Les terres sauvages / Traque [Cathari]
« le: dimanche 10 mars 2019, 00:08:04 »Retrouvant le chemin de terre, je sortais à l'orée des arbres pour contempler la lande un bref instant puis me mettre en marche. Ce pays ne me plaisait pas, ce monde ne me plaisait pas beaucoup plus. Mais il regorgeait d'informations qu'il me semblait vital de connaître. Si je voulais parfaire mon savoir, je ne pouvais pas me contenter de rester sur Terre. Le chemin sinuait le long de la lande à perte de vue. Ici et là on devinait dans l'obscurité les formes sombres d'autres bosquets, parfois d'une bicoque abandonnée. On m'avait prévenu dès le début de mon périple : en quittant la "métropole" ou j'avais débarqué, on m'avait enjoint de prendre une autre route. Trop dangereuses, des épidémies ces dernières années, et rien qui vaille la peine si ce n'était ma destination. Oui, un bateau aurait pu m'y mener mais au prix de trois ou quatre jours de plus. Je ne voulais pas m'y résoudre, estimant ne pas risquer grand chose sur ces chemins.
Une heure passa dans la monotonie d'une marche forcée. Un vent frais s'était levé et faisait onduler mollement les hautes herbes sur le bord du chemin. A quelques encablures de là, le chemin grimpait une colline pour s'enfoncer dans une forêt bien plus épaisse que le premier bosquet traversé. Si j'estimais correctement ma trajectoire et le temps passer à marcher, je devrais pouvoir trouver un village derrière cette forêt pour y passer ma prochaine journée. J'avais donc bien avancé et cela me rendait d'autant plus heureux et confiant quand à l'issue de ce périple. Enfin, avant d'entendre les cris.
Dans la configuration des lieux, un humain n'aurait peut-être pas trouvé l'origine des cris. L'avantage des modifications corporelles ... Je discernais des voix d'hommes, rudes, grossières. Celle d'une femme également. Difficile de ne pas imaginer une situation fâcheuse. La raison voulait que je passe mon chemin, que je fasse comme si je n'avais rien entendu. Mais il y avait la curiosité, cette satanée curiosité. Des lueurs qui dansaient au loin entre les troncs de la futaie, des hennissements de chevaux piaffant d'impatience. A tout les coups, des bandits de grand chemin avaient tendu un traquenard à des voyageurs et ces derniers s'étaient faits piégés. Je coupais court à travers les fourrés au risque d'abimer mon pantalon parmi les ronces. Les cris continuaient, la tension de la scène invisible devenant de plus en plus palpable à mesure que je me rapprochais.
Je déboulais à quelques mètres de l'action : dans une trouée dépourvue d'arbres, trois hommes cernaient une jeune femme. Deux étaient armés alors que le troisième tenait en ses mains un filet. Un coup d'oeil rapide aux montures des hommes et à leurs paquetages me renseignaient déjà sur ce qu'ils étaient : des esclavagistes. Aussi loin dans une zone reculée ? La donzelle devait valoir le coup pour qu'ils viennent la chasser ici ou qu'ils l'aient poursuivie aussi longtemps. N'ayant produit aucun bruit en arrivant, je restait un observateur invisible et en retrait. Inutile de foncer tête baissée, je devais prendre à mon avantage la situation. Tout en réfléchissant, je réalisais avoir déjà pris ma décision d'intercéder en la faveur de la jeune femme. Mon altruisme me perdrait un jour, si ce n'était ma curiosité.
Je passais en revue mes différentes options. Ils se rapprochaient encore d'elle, et il paraissait clair que d'ici une poignée de secondes ils allaient fondre sur elle pour la capturer. Autant dire que dans l'urgence, je n'avais pas non plus le temps de m'assurer que je prenais toutes les bonnes décisions. En trois pas longs, je ralliais la monture la plus proche de moi. Elle renacla de peur du fait de ma race, mais j'eus le temps de saisir sur son flanc la lance qui y trônait. Soupesant l'objet, je me tournais vers les trois hommes encore absorbés par leur proie.
Et bien messieurs, en voilà des manières !
Intérieurement, cela me faisait rire de parler ainsi. Impossible autant qu'improbable de parler de la sorte sur Terre dans ces tournures désuettes alors que je leur trouvais un certains charme. Les trois brigands pivotaient, mais l'un de ceux armés n'eut pas le temps de finir son geste : sa propre lance venait de transpercer son dos, la pointe dégoulinante de sang dépassant de son torse et le forçant à lâcher une série de gargouillis peu ragoutant.