Ville-Etat de Nexus / Plus haut que l’amour du prochain se trouve l’amour du lointain [Elena Ivory]
« le: jeudi 04 janvier 2018, 21:36:45 »La jeune horlogère se sentait soudain faiblir. Ses muscles étaient lourds fatigués et son souffle court. L'immensité de la ville qui s'étendait maintenant à l'infini devant elle. Cet endroit est trop grand pour nous, lui disaient ses entrailles. Pour la première fois depuis le commencement de son voyage, elle avait peur. Une terreur sourde la tétanisait. Elle aurait bien fait une pause, mais ne dit mot ; et le cheval l'entrainait. Les murs se firent plus hauts, plus massifs et plus sombre. Dans l'obscurité qui se faisait plus dense, les torches s'allumèrent au dessus des créneaux. Suivant le chemin, les deux cavaliers s'approchèrent d'une grande porte de bois massif qui, béante, laissait passer les quelques voyageurs qui arrivaient encore à cette heure. Kami et son guide arrêtèrent leurs chevaux sur le côté, au pied de la voute de pierre, et se tournèrent l'un vers l'autre.
"Bon, eh bien, c'est l'heure de te souhaiter bonne chance, gamine."
La gorge nouée, la jeune femme hocha la tête.
"Merci. De m'avoir accompagnée. Et tout ça."
Le trentenaire lui répondit par un sourire et fit faire quelques pas à son cheval pour rapprocher leurs montures.
"Tu ne restes pas dormir à Nexus ?"
Il fit non de la tête avec un sourire d'excuse et leva la main. Elle déglutit et leva la sienne : ils entrechoquèrent leurs paumes avec bruit, et chacun referma les doigts sur la main de l'autre, dans une étreinte ferme.
"Trop cher, et puis on m'attend."
Avec un ultime signe de la main, il fit pivoter son cheval et s'éloigna au trot. Elle, après un instant d'immobilité, soupira et remit son cheval au pas en direction des entrailles de la ville.
La tête lui tournait un peu tandis que son cheval la portait d'un pas tranquille et régulier sur le pavé des rues, où des passants déambulaient encore à cette heure tardive. Kami possédait une carte approximative de la ville - peut être pas à jour - qui lui permettrait de rejoindre l'endroit où elle était attendue, le lendemain. Il était trop tard pour se présenter à son nouvel employeur : elle se laissa donc porter jusqu'à la première auberge qui croisa son chemin. "Le gîte et la couverture". Très drôle.
Un adolescent, adossé au mur portant un grand manteau jaune pâle et usé, la regarda s'arrêter. Voyant qu'elle mettait pied à terre, il se redressa et vint vers elle.
"Bonsoir. Vous voulez qu'on s'occupe de votre cheval ?"
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Le lendemain, en milieu d'après midi, Kami se présenta au lieu du rendez-vous, vêtue d'un pantalon beige de grosse toile et une chemise blanche. Le pantalon, étroit, taillé sur mesure pour elle, remontait jusqu'à hauteur de nombril, hauteur à laquelle la chemise, plus ample, passait sous le pantalon et une épaisse ceinture marron cintrait les vêtements autour de la taille. Aux pieds, elle portait deux bottes de cuir montant jusqu'à mi-mollet, qu'elle avait chaussées durant tout son trajet. Le manteau rouge foncé des Horlogers reposait sur ses épaules et lui descendait à hauteur de genoux. Dans son dos était dessiné le symbole de son ordre : un cercle noir, affublé d'un rayon montant verticalement depuis son centre jusqu'à sa bordure.
La veille, fatiguée par ces deux semaines de voyage passées à chevaucher et à dormir dans des abris de fortune, elle s'était effondrée dans le sommeil dès son arrivée, et ne s'était réveillée qu'au milieu du jour. Elle avait payé un supplément à son hôte, afin de pouvoir prendre un bain, et s'était vêtue des rares vêtements non usés qu'elle avait apportés avec elle. Il lui avait ensuite fallu deux bonnes heures pour trouver l'adresse rendez-vous.
A présent elle y était, et son cœur battait à nouveau d'anxiété. Le lieu du rendez-vous était une grande bâtisse, dont la façade aux pierres régulières et aux voutes sculptées authentifiait l'importance du propriétaire. La porte d'entrée, surélevée par quelques marches, était close. Kami s'arrêta au pied de l'escalier et posa ses yeux sur le lourd heurtoirs de fer. Celui-ci se souleva en grinçant, et frappa plusieurs fois.