Oh que si j’étais sérieuse. Tout me poussait à l’être depuis l’enfance, car les saloperies n’attendant pas la majorité pour tomber sur les gens. Moi j’en avais connu une palanquée, et les cicatrices restaient bien présentent dans ma mémoire. Elles me disaient : la plus grande force du diable et de se parer des atours de l’ange. Rien de tel que de faire la gentille et de s’acquérir la confiance d’une personne pour la poignarder ensuite dans le dos. Je m’y connais en la matière, j’ai expérimenté des deux côtés de la lame. Je restais donc suffisamment sur la défensive pour lui coller un pruneau dans le citron si elle s’avisait de tenter quoi que ce soit d’un peu trop louche et violent. Mais en attendant je la laissais écarter mon arme par le canon, la mine maussade et dubitative.
«-Toi et moi nous ne devons pas avoir les mêmes histoires à raconter. Les miennes regorgent de faux semblants. Ça aiguise la paranoïa, désolée.»
Je me suis laissé aller dans mon fauteuil, toujours suffisamment alerte pour ma sécurité. Je l’écoutais alors d’une oreille qui pouvait sembler distraite. Le job d’aventurier demande certaines qualifications, surtout pour une femme seule comme moi, notamment d’être bon acteur. Je bougeais donc mon siège du bout d’une patte tout en l’observant d’un œil quelque peu dans le vague. Derrière celui-ci, la turbine tournait et engrangeait de l’information. Il était tout à fait possible qu’elle soit ce qu’elle prétende. Une sorte de collègue donc. Bon, il fallait tenter de positiver.
J’avais dans mon vaisseau une inconnue. Elle était armée. Elle parlait de magie en précisant qu’elle n’en manipulait pas une en particulier. Donc elle était tributaire d’un autre pouvoir. Trois points noirs. Mais elle s’était portée à mon secours. Elle était intelligente, elle avait agit sans avoir à poser de question ni attendre d’explications. Elle n’avait en effet pas l’air bien agressif, même si je préfère ne jamais parier sur l’apparence. Ce pouvait être une collègue, une sympa qui plus est, ce qui est rare dans mon métier. Les gens préfèrent se tirer dans les pattes pour récupérer le plus de gains possible. Et enfin, c’était une femme, et une mignonne. Pas de risques que Mr zizi vienne se mêler des affaires d’attributions, et moi je pouvais me rincer l’œil sans piper mot ni que ce soit bizarre. L’intérieur du vaisseau est tellement exigu que je n’ai tout simplement pas le choix. Je la vois, quoi qu’il arrive.
D’un autre côté, même la plus adorable des bestioles peut cacher une fourberie mortelle. Et les créatures comme elle et moi se placent nettement au dessus de ce que la nature sauvage peut produire de plus intelligent. C’est pour cela que je n’aime pas tellement tomber sur des aventuriers quand je suis moi-même sur un coup. J’ai beau aimer la compagnie, j’ai toujours peur. On peut me blâmer, mais je tiens à ma vie quand même, et j’ai déjà éliminé plusieurs soit disant compagnons qui auraient fait de même si je n’avais pas réagit.
«Bouge pas. Je vérifie un truc.»
Je la chopais alors par le col en la tirant vers moi en même temps que je me pliais, de sorte que ma truffe se retrouva si proche de son nez que j’aurais put l’embrasser. Durant une poignée de secondes je la reniflais des oreilles jusque dans le cou avant de me redresser.
«Moui. Tu as l’odeur de quelqu’un qui pourrait barouder sans être un salaud. On va dire que je te crois, je préfère ça que d’essayer de te tuer et que ça finisse mal pour une raison ou une autre. J’aime pas ce genre de choses…»
Je me trémoussais un peu en me rencognant dans mon fauteuil avant de répondre à ses questions.
«Moi je suis une simple terranide en vadrouille. Mon boulot c’est d’explorer là où les autres ne veulent pas fourrer leur nez. Catacombes, temples, ruines, forêts, tertres, entrepôts désaffectés, usines aux cuves défoncées. Je vais là d’où le vent a porté les rumeurs pour les vérifier. Une fois rentré j’essaye de revendre mes trouvailles. Ce n’est pas un travail très gratifiant mais c’est tout ce que j’ai, alors je le ferais de mon mieux jusqu’à crever. Je dois m’enfoncer encore de quelques milliers de kilomètres dans le coin. Paraît que des tribus discutent à propos de quelque chose qui se réveille. Probablement une prophétie quelconque, ou une bêtise qui s’est ancrée dans les mémoires jusqu’à devenir une parole divine. Pardonne moi si tu as des croyances, je ne les insulte pas, je parle d’expérience.» Tout en m’expliquant j’avais entreprit de démonter les quelques pièces constituant l’extrémité du canon de mon arme et je jouais avec en les replaçant.
«Ah et, attend. Je crois que j’ai un truc quelque part pour mon espèce. Je ne sais plus vraiment où c’est.»
Je me retournais alors rapidement dans le cockpit pour farfouiller. Les papiers au sol et les clefs de stockages parsemaient l’habitacle. Il me fallut plus de cinq minutes de recherche pour retrouver un dessin que j’avais réalisé et le projeter à l’écran. Il s’agissait d’une sorte de croisement entre une patate et un violent coup de pelle, avec peut être un tentacule et deux excroissances triangulaires.
«Je… C’est… J’ai tenté de dessiner ce que je dois être en animal… Mais je sais pas, je trouve qu’il manque un truc… Peut être la forme du museau, je sais pas, c’est bizarre.»
Je restais ainsi à contempler mon œuvre sur les écrans du cockpit. Ça ne ressemblait à foutrement rien, et je n’avais aucune idée de ce que j’étais réellement. Je n’ai pas répondu à la question sur mon véhicule. Pas envie. Si je buvais un peu j’en causerais peut être plus tard, ça m’arrive des fois…