One Shot / Du sable et du sang [Pv.]
« le: mardi 24 janvier 2023, 18:45:08 »"C’est toi le Corbeau ? Je m’attendais à un guerrier… Pas à ça …"
« Ça » leva son regard vide et froid sur le maitre de l’arène qui frissonna. Des combattants, il en avait vu défiler toute sa longue carrière ; des types musclés taillés pour la mêlée ou bien aussi des amazones furieuses et ingérables. Mais là, il avait devant lui un condensé de ténèbres et de mort palpable qui le mettait très mal à l’aise.
"Euh … bon on s’en fout tant que tu sais te battre hein ?"
Lenia savait se battre, oh oui. Celle qu’on appelait le Corbeau laissait dans son sillage des sillons de cadavres et sa réputation n’était plus à faire depuis des années. Mercenaire, assassin, garde du corps, l’ashnardienne avait parcouru tous les grands champs de bataille des cinq dernières années, louant ses services individuellement ou employée par de grandes compagnies de mercenaires. On ne la voyait pas en première ligne, luttant âprement pour conquérir du terrain, non, elle, sévissait dans l’ombre, utilisant ses lames courtes pour étêter les hiérarchies adversaires ou tout homme pouvant présenter un objectif intéressant.
Revenir sur son histoire ne servirait à rien. On la disait ancienne prostituée, ou fille cachée de l’empereur d’Ashnard. Certains racontaient qu’elle avait des talents de sorcière et qu’un grand pouvoir de Mort l’auréolait et même qu’elle accompagnait en riant ses victimes aux portes des Enfers où elle résidait parfois. Beaucoup ayant entendu parler du Corbeau sans l’avoir vu pensaient qu’il était un homme puissant, un guerrier maniant une épée de la taille d’un humain et qu’une horde de corbeaux géants l’accompagnait et mangeait les yeux de ses victimes.
Bien évidemment, il n’en était rien. Lenia n’était ni grande ni immensément puissante. De taille moyenne, sa seule distinction était sa crinière aussi intensément rouge que ses pupilles, ce qui n’était pas une rareté à Ashnard. Elle était fine, souple et musclée ; sa peau pâle marquée par endroits de cicatrices couturées. Portant principalement du noir, elle se cachait du regard des autres par une longue cape à capuche qui dissimulait aussi ses mouvements. Guerrière dans le corps et dans l’âme, mais ceux qui avaient eu le privilège de partager sa couche n’oublierait jamais qu’elle était belle et femme avant tout. Sur tout ce qui se disait sur elle, seule l’histoire du corbeau était plus ou moins vrai. Le sien, Verox, était son compagnon et ami depuis bien des années, et juché sur l’épaule de sa maitresse, il observait lu aussi le maitre de l’arène de ses yeux noirs. Fidèle partenaire de Lenia, ses griffes renforcées de métal étaient parfaites pour crever les yeux des ennemis de son amie.
"Je suis là pour affronter la princesse de l’arène, c’est le contrat."
La voix de Lenia était lasse, teintée de fatalité malgré un timbre un peu râpeux. Son employeur actuel, puissant maitre de la guilde des mercenaires locale, visait la gloire et la renommée et rien n’était plus glorieux que de gagner un combat sur le sable de l’arène. Bien sûr, il était hors de question qu’il combatte aussi avait-il demandé ce petit service à Lenia, moyennant fortune si elle gagnait. Et il savait bien qu’elle vaincrait. La princesse de l’arène, Céleste, était réputée virtuose du combat mais elle ne connaissait rien au monde extérieur. Lenia, elle, vivait la guerre depuis toute petite et connaissait tout du dehors. Le choc de leur rencontre promettait un grand spectacle et l’organisation de ce combat avait soigneusement été planifiée par les promoteurs.
"C’est ce qui est prévu en effet, cet après midi … l’arène sera pleine. J’espère que tu sauras en faire un spectacle inoubliable."
Lenia haussa les épaules. Un spectacle inoubliable ? Non. Elle était là pour tuer une femme qu’elle ne connaissait pas et elle n’en tirerait aucun plaisir. Ce serait bref. Elle n’allait pas sauter partout pour le simple plaisir de la foule. Au combat, le plus rapide et le plus précis gagnait, c’était tout. La tueuse fit demi-tour et rejoignit sa loge en attendant l’heure fatidique. Il s’agissait d’une pièce minuscule, près des salles bruyantes des gladiateurs. Elle y but de l’eau, s’y restaura et s’allongea sur une paillasse. L’envie de vivre l’avait quitté il y avait quelques temps déjà. Plus rien ne l’intéressait. Elle avait tellement tué qu’elle s’en écœurait elle-même. Secrètement, elle espérait que cette Céleste soit plus fort qu’elle et lui ôte la vie et ses regrets. Bien sûr, elle se battrait comme elle l’avait toujours fait mais peut être qu’une lame lui perçant le cœur viendrait la libérer de cette vie atroce. Elle songea à son adversaire. Céleste … elle n’avait jamais quitté l’arène, c’était triste. Elle aussi devait avoir un poids sur le cœur. Lenia s’endormit.
Plus tard, un contremaitre demi-orc vint la chercher et la guida le long d’un tunnel qui se terminait par un point lumineux : l’accès au cœur de l’arène. Verox quitta son épaule et s’élança, passant le premier les portes de la Mort et provoquant une exclamation de la foule. Il alla se percher sur un mât porte bannière et attendit.
L’arène était immense et les gradins bondés. Le peuple s’était déplacé en masse pour assister à cet évènement exceptionnel. L’ambiance était survoltée. Dans le perron d’honneur, les autorités se prélassaient et le maitre de l’arène venait d’annoncer l’entrée prochaine de Lenia en déclamant tous ses hauts faits et qualités.
La guerrière pénétra dans le cercle sacré et foula le sable souplement. Elle plissait des yeux, l’éclat du soleil était intense. Sa cape déformait sa silhouette et sa capuche cachait ses traits. Un OUUUUH bruyant suivit son entrée puis un silence observateur. Elle ne fit rien d’autre que rejoindre le centre de l’arène sans respecter les règles de salut aux autorités ni au peuple. Elle n’était pas là pour la gloire.
C’était l’heure de la Mort.