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« le: mercredi 16 août 2017, 02:35:06 »
Danger. Un frisson parcours l’échine du loup solitaire. Une sensation électrique, instinctive, vieille comme le monde. Un instinct naturel, un déclic. Il pouvait les sentir le fixer, des yeux affamés, le regard d’un prédateur imperturbable et déterminé. Ça ne lui était pas inconnu à lui, l’homme qui a voyagé dans maintes planètes toutes aussi hostiles les unes que les autres. Entre les jungles gigantesques et les toundras aux vents mordants, la sensation d’être une proie se faisait sentir de la même façon. Être réduit à l’état de chaire rampante, se faire toiser dans l’ombre ou sous le couvert de quelques herbes, épié, minutieusement jaugé en prévision pour l’attaque, le coup mortel.
Losgar avait ressentit cela avant même que le cri du monstre n’harcèle ses tympans malgré la distance. Seule une bête immense pouvait hurler à la mort avec une telle intensité et il eu confirmation lorsque les rayons du soleil furent brusquement étouffés par une ombre imposante … et grandissante. Son esprit comprit aussitôt le danger imminent et réagit immédiatement, envoyant les ordres nerveux aux muscles de l’aventurier qui bondit aussitôt dans une roulade agile en avant, juste à temps pour éviter que le plongeon du prédateur ne l’écrase impitoyablement au sol comme un vulgaire lapin.
Le sombre sir se relève et fait face à son nouvel adversaire, et quel ennemi ! Un fier rapace, gigantesque. Ses ailes étaient telles des orages grondants, balayant poussière et petites pierres par ses gracieux mais puissants battements. Son plumage était sombre, inquiétant, se mouvant de façon si fluide qu’on croirait voir des flammes obscures onduler sous l’effet d’un vent inexistant. Les sourcils du dernier survivant de Nox se froncent quand il vit la taille des serres, véritables faux plantées dans la pierre comme dans le plus tendre des beurres. Avec des pattes pareilles, il craignait plus de se faire broyer que lacéré par les noires lames de kératine. Ses prunelles dorées remontent vivement, fixant désormais un terrifiant bec, crochu comme la faucille d’un faucheur. Avec arme pareille, sans doute cet oiseau pouvait arracher d’épaisses carapaces.
Mais le plus intriguant et troublant fut son regard. Que lui arrivait-il ? Il se sentait … bizarre. Un étrange engourdissement, une faiblesse parcourut son corps, caressant comme un poison insidieux ses muscles et appliquant les mêmes effets que la plus perfide des corrosions à ses os. Sa respiration se fait plus lente, presque imperceptible. C’était comme si des chaînes invisibles entravaient ses poumons. Ce regard était aussi paralysant qu’un pieu enfoncé dans sa chaire. Une arme terrifiante et très intéressante. À Nox, les prédateurs ailés avaient des atouts de chasse moins subtiles que ce regard digne de Médusa, oh non ils étaient beaucoup plus directs et brutaux dans leur quête de chaire frétillante.
Le Rûkh légendaire ferme un instant ses yeux, libérant Losgar de l’étreinte de son regard paralysant. Ce dernier se ressaisit et recule d’un pas, méfiant. L’animal est fier et hautain, un orgueil naturel émane de lui. Le Noxien sourit intérieurement, respectant cela. Ce monstre noir lui ressemblait de façon primitive, un amas de puissance et de fierté. Le combat qui allait suivre opposait deux orgueils, deux mâles dominants, l’un se battant pour se repaître du perdant, l’autre pour prouver sa valeur à d’invisibles spectateurs.
Ils se toisent silencieusement, chacun guettant la réaction de l’autre. Losgar évite autant que possible les yeux de Basilique du Rûkh, se focalisant sur son cou qui semblait être la partie idéale pour assener un coup létal. Cependant cela handicapait beaucoup ses chances d’anticiper les mouvements de son opposant, mais plus particulièrement le risque de croiser le regard du rapace était toujours présent.
La meilleure défense restait l’attaque, surprendre son adversaire, le prendre de court. À s’éterniser ainsi, il laissait le soin au oiseau légendaire d’amorcer les hostilités sur son domaine, imposer sa loi et ses règles. Hors de question de se laisser dominer par un maudit vautour, aussi énorme soit-il !
Il fonça comme le javelot projeté par la baliste, courant avec toute la force de ses jambes en direction du buste du Rûkh. Il n’était pas bête et savait que le prédateur avait prédit cette initiative de la part du vagabond à la couleur de cendre, aussi Losgar vira brutalement vers la gauche. Juste à temps pour éviter le coup de bec magistral qui fracassa la pierre dure. Une attaque rapide comme l’éclair, mais prévisible de la part d’un oiseau de proie, aussi majestueux et intelligent soit-il. Cela lui donnait aussi l’occasion idéale de frapper. Serrant le poing, il allait assener une frappe digne d’un coup de marteau porté par un minotaure adulte mais il croisa le regard perçant du monstre. Son poing s’arrêta à un cheveu de l’œil torve, immobilisé par un soudain malaise.
Malédiction !
Le Rûkh riposta immédiatement par un formidable coup du dos de son bec, projetant le Noxien à plusieurs mètres comme un fétu de paille et lui coupant au passage la respiration. Seuls les réflexes de Losgar lui permirent de s’accrocher avec une main au rebord de la falaise, évitant de s’écraser contre les parois escarpées et coupantes de cette montagne. Libéré de l’influence néfaste du regard hypnotisant, il reprit ses esprits juste à temps pour voir le phénoménal monstre à plumes fondre sur lui, bien décidé à précipiter sa chute en lui arrachant les bras d’un coup sec et précis.
« Grah ! »
Par la force de ses bras, il se redressa souplement, bondissant en l’air tandis que les serres labourèrent l’emplacement où il se tenait. Suspend en l’air pendant un bref moment, il surmontait la tête du mythique rapace. L’occasion idéale ! En tombant il s’accrocha à la nuque de son ennemi qui agita immédiatement ses immenses ailes, tentant de se débarrasser de l’humanoïde qui osait poser ses pattes sur son divin plumage. Aucune proie n’avait commis un tel affront à son égard et l’oiseau était dans ses états, hurlant de colère et s’agitant comme s’il était possédé par mille diablotins en furie. Losgar raffermit sa prise sur les plumes lisses qui semblaient couler comme de l’eau entre ses doigts. Il fallait tenir bon, surtout que le Rûkh avait décidé de prendre son envol et faire une pique brutale vers le sol afin de déstabiliser le mercenaire qui tenait toujours, accroché à la vie comme aux plumes.
Son plan était simple, faute de pouvoir faire face à cette force de la nature et à son regard de glace, il allait l’affaiblir, le pousser à gaspiller ses forces en tentant de l’arracher de son dos. Ansi débuta une épreuve d’endurance et de volonté, le roi du ciel multipliant les acrobaties afin de faire tomber un Losgar qui était plus collé qu’une sangsue assoiffée. Le vent hurlait dans ses oreilles, les plumes étaient si glissantes que plus d’une fois il faillit lâcher prise et le Rûkh le malmenait parfois en effleurant des pics rocheux, frappant le Noxien contre la pierre sans pour autant arriver à lui faire mordre la poussière. Mais notre héros n’était pas en reste, administrant parfois quelques sérieux coups de poing contre le dos de la bête et serrant sa prise autour du cou de l’oiseau géant afin de rendre sa respiration plus pénible. Stratégie efficace, l’air se faisant rare dans les hauteurs, cela rendait les vols du fier rapace plus difficiles.
Les minutes s’écoulent, le Rûkh s’épuise et Losgar a les articulations toute endolories. Mais sa volonté d’acier ne fléchit pas contrairement au corps du rapace qui faiblit de plus en plus. Il pousse un croassement de défi, dernière étincelle de volonté, avant de se poser mollement contre la falaise où les hostilités avaient commencé, s’étendant sur le sol poussiéreux, le souffle lent, le regard faible. Vaincu. Il était désormais soumis à ce bipède arrogant qui venait de prouver qu’il était plus endurant que lui, légendaire oiseau que tout le monde craint et respecte. Mourir sur un précipice rocheux, loin de tout, de manière aussi peu glorieuse.
Le vainqueur se laisse glisser le long du cou de la bête épuisée, les jambes endolories et les oreilles sifflantes. Immobile, il reprend son souffle, le vol n’ayant pas été de tout repos. Puis il s’approche de la tête tendue de son adversaire à sa merci. Tout le monde s’attend à ce qu’il porte le coup de grâce, une solide frappe sur le crâne pour finir ce spectaculaire combat. Mais pourtant c’est une main tendre et douce qui se pose contre la tête du Rûkh. Le Noxien caresse lentement le plumage de la bête épuisée avant de déclarer d’une voix apaisante.
« Tu es un fier prédateur, libre comme l’air et impétueux comme la tempête. Tu as combattu dignement. Je ne veux pas tuer un être qui a si chèrement défendu sa peau. Je te laisse vivre, puissant maître des cieux. Que les vents guident à nouveau tes ailes ! »
Magnanime et princier. Avec une prestance naturelle, il se relève et continue sa marche en direction du vrai donjon, laissant derrière lui le Rûkh dans une ultime preuve d’altruisme et de respect. Il espérait avoir gagné un ami valeureux en cet oiseau si magnifique et puissant tout comme il espérait que les dés qui suivaient seraient aussi palpitants.