Nous sommes en plein air, sous la pluie. Beau temps pour un enterrement, n'est-ce pas ? Il s'agit en effet d'une cérémonie pour un défunt, guidée par la pluie et un vieux prêtre qui semblait à peine tenir debout. C'est un grand moment, disent-ils. De sa voix vide d'émotion, le prêtre continue à psalmodier sous la pluie. Seules les fines gouttes qui s'écrasent sur les parapluies et le coffre d’ébène font écho à la voix chevrotante du vieux curé qui continue à clamer et prier son dieu pour un bon voyage entre ici et là-bas, entre la vie et la mort.
Sanglots dans l'assemblée. Une veuve éplorée se vide de ses larmes, les mains sur le visage. Ses cheveux roses ne sont pas de la première discrétion et assez peu adaptés à la situation, mais elle ne porte pas de voile. Elle se contente de pleurer bruyamment, tirant tout le liquide qu'elle peut de ses yeux disparates. Son oeil orangé a rougi, son oeil vert conserve sa couleur d'origine. Une longue plainte retentit juste à côté de la veuve. Non, pas une plainte : plutôt une sorte de hurlement brisé. Juste à côté de la veuve, un homme aux cheveux bleus a sa main droite crispée sur son front.
Après cela, un silence pesant s'installe. La légendaire minute de silence, où seuls restent quelques pleurs intarissables. Quelques reniflements, également. Quintes de toux, bruits peu élégants et dotés d'un semblant d'harmonie quelque peu douteux. L'assemblée renifle et retient ses larmes. Seule une mélodie du Grand Orgue vient briser ce moment solennel, après soixante longues secondes dans l'immortel. Les pleurs reprennent, comme programmés. Pater Noster, Ave Maria, chant. Une longue plainte venant de toute l'assemblée réunie en ce lieu, bla bla bla, pour la mémoire du grand, de l'honorable, du majestueux monsieur tout-le-monde. Étonnant comme un mort obtient une importance et une stature que le vivant n'a pas.
Il est temps, et il s'ouvre, ce cercueil. Le dernier adieu au mort, disent-ils, avant son dernier voyage. En l'occurence, le dernier voyage devra être retardé. Mouvement de recul du vieux prêtre qui pousse un glapissement de stupeur en voyant le trou béant d'un Beretta chromé se pointer sur sa cage thoracique et qui s'effondre dans un râle après la détonation, un grand trou rouge entre les deux poumons. Sort ensuite du cercueil un homme en costume-cravate, une écharpe noire autour de la bouche et une vilaine cicatrice sur l'oeil gauche. Rajoutez des cheveux verdâtres et deux yeux dorés, voyez-vous de qui je veux parler ?
- Si on m'avait dit qu'il faisait aussi chaud dans un cercueil, sans doute ne me serais-je pas embêté à voyager au Mali...
Oui oui, c'était sa première parole en sortant de la caisse en bois, essuyant la sueur sur son front à l'aide du drap déposé au fond de la boite. Panique générale évidemment. Pas mal de civils commencent à courir un peu partout, cherchant désespérément la sortie du cimetière. Seule la pseudo-veuve, qui a essuyé ses fausses larmes, fait un petit signe de tête à la sentinelle et se dirige tranquillement vers la sortie. L'homme aux cheveux bleus, lui, jette une enveloppe négligemment à Kenneth. Un coup d'oeil suffit pour lui montrer que c'était sa paye pour un boulot rondement mené.
Pourquoi un tel contrat ? Au final, il s'en fout. Un job est un job, et il doit bien survivre. En parlant de survie, l'ombre qui se déplace derrière les pierres tombales ne lui inspire pas confiance...
Se réfugier.
La chapelle.
La sentinelle court vers la chapelle, se faisant aussi discret que possible.