Cette attaque imprévisible se compliquait encore avec l’arrivée de ce dragon. Fort heureusement, Adamante était vigilante, et les flammes du dragon les englobèrent pendant quelques instants, noircissant l’herbe alentour, avant que le dragon ne s’envole. Prudente, Adamante continuait à faire crépiter ses sorts, pendant que le dragon s’envolait dans les airs. Depuis les tours d’Alserac, des balistes s’armaient, et tiraient sur le dragon. Hélas, celui-ci était assez éloigné, et, la seule fois où une baliste le toucha, ce fut à un emplacement de son corps où ses écailles étaient particulièrement épaisses, de sorte que la carapace du dragon tint le coup.
«
Il revient ! -
Majesté, je… »
Adamante se préparait déjà à intervenir… Mais Jhorne se posta soudain devant elles, entre elles et le dragon, qui descendait à pic, fondant sur le groupe.
«
Mais qu’est-ce que vous faites ?! -
Écartez-vous, sombre idiot ! »
Mais, loin de vouloir obtempérer, Jhorne leur intima au contraire de partir. Entre-temps, les
Berserkers se rapprochaient dangereusement. La priorité restait de protéger la Reine, et, au même moment, Elena vit quelque chose émaner de la solide épée de Jhorne. Une sorte d’onde lumineuse, aussi éblouissante qu’un soleil, en jaillit, et frappa le dragon, l’aveuglant au passage. Déstabilisé, le dragon perdit son équilibre, et Jhorne s’élança ensuite à sa suite, laissant ainsi le champ libre pour ramener la Reine en sécurité… Ce que Luria s’empressa de faire, tandis qu’Adamante déployait ses sortilèges pour repousser les
Berserkers, avant que les soldats d’Alserac ne le fassent eux-mêmes.
Elena, de son côté, se laissa transporter. Elle grimpa sur le cheval de Luria, un peu déphasée de cette situation, car elle avait encore en tête le curieux sort de Jhorne… Et l’impression tout aussi étrange qu’elle avait eu en ce moment, une sorte de vision, une sensation surprenante… Qu’elle n’avait, pour l’heure, ressenti qu’en présence d’Adamante.
«
Sécurisez la Reine ! -
La Reine est ici ! -
Repoussez ces saloperies ! »
Une troupe de cavaliers avaient fait irruption depuis le pont-levis du fort, rejoignant Luria, Adamante, et les soldats les entourant. Mais Elena voyait tout cela de loin, repensant encore à cette image, à cette vision… Et, sans pouvoir se l’expliquer, elle revit le
Judicateur Althuis, celui-là même qui lui avait expliqué que la mort de ses parents n’avait rien d’accidentelle, et qu’elle était l’héritière d’une prophétie millénaire visant à combattre un monstre dont l’origine remontait à l’aube des temps : le Roi Cramoisi. Et, pour l’aider à le vaincre, elle devait retrouver treize guerriers ancestraux, les Immortels. Sa quête progressait toutefois lentement, mais ce qu’elle avait ressenti en voyant Jhorne user de son pouvoir…
Elena sortit de ses réflexions en rejoignant la section médicale du château, où elle fut entre les mains de l’apothicaire Orlumb. Ce dernier, malgré l’âge, n’en restait pas moins un guérisseur expérimenté, mais il n’y avait pas grand-chose à soigner sur le corps d’Elena.
«
Je vais bien, vous dis-je ! finit-elle par s’impatienter.
Allez plutôt soigner les soldats qui affrontent les monstres ! »
La jeune Reine pouvait avoir du caractère, et elle refusait qu’on lui attribue le meilleur soigneur de la garnison alors qu’elle n’avait pas été blessée. Restant seule dans la chambre, elle réfléchit de nouveau à Jhorne.
*
Se pourrait-il qu’il soit un Immortel ?*
Le Judicateur ne lui avait fourni aucune indication pour repérer les Immortels, si ce n’est de se fier à son instinct, car elle seule avait le pouvoir de sentir leur présence. Elena finit par sortir du temple médical, rejoignant l’une des cours du château. Les soldats revenaient nerveusement, emmenant avec eux les blessés. Les
Berserkers avaient été neutralisés… Et, d’ores et déjà, on accusait les Ashnardiens d’avoir envoyés ces monstres, dans l’espoir de tuer la Reine. Se pouvait-il qu’il y ait un traître ayant informé les Ashnardiens que la Reine était là ? En réalité, beaucoup de gens étaient au courant des déplacements de la Reine, car celle-ci ne pouvait pas organiser de sa propre initiative une telle tournée.
*
Les Ashnardiens… Je ne sais pas…*
Elena entendit alors un rugissement au loin, venant de la forêt.
*
Jhorne !*
Elle ne l’avait pas vu revenir, et entendait les soldats en parler.
«
Il est resté dans la forêt… -
Quoi ? Mais il y a des monstres partout ! -
Le dragon a failli tuer Sa Majesté, Jhorne ne peut pas laisser passer cela. »
Le souffle du dragon fusa entre deux arbres, vaporisant les troncs. La bête se battait dans la forêt, un environnement qui n’était pas adapté à sa situation. Elle peinait à s’envoler et à se déployer, heurtant à chaque fois les troncs d’arbres. Son sang ruisselait le long de ses plaies, et cette ultime attaque fut sa dernière tentative, avant que Jhorne ne l’attaque avec son arme, bondissant sur elle pour planter l’épée dans son crâne. La puissante lame transperça la carapace du dragon, qui poussa un dernier grondement, avant de s’effondrer lourdement au sol.
Le puissant Jhorne avait réussi à abattre seul un dragon, une lutte éprouvante… Et, alors qu’il devait sans doute vouloir se reposer, panser ses plaies… Un étrange son de flûte se fit entendre. Une mélopée proche, émanant des arbres, ressemblant à un son elfique, mais qui avait aussi des consonances magiques. Et, alors que Jhorne aurait pu récupérer un élixir pour se soigner, une flèche jaillit brusquement, et transperça l’élixir.
Une flèche étrange, à pointe
havekar… Un terme elfique tombant dans le droit commun, et qui désignait les humains commerçant avec les elfes, et notamment avec les organisations non-humaines comme la Scoia’tael, une faction militant pour la reconnaissance des droits elfiques, nains, terranides, et des autres espèces persécutées dans la société humaine. Les flèches à pointes
havekar étaient aisément reconnaissables, car, après avoir atteint leur cible, la pointe en acier s’ouvrait en plusieurs endroits, déchiquetant et aggravant la plaie, tout en libérant parfois un redoutable poison.
«
Tu es impressionnant, géant humain ! »
Une voix nasillarde, moqueuse, jaillit des profondeurs de la forêt. Impossible de l’identifier, tandis que les sons de flûte reprirent ensuite.
«
Jadis, cette terre nous appartenait, dh’oine. Et, tandis que ton nom et ta forteresse disparaîtront dans l’oubli et dans la poussière, les Aen Seidhe se relèveront ! »
Quelques accords de flûte… Puis les
Berserkers hurlèrent alors. La flûte avait attiré les monstres ici, et ils s’approchèrent de Jhorne, déferlant sur lui !