L'Enfer / Re : And I said hello Satan... Helel, ah.
« le: mardi 29 octobre 2024, 08:23:43 »Beaucoup de gens avec qui il avait accepté de pactiser pensaient pouvoir le berner. Et dans sa perspicacité, Helel n’avait pas douté le moindre instant que James espérait l’entourlouper, ne jamais respecter sa part du marché. Mais le Grand-Duc avait lui-même pipé les dés. Après tout, c’était dans sa nature.
James possédait un groupe de surhumains, dont les pouvoirs découlaient d’un savant mélange entre science et magie infernale. Même si leur nombre était maigre, leur force de frappe était considérable. Et en perfectionnant sa formule, le leader des Faucons Noirs aurait pu bénéficier d’une façon fiable et redoutable de transformer n’importe quel enfant suffisamment solide en un véritable monstre.
La condition était simple : Helel désirait, en échange de sa participation, une dizaine de soldats issus de ce pacte. Il souhaitait encourager James dans ses expériences contre-nature, mais il souhaitait également en récupérer les fruits. Car le Grand-Duc n’était pas contre le changement, bien au contraire. Il était désireux de voir ce que pourrait accomplir son nouveau disciple, et d’en tirer profit si possible.
…
Dany et Charly avaient atterri dans les limbes. L’endroit où reposaient ceux qui n’avaient mérité ni l’enfer ni le paradis. Sans doute était-ce un lieu approprié pour deux âmes tourmentées comme eux. Mais l’instant de cette confrontation n’était pas encore arrivé. Non, il leur faudrait mériter cette sentence.
L’endroit était surprenamment serein, pour un plan infernal. Une plaine qui s’étendait à perte de vue, verdoyante sous un ciel bleu parsemé de quelques nuages. Comme une petite campagne dénuée de vie, autre que l’herbe courte qui jonchait le sol. Pas loin, un petit fleuve et un embarcadère miteux. Le fleuve semblait s’allonger à l’infini, vers un horizon qui noircissait de plus en plus. Le trou qui avait happé les deux esper n’était même plus à portée de vue. Ils avaient tout simplement changé de plan d’existence.
« Votre heure n’est pas arrivée. » Constata une voix lourde et graveleuse, teintée par l’âge et une touche de mélancolie. « Mais sans doute avez-vous quelque chose à accomplir. » Ajouta la figure qui se tenait dans le dos de Dany et Charly. La créature ressemblait à un corps momifié, dont seuls les yeux semblaient intacts comme au premier jour. Elle portait une longue tunique au millier de plis surplombée d'un capuchon qui teintait son visage desséché d’une ombre au noir abyssal.
Silence, inconfort. Le passeur des âmes rencontrait souvent ce genre de réaction. Et s’il avait pu sourire de ses lèvres dénudées, sans doute Dany et Charly auraient-ils vu l’esquisse d’un sourire sur le visage de Charon. Il était de son devoir d’escorter les défunts et visiteurs. Car l’enfer était moins fermé aux étrangers qu’il n’y paraissait.
« Le Grand-Duc avait été prévenu de votre arrivée. » Expliqua Charon, pointant de son doigt momifié une barque qui aurait pu tomber en poussière au moindre instant. Etrange, cette barque semblait être apparue subitement au bord de l’embarcadère. De même que leur commandant de bord, d’ailleurs. « Les vivants ne sont pas les bienvenus, mais si vous impressionnez le Grand-Duc, il vous invitera dans la cité de Dité. » Son pas lent soulevait la poussière du sol à mesure que Charon avançait.
Même si le passeur ne l’avait pas clairement dit, il paraissait évident que les deux arrivants étaient invités, voire contraints, de le suivre. Il prit place à l’avant de l’embarcation, ramassant une rame accrochée à la proue. Puis, sans un regard en arrière vers ses passagers, Charon se mit à ramer. Le temps était étrange en ces lieux. Tout paraissait aller si vite et si lentement à la fois. En seulement quelques inspirations, l’on en venait à se demander si quelques secondes ou plusieurs semaines s’étaient écoulé.
« Si jamais l’on vous attaque ou vous bloque, annoncez qu’Helel vous a invité. » La momie dit, brisant un silence long de plusieurs minutes. La barque continuait son chemin inexorable, et la végétation mourrait petit à petit, le sol passait de verdoyant à brun d’automne, puis à un noir calciné. Les premiers arbres que Dany et Charly voyaient en ces lieux étaient d’imposants chênes calcinés, auxquels pendaient des corps, depuis millénaires devenus squelettes. « Le destin de ceux qui échouent. » Précisa Charon, son regard rivé sur les cadavres abandonnés. « Le temps est infini en ces lieux. Alors, ne vous pressez pas. » Un dernier conseil avant la séparation.
Le ciel s’assombrit jusqu’à laisser un noir total, brisé par une lointaine lueur rouge. Encore une fois, secondes et semaines s’emmêlèrent, jusqu’à ce que la lointaine lueur deviennent une lampe éblouissante. Ils n’étaient plus dans les limbes. Le ciel noirci avait été remplacé par un plafond haut comme les cieux, un plafond de roche obsidienne et de pierres rouges à la lueur intense. C’était là le ciel des damnés et des démons. Mais, loin d’une tempête incessante maltraitant les luxurieux, il n’y avait là qu’une ville. Une gigantesque ville qui entourait la spirale, la descente vers les cercles intérieurs.
« Je dois vous laisser ici. Mais je vous retrouverai bientôt. » Charon fit signe aux deux de descendre, reprenant sa route sur le fleuve, qui s’enfonçait dans la spirale infernale. Pas de raccourci pour le frangin et la sœurette, apparemment. Ils n’avaient plus qu’à débarquer et trouver leur chemin.
Les enfers étaient moins dantesques que ce dernier ne les avait décrits. Il n’y avait point de tempête, et la ville qui attendait Dany et Charly était étrangement inattendue. Il aurait été facile d’imaginer une ancienne ville babylonienne de pierre et de grès, ou un cliché de geôles taillées dans la pierre rouge. Il n’en était rien. Cet endroit ressemblait à s’y méprendre à une ville européenne bâtie juste avant la révolution industrielle. Grands boulevards, appartements et même échoppes. Presque comme si les habitants y vivaient une vie relativement normale.
Cette ville cachait son identité, le cercle de la luxure. Le territoire des incubes et succubes en quête de proies, siphonnant éternellement des mortels piégés dans une spirale sans fin de débauche, mêlant douleur et plaisir. Les mortels en ces lieux avaient l’air de zombies, les yeux vides, marchant sans but. Certains étaient nus, baisant sans gêne dans la rue, d’autres visiblement drogués, assis et affalés contre un mur. Voilà qui n’était pas trop dépaysant, certainement.
« Faites gaffe les gamins. » Dit une voix bourrue mais avenante. Un homme d’à peine un mètre soixante, calvitie et grosse moustache, habillé d’une chemise un peu sale et d’un pantalon qui englobait le bas de sa bedaine hypnotiquement ronde. « Y le sentent quand quelqu’un devrait pas être ici. Ça les attire, les enculés. Ceux qui ont été baisés et drogués dix mille fois ça les intéresse plus. Mais d’la chair fraiche comme vous… » Il mima un frisson d’inconfort comme pour faire comprendre aux deux qu’ils ne voulaient SURTOUT PAS se démarquer. « J’suis Robbie, et j’suis prisonnier du cercle de la Luxure, comme vous. J’sais reconnaître les nouveaux, par contre. » Il ricana brièvement, avant d’arquer un sourcil. « Et j’pense savoir reconnaître les vivants. »
Il y avait quelque chose d’inexplicable. Mais comme une différence entre les prisonniers légitimes des enfers et des intrus encore vivants comme Dany et Charly. Comme une flamme dans les yeux qui refusait de mourir, là où la fumée des braises éteintes dansait tristement derrière le regard des mortels. Par rapport aux autres, Robbie semblait encore conserver quelques maigres braises. Par débrouillardise, ou car il n’était pas là depuis longtemps. Comment savoir ?
« Ici, y chassent les gens, essaient de les séduire pour aspirer un peu d’leur âme, d’les droguer pour les rendre plus facile à abuser. Quelqu’un d’mort peut pas s’tirer d’ici, mais vous, vous pouvez. » Il grommela. « Si j’peux baiser ces enfoirés en vous aidant à vous casser d’là, ce sera une victoire pour moi. » Ajouta Robbie, tendant sa main aux deux. Il avait l’air objectivement louche. Mais la triste réalité était qu’il le paraissait beaucoup moins que les autres coquilles vides d’humains qui peuplaient cet endroit.