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« le: mardi 09 janvier 2018, 22:34:46 »
Le temps passant différemment dans ton monde par rapport aux deux autres mondes que tu as découvert, tu as pu t’organiser pour que tes incursions ne se remarquent pas, chez toi. Une journée au travers du Portail équivalant à dix minutes chez toi, ça te laissais une bonne marge de manœuvre. Que tu as mise à profit. Et comme tu comptais explorer ces mondes avec plus de précision, tu t’es dit que ça serait pas mal d’avoir un petit pied-à-terre là-bas. Mais sur la Terre, pas sur Terra. Pas pour l’instant. Terra était trop sauvage, trop médiéval. La magie n’y était pas très bien vue. Alors que sur Terre, ça passait pour du folklore. Pour des lubies inoffensives. Tu n’avais pas l’intention de t’exposer, bien sûr, mais il était agréable de savoir qu’en cas de besoin, tu pouvais te faire passer pour ces hippies adeptes de la « wilca » ou un truc du genre.
Habillée d’un jean noir et d’un chemisier ivoire, tenue sobre mais distinguée, tu t’étais présentée chez le notaire de la ville. Non sans avoir auparavant lancé un sortilège de traduction universelle sur ta petite personne. Tu ne bitais absolument rien au japonais après tout. Et il était tellement plus simple de se servir de la magie… Tu ne savais vraiment pas comment faisaient les moldus.
La journée s’était vite passée, en compagnie de ce Mr. Gutchi. Il t’avait présenté plusieurs demeures, de la plus hideuse à la plus belle. Aucune ne te convenais. Toutes étaient situées en ville. Il te fallait quand même un terrain situé à l’écart, en cas de « perturbations magiques ». Quand tu as demandé au notaire s’il n’avait rien dans ce goût-là, il a paru gêné. Il a hésité, avant de répondre par la négative. Tu discernais le mensonge dans son attitude. Dans ses yeux. Tu n’avais même pas besoin de légilimencie pour le savoir. Et tant mieux, vu que tu ne maîtrisais pas encore cette discipline à la perfection.
Profitant de ne pas être dans ton monde, et donc de ne pas risquer de voir les aurors débouler si son sortilège ne marchait pas comme prévu, tu sors ta baguette d’un geste vif, sous le bureau, et tu murmures alors :
« Impero. »
Immédiatement, le regard du notaire se fit vague. Il releva la tête, t’observant pour attendre tes ordres.
« Que me cachez-vous ? »
Avec un sourire, tu le vis se saisir d’un épais dossier. Il te le tendit, et tu le feuilletais rapidement, avant de t’arrêter sur la photo de la maison. Le manoir, plutôt. Une grande bâtisse, vieille, un peu en ruine, mais pleine de charme. La description le datait du milieu du XVIIIème siècle. A l’orée du XIXème siècle, un crime atroce avait été perpétré ici. Depuis, il était passé de mains en mains, sans jamais que les propriétaires ne restent plus de quelques jours. En désespoir de cause, l’agence qui s’en occupait à présent l’avait cédé à un promoteur afin de le raser et d’en faire un grand centre commercial. L’achat n’aurait pas dû être possible, puisque le manoir était classé au patrimoine, mais quelques pots-de-vin avaient suffi.
Tes lippes s’étirèrent plus largement.
« Je désires acheter celui-ci. Il me convient. »
Toujours sous le coup du sortilège d’impérium, le notaire fit obligeamment tous les papiers. Et, un sortilège de confusion plus tard, il était persuadé que tu l’avais payé. En un tour de main, tu étais devenue propriétaire. Un grand sourire salua le notaire, un peu déboussolé, lorsque tu le quittas. Les clés et les papiers en main, tu l’oublias dès que tu lui tournas le dos.
Tu ne te dirigeais pas immédiatement vers ton nouveau domaine. Tu devais repasser dans ton monde, quelques jours, pour assister à des soirées, des galas de charités, et autres futilités. Ce n’est que quelques jours plus tard, alors que la une des journaux affichait le désarroi de l’agence notariale et le mécontentement des promoteurs à propos de la vente avortée d’un vieux domaine extérieur à la ville, que tu as eu l’occasion d’y aller enfin. Concentrée sur ta nouvelle acquisition, tu passas le reste de la journée à le remettre en état. Tu le bardais de sortilèges défensifs, de sortilèges repousse-moldus et d’autres protections apprises ou inventées. Le terrain était vaste. Situé à quelques kilomètres de la ville, le manoir était néanmoins entouré d’un magnifique écrin de verdure. Il ne se voyait d’ailleurs pas depuis la route. Un grand portail en fer forgé marquait l’entrée de la propriété, suivi d’un chemin sinueux au travers des arbres touffus. Enfin, quand on arrivait à l’orée de ce petit bois, il se dressait, majestueux. Même s’il était encore en ruine pour le moment, il avait de la gueule. Derrière le manoir, un grand jardin s’étendait à perte de vue. Puis, une petite colline vallonnait le terrain, avant que des bois ne recouvrent le reste, et ce pendant plusieurs kilomètres. Un grand lac y était aussi présent, commençant un peu avant la forêt et se terminant à peu près au centre. Des cours d’eau s’en échappaient, rejoignant des rivières et quittant ton terrain. Ton terrain. Ça faisait toujours plaisir à penser. A dire.
La nuit tombait lorsque tu as finis de lancer les sortilèges de protections et de repousse-moldus. Aucune attaque magique ne pourrait être menée contre ton domaine, et les moldus ne pourraient pas s’en approcher. Ils ressentiraient le besoin instinctif d’aller ailleurs, se rappelant qu’ils avaient oublié d’éteindre le gaz ou de fermer la porte de leur maison. Et si jamais ils les franchissaient quand même, ils ne verraient du manoir qu’une ruine (tel qu’il l’était aujourd’hui, par exemple), et un jardin en friche, mal-entretenu. Des sortilèges d’alarmes aussi avaient été lancés sur la demeure. Heureusement que tu avais pensé à emmener un coffret de gemmes chargées de puissances magiques. Il t’a été bien utile pour lancer tous ces sortilèges sans t’épuiser.
Observant la lune qui se dressait dans le ciel obscur, tu pénétras pour la première fois dans le manoir. Les meubles des précédents propriétaires, et sans doute même des tout premiers, ornaient encore le sol dallé et plein de terre et de feuilles mortes. Chaque pièce était laissée dans l’état où les anciens propriétaires l’avaient laissé. Ils étaient sans doute partis subitement. Qu’est-ce qui avait pu leur faire peur à ce point ? Même l’agence n’avait rien touché. Sur la table de la grande salle à manger, une longue table en chêne recouverte d’un napperon qui avait dû être blanc autrefois, il y avait encore les assiettes, à peine entamées. La nourriture avait moisi, séché, pourri. Des toiles d’araignée ornaient les encadrements de portes, les meubles, les étagères des bibliothèques. Le salon avait été ravagé par les éléments, une partie du mur était explosée. Des pierres jonchaient le sol, recouvertes de mousse. Des branches d’arbre avaient atterri en travers dans la pièce. Avec un soupir, tu remis la tâche au lendemain.
Les escaliers en marbre noir étaient en mauvais état aussi, mais c’était juste par manque d’entretien. Des graffitis ornaient les murs jusqu’au premier palier, mais le reste semblait avoir été épargné. Et s’il y avait des traces de pas en bas, ainsi que dans l’escalier, il n’y en avait pas à l’étage. Des escarpins laissaient une marque bien nette dans l’épaisse couche de poussière qui maculait le tapis. Apparemment, qui qu’aient été les visiteurs de la demeure en ruine, ils n’étaient pas allés plus loin.
La raison t’apparut au bout de quelques pas. Dans un crépitement étrange, une masse blanchâtre traversa l’épais mur de pierre et tenta de se jeter sur toi. Tu ressentis l’habituelle sensation de froid quand un fantôme te traversait. Les fantômes de Poudlard étaient familiers de ce genre de petite « surprise ». Soit parce qu’ils ne regardaient pas où ils allaient, habitués à leur mort, soit parce qu’ils voulaient effrayer, comme Peeves, l’esprit frappeur. Dans tous les cas, ça n’avait jamais marché sur toi. Tu avais très tôt eut l’habitude de croiser le fantôme d’une de tes ancêtres morte à l’âge tendre de sept ans.
Tu pivotas en fronçant les sourcils, observant l’homme qui s’apprêtait à refaire son manège, certain de te voir t’enfuir en hurlant. Il était entre deux âges. Il ne semblait pas avoir cinquante ans, mais il avait allègrement passé la quarantaine. Une haute stature, une carrure de bourreau et une épaisse barbe drue semblaient être les principales caractéristiques physiques. Son visage était marqué de quelques rides d’expression, et ses traits suggéraient une ascendance européenne et non eurasienne ou asiatique. Une épaisse chevelure fournie couvrait son crâne qui se dégarnissait légèrement sur les tempes.
Tu lèves la main alors qu’il s’apprête à foncer de nouveau à travers toi, et il se fige net à quelques centimètres.
« Vous avez fini ? Ou c’est le comité d’accueil habituel des nouveaux propriétaires ? »
L’homme fronce à son tour les sourcils, se demandant sans doute pourquoi tu n’étais pas effrayée. Un fin sourire étire tes lippes.
« Non, parce que je vous connais, vous, les fantômes. Quand vous avez trouvé une activité amusante, vous ne vous arrêtez jamais. Alors si vous essayez de me faire m’enfuir de peur, c’est raté, je préfère vous prévenir tout de suite. J’ai une assez bonne expérience des fantômes. J’ai pratiquement grandi avec. »
Il se redresse et s’éloigne de quelques centimètres en flottant.
« Vous me voyez ? Vous n’avez pas peur ? Interrogea-t-il, légèrement hagard.
- Pourquoi j’aurais peur ?
- Ben. Tout le monde a peur. »
Secouant la tête, tu commences à discuter avec le fantôme tout en ouvrant les portes, visitant les pièces du premier étage. Tu t’arrêtes dans une chambre vaste et bien agencée. La poussière est épaisse, mais le reste à l’air en bon état, quoiqu’un peu défraîchi. Le fantôme, qui s’appelle Gregor comme tu l’as appris, t’explique qu’il habitait là avant le drame qui avait eu lieu au début du XIXème siècle. Il ignore ce qui s’est passé exactement le soir du crime, mais ce n’était pas naturel. Sa famille avait été désintégrée, maculant les murs de sang et d’os. Une entité l’avait ensuite dessoudé, salement. Son esprit n’avait pas trouvé le repos, s’interrogeant sans cesse sur cette entité. Au fil des années, il avait appris plusieurs choses depuis le monde des esprits. Notamment que le manoir, et tout le terrain qui lui appartenait, était situé sur une sorte de gisement de pouvoir. Il avait aussi appris que la grotte au cœur de la forêt abritait des gemmes et d’autres pierres au pouvoir d’absorption magique énorme. Des galeries courraient d’ailleurs sous le terrain, bien creusées à plusieurs kilomètres sous la surface du sol. C’était parfait pour tes plans. Par contre, l’entité sombre, un peu moins. Mais tu trouverais bien le moyen de t’en débarrasser si jamais elle revenait.
A mesure que tu remettais la chambre en état, tu continuais à discuter avec Gregor. Tu appris qu’il descendrait d’un célèbre chef de guerre roumain, un certain Vlad Tepes, et qu’il était venu s’exiler au japon avec sa famille pour fuir la vindicte populaire qui les désignait comme étant des « vampires ». Il avait passé quelques mois ici, avant que l’entité ne vienne les tuer.
Comme tu bâillais, il t’offrit de te laisser te reposer et de reprendre la discussion le lendemain. Il était presque deux heures du matin, alors tu approuvais. Toute habillée, avec ton jean et ton chemisier, tu te jetais dans le lit moelleux, retirant tes escarpins d’un geste négligent. Demain était un autre jour, n’est-ce pas ? Enfin, si tu réussissais à dormir sans être dérangée, évidemment.