Les contrées du Chaos / Re : Ruche d'Anakha [Entrée libre Sans limite]
« le: lundi 06 octobre 2025, 18:59:07 »Je ne peux m’en empêcher : un rire m’échappe. Franc, sonore, presque déplacé dans ce théâtre de chairs et de toiles palpitantes. Vivre dans le péril est mon quotidien depuis des décennies. Périlleux ? Il ignore sans doute ce que cela signifie, pour quelqu’un qui a traversé les siècles avec une lame d’argent suspendue au-dessus de la gorge.
Mais lorsqu’il enchaîne : "Un substitut au sang allège un fardeau… et augmente la menace si on le manie sans garde.", mon rire s’éteint net. Je penche légèrement la tête, un sourire carnassier étirant mes lèvres.
"Aurais-tu peur, Anakha… que des canines d’albâtre viennent mordre dans ton expansion ?"
Ma voix reste calme, presque caressante, mais derrière les syllabes flotte une pointe de défi. Je sais qu’il a sa logique, et je ne la méprise pas : tout bâtisseur redoute les forces qu’il ne peut anticiper.
Quand il me demande de désigner le village à épargner, je réponds sans détour :
"Nuevaviva. Un hameau caché dans une forêt, bordé d’un lac, protégé par les montagnes. Isolé, discret. Tu le laisseras intact. Pas une mort, pas un prélèvement, pas un “accident” pratique."
Je plante mon regard dans le sien, froid, immobile.
"Je prendrai ta parole pour ce qu’elle vaut. Et je te préviens : si elle se brise, je n’aurai aucune hésitation à traiter ta ruche comme je traiterais un nid de vermine. L’étendue de ton empire m’importe peu : tant que tu tiens ta promesse, je t’apporte ce que je sais. Si tu la trahis, je m’en moquerai comme d’un souffle éteint."
Il m’écoute. Ses phrases s’enchaînent : la ruche avance, les annexes poussent, les troupes partent. Son ton est celui d’un stratège qui déroule son plan, pas d’un suppliant. Je ne m’y trompe pas. Et je n’ai pas besoin qu’il me jure loyauté ; je veux juste que le pacte soit clair : mon aide contre sa retenue ciblée. Rien de plus.
Je reste un moment à observer la vallée qui se tord et respire. Les structures organiques palpitent, les couloirs de chair s’ouvrent et se referment comme des poumons. Ce n’est plus un chantier, c’est un organisme. Un empire embryonnaire, qui ne dort jamais.
Quelques heures passent. Quand je m’éloigne, la brume m’enveloppe comme un manteau familier. L’aube approche : je la sens dans la texture de l’air, dans le silence électrique avant la lumière. Je ne dors pas ; je n’ai pas besoin de sommeil comme les humains, mais je ressens l’appel des heures grises. Mon corps s’étire dans l’obscurité comme une lame.
Je pars sans me retourner. Ma silhouette se fond dans les méandres de la brume jusqu’à disparaître. Les premières lueurs effleurent les cimes quand je m’élance vers Nuevaviva. Le monde défile dans un silence que seuls mes sens percent : bruissements de feuilles, craquements lointains d’animaux, la respiration d’une rivière sous la terre.
J’avance vite, comme seul un vampire peut le faire. Chaque pas est précis, calculé. Le vent m’effleure le visage sans jamais me ralentir. Je pense à Anakha, à sa ruche, à ses plans. Je pense à ce que je vais lui offrir, un savoir que Tekhos lui-même n’a pas percé, et au prix exact qu’il devra payer : la paix d’un village.
Et puis, sans que je le décide vraiment, son visage s’impose à moi. Diamant. Ma Diamant. La seule dont la lumière traverse encore mes défenses sans effort. Une pensée fugace, comme une veine d’or dans la roche froide. Elle ignore ce que je m’apprête à faire ; elle me connaît trop bien je pense, pour croire que je me lierais à un être comme Anakha sans raison. Elle devinera, tôt ou tard.
Je me surprends à serrer légèrement la mâchoire. Elle est mon ancrage, mon étoile fixe. C’est pour elle que je reste lucide au milieu de la fange.
Les montagnes se découpent lentement dans le ciel pâlissant. Nuevaviva dort encore, paisible, blottie au bord de son lac. Les cheminées fument à peine, les odeurs de bois humide et de mousse me parviennent avant même que je distingue les toits.
J’entre dans le village comme une ombre. Personne ne m’arrête ; tout le monde sait. Mon laboratoire secondaire m’y attend, dissimulé dans une grange abandonnée depuis quelques semaines. Je pousse la porte sans bruit ; la poussière retombe en volutes paresseuses. Les instruments, soigneusement rangés, sont encore là. Le métal luit faiblement dans la lumière qui filtre.
Je prépare le nécessaire : cuves, instruments d’analyse, conservateurs, tout ce qu’il me faut pour transformer les promesses en résultats tangibles. Chaque pièce trouve sa place dans les deux caisses de transport.
Avant de repartir, je jette un dernier regard vers le lac. Nuevaviva est tranquille. Elle ne sait rien de ce qui s’étend là-bas, dans la vallée. Elle ne sait rien de la ruche qui germe, des troupes qui partent, des pactes passés dans la brume.
Je pense à Diamant une dernière fois. Elle devra être prudente. Très prudente. Son village peut être épargné… ou observé. Anakha a ses propres définitions de la retenue. Je lui laisse une note explicative sans trop rentrer dans les détails.
Lorsque le soleil franchit les crêtes, je suis déjà reparti, chargé de ce dont j’ai besoin. L’aube m’accompagne, froide et silencieuse.
Demain, la science et la chair se croiseront. Et si Anakha ment, je saurai exactement où frapper.
Pendant ce temps, sur les Contrées du Chaos, non loin de la Ruche, un terranide-loup court à perdre haleine en criant : "Elle est de retour ! La femme aux cheveux bleus !", mais il ne s'arrête pas.








