Les contrées du Chaos / Re : Le Torrent [Laura]
« le: mercredi 24 décembre 2014, 01:56:20 »« Il s'impatiente... », la petite murmure en tordant ses mains maigrichonnes, ses grands yeux paniqués regardant autour d'elle. « Nous avons un problème... oui, un problème ! »
Les tremblements s'accentuent par poussées, redescendant régulièrement pour recroître de plus belle. Les personnages évaluent des possibilités, envisagent de fuir par la porte ; mais privés de leur libre arbitre ils restent sur place à claquer des dents, craignant d'être déchirés avec le tissu de la réalité.
Le récit trop longtemps endormi sort de sa torpeur en baillant, fait ses étirement la gueule grande ouverte et emplit l'air d'une odeur de charogne. Il secoue sa lourde tête, fait ondoyer sa trame narrative. Les portes des meubles s'ouvrent et brinquebalent, et leurs contenus s'échappent en rythme stochastique pour frapper le sol ; assiettes de bois et pots en terre rebondissent et se fracassent de concert, accompagnés par le craquement du bois, le tonnerre des armoires renversées, et des volets qui éclatent en milliers d'échardes. Un bruit de vieilles brindilles qu'on brise et de tomate qu'on presse, et la jeune fille s'aplatit du bas vers le haut, écrasée par un pouce invisible ; cervicales, fémurs et le reste sont émiettés, comprimés, éclatés tout fluide dehors, et la galette de chair est jetée à la mer. Les protagonistes hurlent tandis que les pierres des murs se déchaussent autour d'eux. D'acteurs à spectateurs, ils se regardent et s’auscultent mutuellement de leurs regards horrifiés, se voient bouger à reculons, entraînés par leurs jambes qui s'activent à rebours, comme articulées par des fils invisibles.
La bâtiment dont ils ont été extraits n'est plus qu'un souvenir qu'ils contemplent de face en s'en éloignant, un champs de terre labouré par un soc gigantesque. Et un essaim de pierres et poutres qui zonzonnent au dessus du sol avec un grondement de tempête. Il en fait pleuvoir, des briques, des volets, des tuiles et des portes, imprimant les fondations dans le sol et élevant des chaines de maisons mal fagotées les unes en face des autres. Le bruit est de plus en plus étouffé pour les deux voyageurs, qui marchent dans leurs propres traces en les effaçant.
Le titanesque chantier finit par disparaître derrière les reliefs et se faire totalement inaudible. Alors le grand horloger frappe sa montre d'une pichenette, et l'aiguille des secondes se remet à tourner dans son sens habituel. Avec elle, les membres des deux aventuriers retrouvent leur mobilité normale, et l'expression de leur visage revient à une certaine neutralité.
« Si c'est important pour toi, sache simplement que je n'ai rien à faire à Castelquisianni. J'y vais simplement guidée par mon intuition, même si celle-ci m'a souvent trompée. En fait, je compte une peu sur toi et la chance pour me donner des idées, une fois arrivée là bas... J'espère que je n'émousse pas ta loyauté, petit homme ! » achète-t-elle en gloussant.
Arrivée en haut de la colline, la constatation que la ville est bien là où elle avait pensé la trouver renfloue légèrement l'ego de Laura. Elle se tourne vers son jeune compagnon avec un sourire ;
« Nous y voilà encore un petit effort, chevalier, nous y sommes ! »