Le Roi des bas-fonds était sur son trône - un fauteuil doublé de cuir, aux larges accoudoirs rembourrés, fiché derrière un immense bureau où traînaient paresseusement des dossiers entassés là depuis trois semaines, pour certains.
La paperasse. Ce truc de fonctionnaire. Des choses qu'ils n'aimaient pas - l'hypocrisie, la bureaucratie, la diplomatie, le clientélisme, et toutes ces choses de l'Etat qui brident la liberté - il s'était fait des armes puissantes qui se retournaient contre leurs créateurs. Les hommes étaient désespérément faillibles, et il eut suffit d'arroser une seule fois la bonne personne avec une somme d'argent conséquente pour bloquer tout un processus législatif, judiciaire ou militaire. Si la personne éprouvait un peu de morale, il suffisait d'agiter quelques menaces devant ses yeux, le chantage aux sales petits secrets, votre femme serait-elle au courant de vos penchants pour les hommes ? Voyons, ça doit rester entre nous, nous sommes des gens de secrets, prenez cet or et faites ce que je vous dis. Quant aux documents, c'était son petit génie, prince des maths et de la plume, Isaac, seul ami en ce monde de brute, qui faisait le travail. Doté d'une mémoire hors norme et d'une vitesse de réflexion sans égal, cet esprit scientifique et froid était le lieutenant-secrétaire-comptable-assistant idéal. Tout était noté, copié, mémorisé, stocké, et brandi à l'administration quand il le fallait, ou utilisé auprès de personnes privées pour prendre un ascendant.
Le savoir, c'est le pouvoir.
Ce qui faisait de lui l'un des hommes les plus puissants de Nexus. Peu importe les rangs et les grades : les informations compromettantes et l'argent le rendaient au-dessus de tout, y compris des lois de Nexus. Quelques fois, il était passé devant les cours de justice ; chaque fois, il était reparti libre.
Le roi, donc, était sur son trône... et rendait justice. En face de lui, un noble et un marchand de Nexus. Derrière eux, un esclave chacun. Les hommes se querellaient pour une histoire d'argent, transaction dont Law avait été l'intermédiaire. Plutôt que de s'adresser aux tribunaux des hommes, c'est à sa juridiction qu'ils se sont soumis. Pendant qu'il les écoute se disputer, Isaac, debout à ses côtés, griffonne sur un papier qu'il lui tend.
"Tu en rêvais, que les princes de Nexus viennent se plier à ton jugement de leur plein gré".
Il sourit, jette le papier à la cheminée après l'avoir mis en boule, et lève autoritairement la main pour faire taire les deux hommes.
Le Roi s'apprête à prononcer les sentences.
Le noble et le marchand se taisent.
Le Pouvoir...
Le noble était parti en premier, plus ravi que l'autre puisqu'il avait été favorisé. Pour garder la fidélité du commerçant, il lui donnait aussitôt des garanties futures. On les baisera, ces pourris, un jour, baratin habituel qui rassurera le marchand, repartant avec la promesse de faire de nouvelles affaires futures avec Law.
C'est donc après cet interlude d'orgueil que Law laissait sa tête tomber sur son plan de travail, gromellant sa fatigue et sa faim.
-À bouffer.
-Une esclave pour accompagner ça ?
-Flemme. Un thé suffira.
À l'étage du dessous, une agitation sans borne saisissait le casino. Un gros joueur venait de casser la banque, et pris d'une frénésie de victoire, il jetait un par un ses jetons en riant dans une foule qui tendait les bras. Les serveuses peinaient à circuler sans renverser mais, professionnelles, gardaient le sourire. L'une d'elle, passant à côté d'un bar, se faisait attraper par un client qui cherchait à la peloter. Le barman commence à s'opposer, mais l'employée l'arrête immédiatement.
-Chou... tu veux consommer de la chair fraîche ? Il y a des salles au fond avec des filles rien que pour toi. Moi, je sert juste à mettre en appétit... lâche-moi s'il te plaît.
Elle s'écartait en forçant un peu et repartait avec un petit sourire aguicheur. Elle lâchera un "connard" murmuré une fois éloigné.
Bref. Ce soir encore, le Boss de la mafia, seigneur du crime à Nexus, allait se faire un max de blé.