Un festin de roi ! Même le plus simpliste des mets revêt, pour Stephen, un caractère exceptionnel. Oubliés, pour quelques instants, les distributeurs de nourriture aseptisée, fracturés au gré de ses pérégrinations. Cette chambre froide recèle de vrais trésors, des salades composées délicieuses à base de vrai poisson et non de surimi bricolé, des jus de fruits frais bien loin des produits industriels qu’il ingurgite en général. C’est presque incroyable que, dans un lycée japonais, se trouve une meilleure nourriture que dans son équivalent français.
Facile, dans ces conditions, de se constituer son dîner. Un beau plateau repas, un généreux saladier de thon, de crevettes grises et roses, des pointe d’asperges, des anchois très saumurés, des dés de melon et de kiwi, sans oublier des tranches d’ananas. Un mélange complètement farfelu, mais dont il a envie, juste pour se rappeler ces senteurs. Il aurait pu rajouter des ingrédients, tant les lieux sont accueillants. C’est même à se demander si, dans ce lycée, il n’y aurait pas une section hôtelière dédiée à la vraie gastronomie.
Le saladier est immense, et il le pose sur le plan de travail. Il s’est même trouvé un petit pichet de vin rosé, un luxe ici, que doivent se réserver certains cuistots. Tant pis pour eux ! Il attaque avec appétit le plat, mangeant directement dans l’immense saladier qu’il se fait un devoir d’entièrement vider. Les couverts font parfois du bruit en cognant le métal, mais peu importe ; s’il y a peut-être encore quelque enseignant, ce serait dans l’autre aile du bâtiment. Et, comme la cuisine semble propre, c’est que le personnel d’entretien a dû déjà passer.
Stephen est seul dans les lieux, il resterait même y faire une petite sieste ; mais, quitte à être entré, autant visiter un peu le bâtiment, histoire de voir s’il n’y a pas des choses utiles à prendre. Rien qui ne soit superflu ! Il est là pour survivre et non pour voler. Il réfléchit à l’organisation de ces visites… quand un bruit se fait entendre. Une chute, une chute d’objet.
« Putain, il y a quelqu’un », comprend-il aussitôt.
Il était tellement occupé à se bâfrer qu’il en a baissé sa garde, et n’a perçu aucun signal avant-coureur. Il lui a juste semblé entendre un soupir avant le bruit, mais sans certitude. Par contre, aucun doute sur les pas de course qui ont suivi. Très légers d’ailleurs, et bizarrement entrecoupés de tintements d’une clochette. Encore plus étrange ! Un chat avec sa clochette ? Une fille avec des bijoux qui tintent ? Le premier aura eu plus peur que lui. La deuxième est peut-être une lycéenne, proie facile.
Seule la veilleuse de la chambre froide dessine encore la silhouette de Stephen qui, malgré sa stature, parvient à se déplacer en silence. La porte de la cuisine est restée entrouverte, donnant sur un couloir sombre. Le piège idéal ! L’autre l’attend juste derrière, un poignard ou un gourdin à la main.
A pas feutrés, il avance dans un silence glacial. L’autre doit retenir sa respiration, à moins que ce ne soit vraiment un chat qui a détalé. Il parvient juste derrière le battant de porte, sans toujours savoir ce qu’il va faire. Sans un bruit, il saisit la porte pour l’ouvrir davantage ; si elle n’a pas grincé quand l’intrus est arrivé, elle ne fera pas davantage de bruit.
Mais la poignée de porte lui reste dans la main, tandis que l’autre poignée tombe à terre dans un bruit en devenant assourdissant au milieu du silence. « Et merde ! », lance-t-il, sans même réfléchir à qui pourrait l’entendre.
Raté pour l’effet de surprise, il débouche aussitôt dans le couloir sombre, tenant toujours en main son stupide morceau de poignée.