Tapie au fond des Enfers, une cigarette immense et longue au coin de la bouche, et les yeux pâlis par l'ennui, Muse n'avait eue de cesse de s'ennuyer. Admirer les suppliciés était un passe-temps. Les regarder souffrir - non, pas mourir, ils ne sont pas là pour ça - était tout aussi divertissant. Tout autant que veiller au bon fonctionnement d'un écosystème hors de toute atteinte et de toute réalité : L'Enfer.
Pour le moment, tout allait bien, même pire. Les livres qu'elle protégeaient ne protestaient pas, l'Enfer allait décidément de mieux en mieux, au rythme des vers autrefois tracés par un des meilleur poètes italiens. Dante. La jeune créature souffla quelques vers au vent, et se releva du siège de racine sur lequel elle s'était posé, et admira le ciel de souffre qui tonnait au loin. Une odeur de cendre, dans l'air ... Un orage se préparait sur l'Enfer, ce jour. Elle comptait bien y rester pour l'admirer ... Elle joignit les mains, trépignant de joie, admirant les nuages qui se préparaient, au loin, noir d'encre et de foudre, et remit sur ses épaules sa longue cape noire, se protégeant d'une bise fine et chaude comme un brasier.
Quand elle la sentie. La douleur. Qui se mit à trépigner au fond de son cœur. Cette souffrance lui arracha un cri sourd et rauque, tandis qu'elle reprenait son souffle avec difficulté. Le livre est en danger. Elle ferma les yeux, visualisant la scène, la main posée sur son cœur, étreignant la peau blanche de son corps blafard. Un homme. Un chat. L'oeil. Et le livre, en flamme, agonisant. Dans un grognement digne d'une muse, elle serra les poings.
"Emmène-moi où tu es
Moi seule peut encore de libérer."
Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle se retrouva dans la pièce où le livre mourrait à petit feu. Elle ôta sa cape, la jeta sur l'ouvrage en flamme, afin de faire taire ce feu, et se jeta aussitôt sur l'homme, toutes griffes dehors. De sa main droite, elle pointa le sol.
" Disparais, création.
Efface d'ici ton seul nom.
Que mon souffle décadent,
Ôte ce pentacle d'un même temps.
Que par mes tendres élixirs,
Il ne soit plus qu'un souvenir."
Une voix qui ordonne, une voix que l'on craint ... Le pentacle, aussitôt, s'effaça, volant au vent et se perdant dans l'atmosphère. Elle s'ôta du jeune homme - sauter ainsi sur les gens ne lui ressemblait guère, l'agitation sans doute ... - et récupéra sa cape. Le feu était éteint. Elle prit le livre dans ses bras, le serrant contre son corps, inspirant violemment. Il était sain et sauf.
Elle reprit son souffle, et ferma les yeux. Quand elle les ouvrit à nouveau, ils brillaient de milles flammes malsaines et inquiétantes. Son regard se posa sur le chat - un familier, sans doute - puis sur le jeune homme. Elle fronça les sourcils, et posa le livre sur le sol, à ses pieds. Elle passa ses mains sur sa robe, une toge d'une noirceur inconnue, comme une masse vivante et grouillante.
" La mélopée de sa douleur
M'a menée jusqu'ici.
Dites-moi par quel malheur
Vous avez eu l'idée de jouer avec ceci ! "
Elle pointa du doigt le livre, la colère teintant définitivement sa voix.
" Seriez-vous sans esprit,
Pour risquer ainsi sa vie ? "
Eh ... Oui, elle parlait toujours du livre. Elle passa sa main dans ses cheveux noirs, où se déroulait, comme toujours, ce sortilège étrange ; des papillons de cristal noir, vivants, soutenaient ses cheveux tour à tour, battant des ailes.
" Je suis la Muse, oui.
Celle d'un livre qu'on occis,
Et d'un Enfer exquis,
Né du plus beau des esprits. "
Ah, vanter ainsi Dante ... Une habitude qu'elle jugeait nécessaire. Elle les regarda à nouveau. L'un d'eux portait l'oeil ... Bah, qu'il le garde, tant que le livre restait en vie ....