Le quartier de la Toussaint / The future is there... looking back at us. (PV)
« le: samedi 11 décembre 2021, 22:30:58 »Il était fort inconvenant, pour la bonne société, mais il s’en fichait. Ce dont il ne se fichait pas, en revanche, c’était la réputation de ce petit bout de femme dont il devinait la nature passionnée derrière le vernis de la docilité. Il le lui avait dit, la première fois, après avoir affirmé également qu’il n'était pas du genre à se marier.
Qu’il ait pu voir sous son attitude soumise avait intrigué Carson, et elle s’était débrouillée pour trouver un endroit isolé pour discuter avec lui, la première fois. Depuis, c’était leur petit jeu quand ils se voyaient à ces bals.
Soupirant, la tête contre la fenêtre de l’attelage qui la ramenait chez elle, en compagnie de son chaperon, la jeune femme espérait le revoir bientôt. Sa vie mondaine était ennuyeuse à mourir, sans les discussions qu’ils avaient, sans les récits de ses voyages qu’il faisait autour du monde.
Un brusque sursaut du carrosse poussa la jeune femme à relever un rideau. Des éclairs zébraient le ciel chargé des nuages qui couvraient la pleine lune. Elle entendait vaguement le cocher tenter de calmer les chevaux, effrayés par le tonnerre soudain.
« Vous croyez que le cocher va réussir à calmer les chevaux, miss Jones ? Demanda la rousse, un peu inquiète.
— Bien entendu, c’est pour cela que monsieur votre père le paye, chère enfant, répondit le chaperon, une femme d’une quarantaine d’année, veuve, appelée Marjorie Jones. Restez tranquille, tout ira bien, ajouta-t-elle d’un ton impérieux, habituée qu’elle était à être écoutée. »
Mais Carson n’écoutait que d’une oreille, et tira complètement les rideaux avant de faire basculer le verre de la fenêtre du carrosse.
« Jeune file, restez assise et refermez cette fenêtre ! S’exclama Marjorie alors que le vent frais s’engouffrait dans l’habitacle. »
La jeune fille ne l’écoutait pas, et passa la tête par la fenêtre pour mieux voir. Les éclairs se succédaient rapidement, le tonnerre grondait férocement, et les chevaux semblaient avoir de l’écume près du mors. Un cahot du terrain, une brusque embardée, et Carson se retrouva avec la moitié du buste à l’extérieur. Le cocher batailla avec les rênes pour remettre le carrosse sur le droit chemin, et bifurqua si soudainement pour éviter un obstacle sur la route que la jeune femme passa complètement à travers la fenêtre, son corps souple accrochant à peine les rebord malgré la robe encombrante.
Carson eut l’impression que le temps se figeait, alors qu’elle était dans les airs. Devant elle, l’obstacle évité par le cocher. C’était une espèce de surface miroitante, opaque, en plein milieu du chemin. Un obstacle vers lequel son corps se dirigeait sans qu’elle ne puisse rien y faire à part fermer les yeux et relever les bras pour protéger sa tête de l’impact.
Elle eut l’impression de forcer son passage à travers de la mélasse quand elle percuta enfin l’obstacle. Elle eut la sensation que le temps se ralentissait, pendant quelques secondes, avant de s’accélérer brusquement. Et puis l’impact avec le sol.
C’était une surface dure, sur laquelle elle atterri, mais pas comme la terre battue et les cailloux des chemins. Finissant de rouler, le dos sur le sol, elle ouvrit les yeux, sonnée. Autour d’elle, de vives lumières brillaient. Les sons, étranges et bruyants, semblèrent démarrer d’un coup alors qu’elle prenait conscience qu’elle n’était plus sur le chemin. Qu’elle ne voyait plus le carrosse, les chevaux ou le cocher.
Les odeurs la frappèrent ensuite, la faisant presque s’étouffer tant les parfums qui emplissaient ses narines étaient divers et puissants. Elle tenta de se redresser, ses mains griffant le sol dur et râpeux, mais la vision d’un monstre de métal passer à côté d’elle dans un bruit infernal l’acheva et elle perdit conscience.