L’hostilité des Amazones à l’égard des étrangers se justifiait par la même raison qui justifiait l’hostilité des étrangers à l’égard des Amazones : les rumeurs et la réputation. La Horde des Amazones avait une très mauvaise réputation auprès de la paysannerie, où on les voyait comme des barbares assoiffées de sang, qui pillaient et rasaient les villes, massacraient et torturaient les mâles, tout en violant les femmes (la rumeur prétendait même que, comble du vice, ces démones ne prenaient que les plus belles, ne laissant aux survivants que les laiderons), on disait qu’elles tuaient les bébés trop faibles pour survivre, donnant leurs dépouilles à manger aux autres bébés amazones, se livraient à des rituels païens et à des sacrifices sanguins au nom de leur Déesse renégate, et pratiquaient massivement l’inceste et d’autres pratiques monstrueuses. C’était une méconnaissance totale des Amazones, mais l’inverse était vraie. Les Amazones grandissaient au sein de la rassurante Horde, et les rumeurs du monde extérieur circulaient de la part des Amazones qui en sortaient, soit pour accomplir des missions, soit pour réaliser leur pèlerinage. On disait que le monde extérieur était dangereux, rempli de prédateurs, de bourreaux, de violeurs, de meurtriers, de seigneurs abusant de leur autorité, que la famine et la peste ravageaient les villes et les pays.
Les trois Amazones restaient ensemble, et les regards cessèrent bientôt, les conversations reprenant. Dans un coin, des musiciens et des troubadours faisaient quelques notes, sus les regards rêveurs des enfants. Astrid fut la première à s’avancer, vers le comptoir. Comment trouver Jack ? Elle ignorait tout du fonctionnement d’une auberge, n’ayant encore jamais eu besoin d’y aller. Les Amazones préféraient bivouaquer à l’air libre, où il n’y avait aucun risque de se faire attaquer par un homme. Charis s’avança alors, la doublant, rejoignant le comptoir.
«
Tavernier, s’exclama-t-elle en posant une main forte sur le comptoir,
donne-m-en une bonne, et que ça saute ! -
Si que ça peut vous faire plaisir, ma p’tite dame ! » s’exclama le tavernier d’un ton guilleret.
L’auberge semblait plutôt bien marcher. Tanya s’avança un peu, nerveuse, et vit, dans un coin, près de lits sommaires, des pugilistes en train de s’affronter, sous le regard amusé des clients, et sous celui, plus intéressé, des parieurs. L’auberge formait une sorte de U aux petites branches, comprenant donc deux ailes, l’une des deux menant au coin des pugilistes, l’autre à un escalier en bois menant aux chambres. Le tavernier posa une choppe de vin.
«
Voilà pour vous faire plaisir, ma p’tite dame ! »
Il avait un léger accent. Charis le remercia, et nota alors qu’il y avait, sur le comptoir, une elfe. Elle était plutôt sexy, et Charis la reluqua des pieds à la tête. On racontait beaucoup de choses sur les elfes, mais, entre les contes et la réalité, il y avait souvent une différence. Les elfes, comme toutes les autres espèces non-humanoïdes, faisaient, dans de nombreux royaumes, l’objet d’un racisme assez marqué, pouvant parfois conduire à des guerres civiles. Plusieurs sœurs avaient vu des villes avec des affiches délibérément racistes, les conseils municipaux adoptant une attitude clairement raciste, refusant de délivrer aux non-humains des autorisations administratives sans que ces derniers s’acquittent de lourdes taxes. Mais, visiblement, cette elfe-là semblait plutôt respectée.
Ce fut Astrid qui cherchait plus activement. Elle s’avançait le long des tables.
«
Vous connaissez un certain Jack ? demanda-t-elle à un joueur de cartes.
-
Nan, mais si tu veux, ma poulette, je peux te faire connaître ma bite ! »
Astrid ne répondit pas. Les hommes... Elle s’écarta un peu, continuant à marcher.
«
J’ai la bonne mémoire de mes clients, glissa l’aubergiste à Charis.
Vous ne seriez pas ces trois femmes dont qu’on parle dans toute la région, une fois, hey ? -
Je... Oui... -
Z’avez finalement décidé à voir de la bonne compagnie, hey ? Z’auriez pas pu mieux tomber... Si fait que je vous jure, ma Dame, on est en haute compagnie c’soir ! »
Le comprendre n’était pas très simple, et il se pencha vers Charis, pour lui murmurer, sur le ton de la confidence, en désignant l’elfe :
«
C’est Valiance l’elfe. -
Ah... »
Elle n’en avait jamais entendu parler.
«
Je cherche Jack, un chasseur... -
Jack ? Ouais, Jack ! Il est à l’arrière-salle, en train de discuter une fois avec Stev Sten. -
Qui ça ? »
Le tavernier serra les lèvres. Visiblement, Stev Sten semblait être quelqu’un d’important. Charis ne pouvait pas le savoir, mais Stev Sten était en réalité un criminel, le représentant d’une organisation criminelle qui partait depuis Nexus. Dans la région, cette organisation se chargeait du trafic de fisstech, une drogue qui venait de Nexus, et dont on retrouvait des sachets jusque dans les ghettos masculins de Tekhos Metropolis et les garnisons ashnardiennes impériales.
«
Vous venez chercher vôt’dose auprès de Jack, hum ? -
Pardon ?! » s’exclama Charis.
L’aubergiste s’était déjà trop engagé, et lui expliqua que Jack avait différents problèmes avec ses créanciers, notamment la banque qui lui avait fourni de l’or pour qu’il achète des matériaux afin de bâtir sa cabane en bois. Les ventes de peaux de bêtes ne rapportaient pas tant que ça, et, pour arrondir son argent, il vendait le fisstech de Sten auprès d’un clan de non-humains réuni dans les profondeurs de la forêt, en faisant passer cette drogue pour une herbe médicinale. Malheureusement, les elfes s’en étaient rendus compte, et Jack craignait pour sa vie.
Charis reporta son attention sur Valiance. Peut-être qu’elle en savait quelque chose ? Charis ne voulait pas se mêler à des criminels, et essaya de retrouver ses sœurs. Elle eut la surprise de voir qu’Astrid avait décidé de se détendre auprès des pugilistes. Elle se dirigea vers Valiance.
«
Dites-moi... Valiance, c’est ça ? Je... Je m’appelle Charis... Mes sœurs et moi-même sommes à la recherche d’une crypte dans la forêt. Savez-vous où elle se trouve ? »
Au même instant, les troubadours se mirent à se lancer dans une
musique endiablée et festive.