait faire quoi que ce soit.
-À pied? Demanda-t-elle en penchant la tête sur le côté.
-Un Roi ne voyage jamais à pied, rétorqua-t-il en levant les mains.
Comme suivant sa commande silencieuse, les six voyageurs furent soulevés par une force invisible, et aussi vif que l’air, traversèrent le ciel tel une envolée d’oiseaux.
-Savez-vous au moins où aller, votre Majesté?
-Si tu vois une grande route, la plus grande ville se trouve à son autre bout. Et puis, les ports ont une route principale qui dirige toujours les commerçants vers la capitale sans détour, pour éviter les pertes de chargement et les détournements de marchandise. Sauf à Ashnard, puisque les brigands ashnardiens paient une taxe à l’Empereur, soi-disant.
Et Serenos avait raison; en suivant la route commerciale, il était aisé de trouver la cité où résidait sa Majesté la Reine Cécile. Pour éviter une soudaine attaque d’archers, il usa à nouveau de la magie pour cacher leur présence ainsi que leurs corps aux yeux des hommes, pour se poser directement devant le palais… où les attendait beaucoup de magiciens, qui les avait senti venir à des kilomètres à la ronde. Encerclés de toute part, Serenos lâcha un soupir, au même moment qu’Alessa, tout en levant les mains en l'air, bien qu'ils ne doutaient, ni l'un ni l'autre, qu'ils auraient pu prendre la fuite avant même que ces mages n'aient prononcé leur premier mot de sortilège.
-Et maintenant, ô mon Sage et Omniscient Roi?
-Eh, bon, ça va, hein.
-Si on déclenche une guerre, ce sera de...
-J'ai dit "ça va". On saura, que c'est de ma faute, ronchonna le Roi en cherchant du regard lequel de ces magiciens semblait être le chef de clan.