Les deux femmes nues, reliées entre elles par une chaîne, s’embrassaient tendrement. Elles se frottaient ensemble, leurs seins se pressant, et leurs langues continuèrent à jouer ensemble. Deux belles femmes avec de longs cheveux, qui avaient été nettoyées pour l’invitée de Drakengord. Contrairement à la majorité des prisonniers, ces deux sœurs étaient relativement bien traitées. Elles n’étaient pas anorexiques, afin de rester belles, et d’offrir un spectacle rassurant pour ses invités, pour leur prouver que Drakengord n’était pas qu’un endroit uniquement dédié à la souffrance. Ephemera était bien placée pour savoir que les puissants démons rechignaient parfois à se rendre dans sa prison infernale, justement pour éviter le spectacle affligeant des suppliciés. Les prisons infernales étaient généralement l’endroit où les âmes damnées tombaient, après leur jugement au Purgatoire. Un endroit où elles subissaient mille tourments, afin que leurs âmes soient définitivement corrompues, et qu’ils puissent se ressusciter, sous la forme de démons. On ne venait pas à Drakengord pour y subir une quelconque forme de réhabilitation, on y venait pour souffrir, et pour mourir. Ce faisant, Drakengord assurait, schématiquement, la même fonction sociale que les camps de concentration du Troisième Reich : créer une industrie liée autour de la mort. On comprenait donc pourquoi l’endroit n’attirait guère, et ce même si les invités ne se rendaient pas directement dans la prison, située dans la partie inférieure de Drakengord, mais dans le donjon, la partie supérieure, qui abritait les appartements de la Dame Sombre, ainsi que les quartiers de ses proches esclaves et subalternes, dont les deux esclaves en train de se faire consciencieusement l’amour dans un salon.
«
Il est important que cette petite femme comprenne qu’on ne s’attaque pas impunément à l’un des nôtres », marmonna sa sensuelle invitée.
Jambes croisées,
Onyxian était l’envoyée d’un puissant démon. L’Enfer était régi par un principe simple : l’anarchie totale. Pas de règles ici pour gouverner les rapports entre les démons, pas de grand pouvoir régulateur central. Les Juges n’étaient là que pour permettre aux individus rachetés d’aller aux Cieux. Autant dire qu’ils ne servaient pas à grand-chose. Onyxian servait un démon, qui lui-même servait un démon, tout comme Ephemera... Et ainsi, la hiérarchie remontait jusqu’aux Princes Infernaux, maîtres des Enfers. Jadis, durant la Grande Guerre, qui avait opposé les démons aux anges, il existait cette autorité régulatrice, le Palingrène, Monarque des Enfers. Malheureusement, il y avait des millénaires que le Monarque s’était éteint, plongeant l’Enfer dans une situation de chaos chronique et perpétuel. Les démons tués ressuscitant en Enfer, sous une forme plus avilissante, cette guerre était sans fin.
«
Il n’y a pas à craindre l’intervention des Anges, elle est des nôtres. Le pacte nous autorise à retrouver les nôtres, sans risque que ces derniers interfèrent. »
Ephemera l’écoutait. Onyxian était belle et forte, un peu similaire à elle : une arriviste, qui faisait tout ce qu’elle pouvait pour renverser son maître. Elle écartait ses cuisses aux plus offrants, et dominait les plus faibles par son arrogance. Avec Ephemera, elle optait pour un subtil mélange. Cet endroit répugnait Onyxian, Ephemera le sentait, mais elle savait que les techniques de loa femme étaient fiables. Depuis qu’Ephemera avait repris Drakengord, on avait noté une singulière augmentation du nombre de prisonniers, et elle avait pour coutume de diviser sa masse de prisonniers en trois groupes :
- La masse des prisonniers ordinaires, probablement les plus mal lotis ;
- Les prisonniers politiques, amenés ici par d’autres démons, pour subir un traitement particulier ;
- Les prisonniers d’excellence, comme les deux esclaves se tenant entre elles.
Dans chacun des cas, les traitements étaient différents. Pour l’heure, Ephemera comptait ranger cette Haeldra dans la catégorie des prisonniers politiques, en suivant les recommandations d’Onyxian. L’élégante et sauvage démone lui avait expliqué que la femme avait été capturée à Nexus, après avoir tué un puissant démon. Les raisons de la présence de ce démon à Nexus intéressaient fort peu Ephemera. Soit il y était pour soutenir Ashnard, soit pour tenter de corrompre Nexus, et d’éviter que les Ashnardiens ne mettent la main dessus. Dans tous les cas, il était mort, et son âme était en train d’être purifiée pour retourner en Enfer, sous une nouvelle forme. Conformément aux dispositions du pacte passé entre les anges et les démons, chacune des deux espèces disposait d’un droit de justice sur les zones neutres à l’encontre des brebis galeuses. Cet accord avait été autant voulu par les démons que par les anges, et il s’était appliqué, tout simplement.
«
Je m’occuperais de cette petite perle, l’assura Ephemera.
-
Je ne veux juste pas qu’elle meure, ou qu’elle ne soit plus utilisable, trancha Onyxian.
Je veux l’offrir en cadeau à mon maître, d’ici quelques jours. »
Ephemera ne dit rien. Ce n’était pas une précision inutile à formuler. Sous Drakengord, il y avait des rivières volcaniques, des lignes de feu déchirant d’immenses prairies de cendres. Les cadavres s’y amoncelaient par centaines, tombant des geôles de Drakengord pour être dévorés par les monstres sauvages qui vivaient par là.
«
Je viendrais voir l’état d’avancement de sa correction. »
Ephemera hocha la tête, d’un air entendu. C’était tout à son honneur. Elle laissa Onyxian partir, et se frotta les mains. On lui amena Haeldra, et la femme finit enchaînée dans une des cellules en hauteur. Elle voulait la tester un peu avant de voir quel traitement appliquer.
Plusieurs heures après l’arrivée d’Haeldra, lorsque cette dernière fut bien réveillée, Ephemera alla la voir. Elle était fermement maintenue par d’épaisses chaînes, dans une cellule intégralement sombre, où il n’y avait pas un rai de lumière. Elle ne pouvait pas le voir, mais elle pouvait le sentir : il y avait une odeur désagréable dans la cellule. Quand Ephemera se rapprocha, et quand elle ouvrit la porte, un rai de lumière entra, et, comme par enchantement, plusieurs braseros s’allumèrent dans les coins de la pièce.
Haeldra put ainsi voir qu’elle était dans une cellule aux murs noirs, avec des traces de sang. Retenue contre un mur, il y avait, devant elle, la porte, et, à droite et à gauche de cette dernière, deux êtres en train de pourrir. Leurs yeux avaient été arrachés, leurs corps nus étaient encore enfoncés dans les chaînes en acier. Ils ne bougeaient plus. Celui à gauche de la porte avait la moitié de la peau en moins, révélant un ensemble complexe et tortueux de veines ensanglantées, d’organes, sa tête penchée vers le sol. Lui était mort. L’autre avait un sort légèrement différent. Sa bouche avait été cousue, ses lèvres refermées par des espèces de tiges en fer, et on avait planté sur sa peau des espèces de crochets métalliques, permettant de déplier cette dernière, de la tendre au maximum. Il était figé contre le mur, mais son cœur, faiblement, battait encore. Ses jambes étaient salies par les quelques traces d’excréments qu’il avait émis.
Ephemera s’intéressa à Haeldra, et esquissa un léger sourire. Même sans ses yeux, elle pouvait percevoir la phénoménale beauté de cette femme.
«
Tu es réveillée, ma belle ? demanda Ephemera de sa voix sifflante et obscure.
Je te souhaite la bienvenue dans mon humble demeure. Drakengord est fière de t’ouvrir ses portes. Peu importe le nom que les gens me donnent, ce n’est qu’une appellation parmi d’autres. Et peu importe ton nom, en réalité : ici, tu es une chose, ma chose... Et je compte bien m’occuper de toi... »
Elle tendit sa main, et caressa sa joue, la griffant au passage avec trois de ses griffes.
«
Il paraît que tu es une femme résistante... C’est bien, nous pourrons jouer plus longtemps ensemble. »