Shin était logique et ça faisait plaisir à entendre, mais lui aussi se trompait en pensant que l'état de son corps était une réponse suffisante aux craintes du géant qui ne soupirait pas, laissant un temps d'attente comme il en avait l'habitude, soufflant juste un nuage de fumée épais alors que son écharpe glissait vers le sol, tirée par l'index brûlé d'Amser. Index qui constituait une démonstration suffisante pour ce qu'il allait tenter d'expliquer, une chose simple et peut-être même surprenante. Mais il fallait que Shin comprenne que tout avait une limite, que rien n'était éternel, même chez les dieux.
Première preuve de ce qu'il expliquait : ses lèvres se régénéraient à la vue de l'homme alors qu'une balafre restait gravée à la gauche de celles-ci, touchant celle du haut comme celle de bas sur une distance d'un peu près cinq centimètres. Une blessure qui ne disparaissait pas et pas seulement parce que le forgeron se refusait d'effacer cette trace du passé de son visage.
« - Je crains que tu te méprends. Le don de régénération ne veut pas dire que l'on ne peut pas être blessé, il suffit juste de trouver le bon moyen et admire ceci, une créature que tu peux limite trancher en deux sans le tuer et pourtant, des traces qui ne disparaîtront jamais. »
L’épaisse nuée qui s'échappait de ses lèvres ne les cachait pas mais cachait assez bien le visage de l'homme qui soufflait doucement devant lui comme pour que ses paroles atteignent le garçon, tendant une main couleur sang vers lui, l'état de sa peau annonçant assez bien une vieille brûlure d'un haut degré et qui, tout comme la plaie sur ses lèvres, ne pouvait pas guérir. Et alors qu'il s'attendait à ce que Shin réfléchisse, il ramenait sa main vers son propre visage comme si ça avait été la trajectoire naturelle de celle-ci, un geste ample prévu à cet effet sans l'intention de le pointer de ces doigts cramoisis, comme si ceux-ci n'avaient comme mission que de remonter la bande de laine pour cacher son visage et calmer la cheminée folle qu'il était devenu, la fumée n'ayant plus été filtrée par le foulard.
Tordu presque d'un demi-tour pour faire face à l'épéiste, il voyait sa main guérir et riait brièvement en voyant qu'effectivement, il avait un don en commun avec lui. Cependant, il espérait que son avertissement allait suffire au garçon pour qu'il comprenne que ces tours de passe-passe ne marchaient pas toujours et Amser se remettait en route, se tordant une nouvelle fois. Est-ce qu'il venait de faire un tour complet sur son bassin ? C'était difficile à établir à cause de tous les couvertures qui le couvraient et qui donnaient l'impression que ce n'était qu'un cheminement d'étage pliant dans des sens opposés, comme si son corps était un puzzle mais au-delà d'être inutilement impressionnant, peut-être que Shin allait se dire que le forgeron était une sorte de référence. Un monstre au don inné de guérir qui se trimbalait avec des balafres qui combattaient un pouvoir aux origines divines certainement.
... Des bandits ?
« - Attends gamin ! »
Trop tard, il s'était à peine tourner vers lui que Shin filait déjà. Quel dangereux personnage ! Il allait les tuer pas vrai et déjà un regard plein de peine brillait sous la capuche du géant, se rendant compte qu'il était moins rapide que le guerrier qui allait se faire une joie de rendre sa messe barbare. Spectacle désolant... Mais le forgeron devait bien respecter les choix des autres, non ? Alors il s'immobilisait, comme marmonnant ses pensées intimes à la recherche d'un compromis correct avec lui-même. Lui faire le bonheur de prier avec lui ? En le tuant lui et les bandits qui le fuyaient presque ? Non... Il était peut-être un monstre mais pas dans ce genre là. Une main sur le bord de son cache-tête duveteux, Amser s'avançait en faisant mine de rien voire. Autre lieu, autre temps, autres mœurs ! En tout cas, l'affaire était vite réglée et il entendait même Shin le citer, ce qui le vexait presque à moitié mais à ça, il répondait par un rire chaleureux, contrastant d'une manière macabre avec le décor dans lequel ils se trouvaient.
« - Quelle étrange justice. Fais attention ne pas croiser un alter-ego, il pourrait te trancher sans que tu ne puisses rien faire... Ce serait frustrant, n'est-ce pas ? »
Les deux cœurs du forgeron ralentissaient lorsqu'il voyait les gens au sol, comme faisant leurs deuils avant de se pencher. Il n'avait pas le cœur à chanter mais il avait faim alors, se disant que Shin était plutôt du genre sociopathe, il se permettait de prendre l’œil qui pendait dans le vide, relié par un nerf et de le tirer, jusqu'à le gober discrètement, aspirant le lien de chair comme un spaghetti. C'était chaud, l’œil éclatait dans sa gorge en laissant son jus remplir la bouche du monstre qui l'avalait pour savourer une seconde fois la chaleur qui était alors différente. De la nourriture... Ils étaient morts, pourquoi gâcher ça ? Des rapaces allaient venir les manger et Amser pouvait se vanter d'être charognard lorsqu'il le fallait, sa conscience et son corps le remerciant de prendre soin d'eux lorsqu'il se permettait de prendre un peu de cerveau, croquant et aspirant la matière un peu visqueuse jusqu'à avoir fini l'une des boites à idée d'un bandit, celui dont la tête était le plus ouvert. Tout ça pour finir avec un rôt ? C'était décevant...
« - N'abusons pas des bonnes choses mon garçon ! Le tabac nous attend ! »
Ce n'était pas un cannibale, il n'appartenait pas à leur race alors son repas était pareil à celui d'un loup et d'un mouton, rien de bien monstrueux, juste quelque chose de naturel, une chaîne alimentaire qu'il devait respecter bien qu'Amser était un curieux prédateur, carnivore qui tentait de ne manger que de l'herbe. Anormal ? Pitié, on a tous quelques choses de particulier... Pour le forgeron, c'était sa conscience, l'envie de se sentir proche des races inférieures à son métissage mais quelques fois, il fallait revenir à la réalité et comme il avait faim, ça s'arrangeait.
Un pied sur le torse de l'homme qu'il avait commencé à manger, il tirait son bras doucement pour séparer ses chaires et Amser ne gardait que l'avant bras dont il enlevait le tissu, mordant dedans en ronronnant. Le sang chaud sur son visage et dans son corps, ça réconfortait... Maintenant, il devait vite mordiller partout pour rendre la pièce méconnaissable, l'histoire que les gens du village ne paniquent pas, ce qui serait dommage pour ses affaires en faites.
« - Je suppose que ceux de votre race ne se mangent pas l'un l'autre ? Ça existe chez certains peuples, maintenant pour les humains... Bon, il y a peut-être du pain et de la viande de vache là-bas, ça sera peut-être plus à votre goût. On y va, mon garçon ? »