Les alentours de la ville / Bonne à tout faire (Marguerite Clairbois)
« le: samedi 01 janvier 2022, 20:45:15 »D'ailleurs, je ne regarde pas ces soudards, car je n'oublie pas que, dans le feu de la mort qu'ils sèment, trainent les dépouilles des femmes qu'ils ont violées, et les larme des enfants qu'ils privent d'avenir. Même ma propre Eglise s'est fourvoyée dans ces immondices, et, alors qu'elle prend peu à peu conscience de ces horreurs passées, je ne peux pas en applaudir d'autres.
Hélas, cette foule est aussi coupable d'ainsi encourager. Une foule où il y a peu d'hommes, parce ceux qui restent se font traiter de lâches. Une foule où il y a beaucoup de femmes, les plus nombreuses qui pensent que guerre rime avec virilité et qu'un homme en armure a la bite aussi dure que sa lance, et les plus rares qui pleurent leurs maris partants.
Mais il y a un autre groupe d'admiratrices qui attire mon regard. Des jeunettes ! A peine sorties de l'adolescence. Et plus excitées qu'une puce qui a trouvé un élevage de chiens. On dirait qu'elles sont à un spectacle musical, à hurler envers quelque idole, alors que seul Dieu doit être adoré. C'est sûr que, si un soldat met pied à terre, ces harpies se jettent sur lui pour le violer !
Parmi elles, il en est une qui retient mon attention, plus que toutes les autres. C'est cette petite brunette de Marguerite Clairbois. Il y a un moment que je l'ai repérée, lors d'une de mes promenades méditatives. Une jeune femme courageuse, qui vit dans une maisonnette toute simple.
Je dois avouer que ce qui m'avait distrait de ma rêverie était ce jupon qui avait volé au vent, juste avant que sa posture penchée vers l'avant ne me gratifie de la vue délicieuse d'une poitrine ample et corsetée.
Je ne savais pas qui elle était, alors. Je l'avais juste gratifiée d'un sourire, comme tout bon prêtre qui se respecte. Mais, sitôt revenu à l'église, j'avais activé mes contacts, afin d'en savoir davantage, son identité, le décès de ses parents, sa solitude, son courage, sa pauvreté.
Puisque Dieu m'en fut témoin, je peux même avouer que, le soir-même dans mon strict lit du presbytère, je me suis donné du plaisir dans des rêves lubriques. Je ne l'ai forcée à rien, il n'y a donc pas lieu de m'en condamner. « Hum, Marguerite, comme tu étais bonne ! ».
Mais, là, le spectacle a le don de m'énerver. Marguerite est de celles qui piaillent le plus au passage des soldats. Tout pour se faire remarquer ! A sauter comme une hystérique, j'en vois même sa poitrine tressauter à vouloir s'échapper de son corsage.
C'en est trop ! Je vais y mettre bon ordre. « Je vais t'apprendre, petite salope ! ».
J'ai dû ronger mon frein jusqu'à la fin du défilé, mais à peine est-elle rentrée chez elle, que je suis sur ses traces.
Elle ne semble même pas surprise que j'arrive à sa maisonnette. Sans doute ma tenue sacerdotale est-elle un gage de sécurité pour une jeune femme vivant dans l'isolement.
Si sécurisée qu'elle n'a nul scrupule à ostensiblement afficher sa poitrine bien serrée à en être plus pigeonnante encore ! Heureusement que ma soutane cache l'effet que ça me fait. Je dois absolument garder ma sérénité.
« Bonjour Marguerite. Je t'ai vue, tout à l'heure au défilé. Tu avais l'air bien excitée ; je t'entendais crier jusqu'à l'église ».
Je marque un temps d'arrêt, guettant sa réaction.
« Ne crois-tu pas que, à ton âge, tu devrais plutôt te chercher un mari parmi les jeunes du village, fonder une famille, avoir des enfants, et travailler à aider ton mari ? »
Je retrouve mon esprit de sermon, je dois lui en imposer.
« Ouais, en fait, je n'ai pas envie qu'un de ces ploucs de villageois tripote ces gros nibards ! »
L'intonation est là, je la poursuis.
« Tu viendras demain te confesser. Sois là à dix heures, et ne me fais pas défaut. Tu sais que Dieu t'observe, et qu'il te punira si tu ne le sers pas. »
« Ce que Dieu ne te dira pas, c'est que j'ai aménagé le confessionnal à ma manière. Les règles de l'Eglise sont parfois dépassées ; il faut savoir les moderniser. »
Je suis surpris de sa passivité ; on m'avait dit qu'elle était simple, pas très lettrée, mais sa quasi crainte envers ma fonction est un atout.
« Et, si tu es digne de ma confiance, je te prendrai par... euh je te prendrai pour l'entretien de l'église, en te payant bien sûr ».
Je sais qu'elle a du mal à avoir de quoi vivre ; ça devrait l'appâter. Heureusement qu'elle est trop simple pour ne pas avoir compris quand j'ai bafouillé !
« Quitte à entretenir, tu viendras aussi entretenir la vigueur de ma queue ; gratuitement, bien sûr, mais ça, on le verra en temps nécessaire ».
« N'oublie pas, Marguerite, demain à 10 heures ».
Et je tourne les talons.
Il me faut tout préparer, configurer le confessionnal, et remettre de l'ordre dans le presbytère.