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« le: lundi 13 septembre 2021, 19:41:10 »
C'était un véritable carnage. L'épée du démon fauchait, taillait, pourfendait les rangs des petits parasites qui piaillaient d'excitation malgré les ravages qui décimaient leur nombre. La faible qualité de leurs défenses dérisoires ne valait rien face à du bon acier frappé. Ils mourraient l'un après l'autre, souvent étripés par le même coup. Mais il en arrivait toujours plus, comme si la terre avait décidé de se purger de cette vermine en la vomissant de ses entrailles. Ils étaient partout, insupportables, piaillant et poussant des cris aigus, encourageant leurs congénères à monter au massacre.
Damascus s'escrimait non plus à les repousser mais à les arracher de ses jambes. L'un d'eux le mordit au gantelet et resta pendu à la seule force de ses mâchoires. Damascus le secoua sans succès avant de faire glisser sa lame le long de son avant-bras pour le décapiter. les membres et les têtes volaient, les entrailles des créatures se répandaient en monceaux infects et puants. Autour des chevaux qui piétinaient ces petites choses irritantes, la terre humide se mélangeait à une bouillie immonde de corps fracassés par les sabots des montures. L'étalon noir se cabrait, battant des fers et pulvérisant les crânes. De son côté, la jument d'Alecto ruait à tout va, nettoyant l'espace autour d'elle. La cacophonie du combat résonnait dans la ravine. Alecto ...
Elle venait d'hurler son nom, toute proche, derrière lui. Un gnome agrippa le démon par ses longs cheveux noirs et tira pour le déstabiliser. Damascus le happa et le broya contre un tronc maigre et mort depuis longtemps. Une tâche claire attira son attention dans sa vision périphérique, une tâche à terre. L'espace d'un instant, le visage du démon pâlit plus qu'il ne l'était déjà. Alecto gisait à ses pieds, une fine fléchette plantée dans son cou. Elle s'était effondrée entre le tireur et lui. Au nombre des projectiles criblant ses cuirs, c'est bien lui qui était visé, elle s'était où interposée où malheureusement déplacée là au moment du tir. Connaissant sa petite intrépide, Damascus opta pour la première option. En trois enjambées, il parvint au petit être gris qui rechargeait sa sarbacane et le fendit en deux. Ces engeances étaient les plus dangereuses. Abandonnant Alecto, il se déchaina, de rage, et s'adonna à une sauvagerie sans nom. Qu'importe le nombre maintenant, il tuait, i avait besoin de massacrer. Sa nature démoniaque émergeait, catalysée par la chute de sa compagne, et il ne s'arrêterait qu'une fois tous les parasites éliminés. Une multitude de petites entailles superficielles marquaient sa cuirasse légère. Sa ronde mortelle accéléra et devant cette furie, le troupeau de survivants décida que cette cible était bien trop coriace. Aussi rapidement qu'elle avait attaqué, la horde s'enfuit en hurlant, masse grise et compacte s'enfuyant entre les racines pourries. Leurs cris se dissipèrent dans l'humidité de la combe et bientôt, le silence redevint maitre des lieux. Le démon se traina à genoux jusqu'à Alecto, il peinait à avancer dans cette boue rougeâtre, plus collante au centre de l'endroit où ils avaient résisté.
"ALECTO?"
Elle était froide, tremblait déjà et transpirait d'une sueur glacée. Autour de la pointe de la fléchette, une auréole putride s'était formée sur la peau pale de son cou. Un poison à n'en pas douter. Les chevaux se rapprochèrent de leurs maitres et la jument souffla des naseaux contre la joue de la jeune femme. Le démon se dépêcha de récupérer leurs armes, il fallait quitter cet endroit au plus vite. Il n'avait pas le choix, il souleva Alecto et la passa en travers de la selle de la monture docile, puis prenant les chevaux par la bride, il franchit le ruisseau pour s'aventurer sur le versant opposé au leur et remonter la pente glissante de la colline. Il glissait, jurait, se blessa un genou en heurtant une pierre. Les chevaux s'efforçaient d'ancrer leurs sabots dans la glaise et dérapaient eux aussi. Quand ils atteignirent la crête, ils étaient épuisés. Damascus vomit de fatigue et inspira longuement, l'air redevenait plus léger. Une centaine de mètres plus loin, la forêt millénaire avait reprit ses droits et ils foulèrent à nouveau un sol sec couvert de feuilles odorantes. Il faisait nuit, il trébuchait sur des racines qu'il ne voyait pas. Il fallait s'arrêter et s'occuper d'Alecto maintenant qu'ils avaient quitté la ravine maudite. Les rôles s'inversaient à présent. Damascus trouva un creux dans le tronc massif d'un arbre et posa son lourd manteau au sol pour y allonger Alecto. Elle se rigidifiait, comme si elle passait la porte du paradis ... où des Enfers. Le démon s'affaira à déchirer sa chemise poisseuse et versa de l'eau sur la plaie purulente. Sa petite poupée avait le visage cireux et des cernes noirs pochaient ses yeux clos. Ses lèvres avaient prit une teinte cyanosée, le poison œuvrait rapidement. Un feu était nécessaire à présent et Damascus en alluma un très vite, se moquant de pouvoir révéler leur position. S'il fallait défendre Alecto, il le ferait jusqu'au bout. Jusqu'au bout? Cette pensée lui brûla l'esprit. Il se ressaisit. Il avait besoin d'elle pour accomplir sa quête, c'était tout et il devait s'en persuader. Son essence de démon n'était pas de nature à accorder une place à un quelconque sentiment. Pourtant, en la voyant si fragile et mourante, une sourde angoisse lui nouait les tripes. Damascus n'avait pas peur, il était trop puissant et trop fier pour ça mais ...
Il n'avait qu'une solution, qui ne l'enchantait pas car il ne voulait pas corrompre Alecto plus qu'elle ne l'était déjà. Néanmoins, il devait recourir à des pouvoirs anciens et maléfiques pour neutraliser l'effet du poison. Il retira une fléchette plantée dans le cuir de la selle de son étalon et l'examina. la pointe était fine, sans crochet. Sans hésiter, il pressa deux doigts sur le cou d'Alecto, enserrant la fléchette et tira dessus précautionneusement. Elle sortit sans qu'il ait à forcer et aussitôt il apposa une braise ardente sur la plaie qui grésilla. Elle était cautérisée. Il s'apprêta ensuite à incanter, décidé à user de sa magie démoniaque quand un craquement subtil, derrière lui, le fit pivoter et saisir son arme. Les chevaux n'avaient pas bougé et attendaient paisiblement en le regardant. Une petite créature se tenait à l'entrée du creux et les regardaient avec attention. Damascus glissa sa main vers la poignée de la dague accrochée à son ceinturon. Ca recommençait ...
L'être avait une ressemblance avec les gnomes de la ravine mais était dodu. Sa peau avait une teinte verte et il ne portait pas de masque. Son visage était comique et joufflu et il était complètement nu. Aussi petit que ses frères gris, il se dandinait d'un pied sur l'autre, son pénis lourd et curieusement disproportionné ballotant au gré des mouvements. Il tenait un bâton dans lequel était enchâssé une pierre bleue. La créature piailla d'un trille doux et rassurant. Elle huma l'air et fronça ses sourcils, soudainement courroucée. L'être paraissait âgé. Il s'approcha en boitillant d'Alecto et la toucha du bout de son bâton. Il hulula une exclamation triste et sans se soucier de Damascus, fit le tour du corps froid pour s'approcher de sa tête. Le démon le laissa faire, la créature n'avait rien de dangereux, il restait sur ses gardes mais escomptait un miracle. A l'extérieur, dans la nuit, une douce mélopée s'éleva des ombres. L'Ancien, c'était peut être un chaman, renifla la plaie fraiche et hoqueta, babillant un flot de sons incompréhensibles. Il se tourna vers Damascus et d'un doigt autoritaire, lui imposa de reculer. Ensuite, il se campa les jambes écartées devant la jeune femme et sans attendre, pissa longuement et consciencieusement sur la blessure, prenant soin de bien viser le point d'impact de la fléchette.
"Tu dégages de là ..."
La lame du démon vint aussitôt se posé sur sa gorge et le petit être, d'un geste négligé, fit disparaitre l'arme comme si elle n'avait jamais existé. Une force douce et inexorable ramena Damascus à sa place et après lui avoir lancé un regard de reproche, l'Ancien s'agenouilla et incanta doucement, les mains tendues au dessus d'Alecto ...
Une torpeur lourde s'empara du démon, il tenta bien de résister, s'aperçut qu'une foule de petits êtres verdâtres s'était avancée dans la lueur chantante des flammes mais un instant après, il était plongé dans un sommeil profond.