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« le: vendredi 24 novembre 2023, 18:06:25 »
Keiko est une parfaite représentation de ce que peut être l'hypocrisie japonaise. Cette vipère est retors et sait parfaitement exprimer en sous-entendus des insultes à peine voilées. Son sens de l'observation est pointu et rarement son visage n'exprime autre chose qu'une fausse expression sous laquelle pullulent les vilenies. Elle est totalement maîtresse de ses émotions, pour peu qu'elle en ait, et est connue dans son milieu pour être une formidable actrice. C'est bien pour cela que Kenichi eut un sourire horripilant et satisfait quand il vit sa sœur pâlir légèrement et tressaillir.
"Quelque chose ne va pas? Tu as l'air troublée?"
La petite pique gratuite accompagnait la subtilité de Martha qui, plutôt qu'un assaut frontal contre Keiko, préféra jouer la carte de l'intelligence.
La sœur "adorée" haussa les épaules et pinça les lèvres, prête à répliquer, mais Kenichi entraîna Martha pour quitter le hall et rejoindre la grande salle à manger en empruntant un corridor qui aurait bien eu sa place dans le palais d'un roi. Les parents Kawamura étaient déjà là. Le paternel impressionnait par sa présence et son air constamment fermé tandis que son épouse était presque transparente à ses côtés. Le doyen ne laissait de place à personne et sa tyrannie naturelle exsudait de chaque pore de sa peau. Avec un regard noir, enfoncé sous des sourcils épais, il observa son fils avant de porter son attention sur sa belle compagne. Mécontent et irrité ? Il l'était assurément ! Même le plus benêt des idiots l'aurait compris … L'homme ne pipa mot, assis sur son trône alors que madame restait debout.
Tandis que Martha saluait madame Kawamura, Keiko vint tirer la chaise à droite de son père.
"Venez ici Martha. Asseyez-vous aux côtés de mon père. Je suis sûre qu'il a hâte de découvrir qui vous êtes. Je vais m'asseoir à côté de vous aussi pour traduire si vous ne comprenez pas tout ce qu'il vous dira."
Salope ! Kenichi eut envie d’exécuter sa sœur sur le champ mais il était en territoire hostile et il fallait s'y adapter. Aussi, il s'assit à gauche de sa mère et but une gorgée d'eau. L'ambiance était glaciale mais fut subitement brisée par l'irruption de son oncle. Comme toujours, son intervention fut affligeante, grasse et totalement inopportune. L'homme était ainsi, aux antipodes du comportement de son frère aîné.
"Mon oncle …"
"ASSIEDS-TOI !"
La voix sèche et brute d'Hiro Kawamura fracassa la jovialité stupide du nouveau venu qui prit place à droite de Keiko, laissant aussi Martha s'asseoir.
"Ne ridiculise pas la famille, Ato. Je ne partage pas ton humour grossier."
Le maître des lieux fit un geste discret et des domestiques vinrent remplir de saké le petit récipient traditionnel que chacun avait devant soi.
"Il est de coutume dans cette demeure de boire en mémoire de nos anciens et de les remercier de toujours veiller sur nous. C'est une tradition japonaise, ancestrale et familiale. J'entendais la partager avec ma famille, Kenichi."
Oui, mais avec l'ancien, tout était toujours une tradition japonaise, ancestrale et familiale donc quoique le jeune homme aurait pu faire à part s'écraser, cela ne serait pas passer. Cette première remontrance destinée à terrasser toutes velléités de rébellion agaça le jeune homme qui voyait bien que Martha n'allait pas trouver un allié en la personne du vieux, tout du moins pour l'instant.
"Père, c'est parce que j'ai écouté les conseils de nos ancêtres que j'ai décidé de venir vous présenter Martha, mon amie, que j'aime, et qui m'aime."
"Ah ? Nos ancêtres t'ont conseillé de souiller la lignée familiale plutôt que de garantir sa pureté ?"
La mère de Kenichi posa sa main sur l'avant-bras de son mari. Il était allé trop loin aussi il se retourna vers Martha pour la dévisager. Le feu couvait sous ces lourdes paupières, le dragon avait faim.
"Mon fils est, me semble t-il, encore promis à une jeune femme que j'apprécie énormément. Pourquoi devrais-je vous faire bon accueil dans ces conditions ?"
Keiko donne un léger coup de coude à Martha.
"Il demande quelle est ta plus-value pour nous. Je me le demande bien aussi …"
Kenichi ouvrit la bouche pour répondre mais son père lui intima le silence d'un geste ferme de la main.
"C'est cette étrangère que j'écoute."