« Alors, c’est sérieux ?
- Évidemment que ça l’est. Sylvie compte tomber enceinte, et tu sais très bien que ce type de vie n’est pas compatible...
- Je me refusais à le croire... Tu vas vraiment démissionner, Nathan ? Quitter le SWAT ? »
L’homme hocha la tête, confirmant ce que son vieil ami, Alex, disait. Alex n’était pas au SWAT, il travaillait comme inspecteur. Il n’avait pas eu les mêmes résultats physiques que Nathan, mais ils se connaissaient depuis longtemps. Un homme de confiance, qui serait le parrain de sa fille. Sylvie était convaincue qu’elle allait tomber enceinte, et Nathan attendait avec appréhension le jour où Sylvie lui annoncerait enfin la bonne nouvelle. Un bébé... Nathan se sentait tout drôle à cette idée. N’était-ce pas l’aboutissement d’une vie ? Le rêve ultime auquel tout être humain aspirait ? Se reproduire, avoir une descendance, un héritier à qui transmettre ce qu’on était ? C’était le plus beau et le plus dur de tous les paris, le seul qui importait vraiment, le seul qui justifiait cette vie de chiens battus, à travailler comme un forçat, à affronter des banques avares et cupides, à bâtir des maisons, à construire une société.
Alex hocha la tête.
« C’est un choix que je respecte, Nathan... Sincèrement. Sylvie est une chouette fille, et toi, même si t’es un peu con, tu seras un bon père.
- Hey ! Tu dis ça comme si elle était déjà enceinte...
- Hey, qui sait ? Ce serait une bonne manière de finir l’année, tu crois pas ? »
Nathan sourit lentement. Oui, ce serait même une merveilleuse idée. Ils avaient longuement fait l’amour le 24, en pensant que Sylvie serait enceinte le lendemain, au moment de déballer les cadeaux, mais l’indice restait négatif. Une seule maudite barre. Ils n’avaient pas désespéré. Dieu attendait le bon signe, tout simplement. Ils avaient fait l’amour hier, assez longuement, avec cette passion tendre et sauvage qui caractérisait deux amants épris l’un de l’autre. C’était une semaine de fêtes, et ils en avaient oublié les banquiers qui les harcelaient, les dettes qu’il fallait rembourser, ils en avaient oublié Kyle, ce dealer qui avait porté plainte contre Nathan pour contester l’intervention de ce dernier, une manœuvre dilatoire faite dans le but de ralentir le déroulement de son procès, mais qui avait miné la bonne volonté de Nathan. Ils avaient oublié tout ça pour se concentrer sur le noyau de la société, la raison pour laquelle l’Homme était capable d’aimer son prochain : se reproduire.
Le gynécologue leur avait assuré que Sylvie n’avait aucun problème, que ça finirait par venir, mais ils essayaient depuis maintenant deux mois, sans aucun succès. C’était d’autant plus frustrant que, par son métier, Nathan savait qu’il existait quantité de viols résultants en des avortements précipités. Life’s a bitch, dans certains cas. Nathan fumait avec Alex son ultime et dernière cigarette devant l’entrée du commissariat.
C’était le soir, et il avait fini sa journée. Il allait rentrer chez lui, dévorer la dinde, et célébrerait le Nouvel An en se perdant dans le corps de sa femme. Un plan simple, parfait, idyllique. La neige tombait. Il faisait froid, cette année, à Seattle. La neige tombait bien, et quelques flocons tourbillonnaient en l’air. Depuis le commissariat, on voyait les gratte-ciels de la ville, comme le Space Needle. Il y avait emmené sa femme, une fois. Une vue phénoménale, dans une pièce qui vous donnait l’impression d’être dans un film de Star Trek.
« Celle-là, tu vois, c’est ma dernière... La vraie de vraie. Le boulot n’a pas suffi à me faire arrêter, mais un gosse, c’est différent...
- C’est pas comme si le tabac t’avait empêché d’être l’un des meilleurs éléments de la brigade... Ils te regretteront, vieux, ils te regretteront.
- Tu sais ce qu’on dit... Flic, c’est une grande famille. Je quitte le SWAT, mais pas la maison... De toute manière, qui donc voudrait d’un con comme moi, hein ? À part une maison de cons... »
Alex rit légèrement devant cette plaisanterie, et balança son mégot sur le sol, tandis que Nathan l’écrasait proprement contre le cendrier.
« Tu restes de permanence ce soir ?
- Pour sûr. Il faut bien qu’il y en ait un qui reste là... Et j’avais pas envie de revoir ce con de Stanislas ce soir. Mon beau-frère est le roi des cons !
- Je te plains, mon vieux...
- Allez, mon vieux, t’es pas un assistant social, ou je sais pas quelle autre tarlouze de démocrate. Casse-toi, va rejoindre Sylvie, et profite de ta vie, avant de devenir un con comme moi. »
Nathan le salua, et fila dans sa voiture. Il aimait bien Alex, mais, à choisir entre ce barbu et Sylvie, le choix était vite fait. Nathan grimpa dans son tour, la démarra. L’autoradio se mit en marche, et The Police se mit en marche. Every Litthe Thing She Does Is Magic se mit à résonner dans la carlingue de sa voiture.
« So true, bro’... » lâcha Nathan pour lui-même en démarrant.
Quitter le SWAT l’attristait un peu. Il el faisait surtout pour Sylvie, qui était toujours catastrophée quand elle lisait les interventions que le SWAT faisait, face à des types défoncés aux narcotiques, lourdement armés. Femme de flic, c’était le métier le plus difficile du monde, et c’était particulièrement vrai quand votre mari se retrouvait mêlé à des opérations musclées contre les gangs de la ville, les psychopathes en puissance, et les planques de la Mafia. Nathan était têtu, mais, pour son enfant, il se plierait à la volonté de sa femme. Il avait fait peur à son chef de son intention de démissionner après les fêtes.
Nathan roulait tranquillement. La circulation était tranquille à cette heure, et il avait envoyé un SMS à Sylvie pour lui dire qu’il arrivait. Il s’arrêta à un feu rouge, quand son portable sonna. Nathan le prit, et fronça les sourcils en voyant le nom de celui qui venait de l’appeler : « ALEX ».
*Ça, ça sent les emmerdes...*
Nathan hésita un peu, et le prit.
« Nathan ? Navré de te déranger, mais je viens de recevoir un appel de secours de la part de quelqu’un se trouvant près de chez toi... »
Le flic se mordilla les lèvres. Policier avant tout... Alex n’avait pas énormément de flics sous la main. Entre ceux qui fêtaient le Nouvel An et ceux qui allaient contrôler les restaurants pour repérer les individus ivres, Nathan savait que les choix étaient toujours plus limités que ce que le Procureur affirmait aux médias.
« Okay, je t’écoute...
- Des riverains auraient entendu des hurlements dans la maison d’un voisin…
- Et ?
- Ben, c’est pas vraiment le genre d’hurlements qu’on pousse le Nouvel An… Surtout que la famille en question est plutôt du genre à être cool, et tout, avec trois petits bouts de choux adorables comme des...
- Merde, Alex, Sylvie m’attend ! Tu crois que j’ai le temps de me déplacer à chaque hurlement ? Putain,c’est sûrement un vieux qui a chié dans son sonotone !
- C’est sur ton trajet, Nathan. Tu ne perdras rien à vérifier. »
Nathan ruminait sur place. Il pesait le pour et le contre, se rappelant de toutes ces statistiques sur les crimes que les flics négligeaient...
« Bon, file la putain d’adresse. J’aurais un prétexte pour mettre la sirène, comme ça.
- T’es mon pote, Nathan. »
Nathan soupira, et, une fois qu’il eut l’adresse, il démarra rapidement, grillant le feu rouge en allumant les gyrophares, s’attirant le coup de klaxon furieux d’un Seattleite, qui y voyait là un moyen de griller le feu rouge. Il n’eut même pas à paramétrer le GPS de son téléphone portable, car il connaissait l’endroit. Il y fut en deux minutes, et s’arrêta devant une chouette petite maison, dans une rue tout ce qu’il y avait de plus tranquille. Rapidement, Nathan éteignit son gyrophare, et sortit de la voiture. Personne pour l’accueillir. Le mystérieux voisin, probablement un vieux schnoque le matant depuis sa fenêtre pour tuer le temps, devait l’observer en bandant sur place.
*Sylvie va me tuer si j’arrive en retard...*
Nathan s’avança vers la maison. Il y avait des guirlandes dehors, un bonhomme de neige dans le jardin, et des lumières allumées aux fenêtres. Un chouette petit pavillon. Une voiture était garée devant le garage. Une grosse voiture. Une petite bicyclette trônait à côté du perron. Des gosses... Des « petits bouts de choux adorables ». C’était ça qui avait fait mouche : les gosses. Nathan ne supportait pas qu’on touche aux gosses. L’influence de Sylvie, ou son grand cœur idiot, il ne savait pas trop.
Nathan grimpa les marches du perron, et appuya sur la sonnette.
*Crois-moi, tu vas me payer ça, Alex !*