Dong. Ding. Dong.
C'était déjà la fin des cours. Le regard perdu, jonglant entre l'extérieur du bâtiment et mon bureau indubitablement trop propre pour être celui d'un étudiant chevronné, je n'entendis pas la - autoproclamée - déléguée de classe diriger les habituelles politesses de lycée. Ni le professeur ni aucun de mes camarades d'ailleurs ne semblaient s'en soucier. Je sentis tout de même quelqu'un me donner un coup de coude sur l'épaule, comme pour me rappeler à l'ordre, et je me levai, jetai un regard regard exaspéré à l'origine du choc.
Allen, c'était son nom. C'était également mon voisin de table, et il semblait avoir une certaine affection pour moi, du moins un intérêt certain. Ne vous y trompez pas, je n'avais aucune animosité envers lui et sa belle gueule, son sourire trop parfait et sa frange taillée avec précision. Je n'étais pas stupide, et j'imaginais parfaitement ce qu'il pouvait bien penser à mon égard. Il avait pour habitude de venir me chercher à chaque début de cours pour s'assurer que j'étais bien présent, ainsi que de jeter instantanément son manuel près de ma table lors de travaux de groupe. Je dois l'avouer, je le soupçonnais d'être gay. Malgré mon corps fin, l'idée d'être le centre d'intérêt d'un autre homme ne m'étais jamais venue à l'esprit. Il m'arrivait parfois de rire à cette pensée ; d'un rire sombre et mal à l'aise.
Nous n'avions jamais véritablement discuté, mais sa compagnie ne m'était pas désagréable, bien que je n'y attachât aucune réelle importance. J'avais tout de même un minimum de respect pour ses efforts, qui duraient bien depuis trois longues années maintenant. C'est pourquoi je m'efforçais de constamment garder une certaine distance entre nous, car il ne trouverait que peine et souffrance en se tenant trop près de ma personne.
Je n'avais en effet aucun intérêt pour les personnes de sexe masculin. Qu'il soit physique, sentimental ou même intellectuel. Bien que je ne les haïssais pas, je ne trouvais aucun plaisir à leur compagnie, ni même à leur vue. Ils n'étaient rien pour moi. Et rien ne pourrait jamais y changer quoi que ce soit.
C'était une vision peut-être très sectaire, mais je n'étais pas du genre à trop réfléchir à ce genre de choses, ou à me remettre constamment en question. Je m'étais convaincu que je suivais le bon chemin il y a déjà longtemps, et je comptais m'y tenir. C'était la seule solution pour éviter de tomber dans le gouffre... Je secouais la tête pour chasser la suite de mes pensées.
Mes mains se crispèrent légèrement, comme pour me redonner confiance en moi, me rattacher à cette réalité
« Tu vas bien ? Nahil, ça va ? »
La voix de mon camarade me parvint, un peu trop proche à mon goût.
Je n'avais jamais vraiment aimé ce surnom. D'ailleurs, je ne lui avais jamais permis de m’appeler de cette façon. Si nos rares conversations en étaient déjà venues à un tel point, je m'en serais rappelé pour le restant de ma vie.
« Laisse-moi tranquille, s'il te plaît » furent les seuls mots que je m'autorisai à lui adresser ce jour là.
Cela devrait suffire à l'éloigner. Les hommes étaient si simples à satisfaire. Le « s'il te plaît » était une technique que j'avais affinée au cours des années et qui, utilisée à bon escient et au bon moment, pouvait parer n'importe quelle attaque. Comme prévu, Allen eut un petit sourire et ne dit mot, finissant de ranger ses affaires avant de se rendre à son club. Mais je ne me faisais pas d'illusions, il retournerait à la charge dès le lendemain. Je soupirai. Je ne participais pour ma part à aucun club, aussi ne me pressais-je pas pour remballer l'unique stylo qui se baladait sur ma table.
J'aimais bien rentrer tard le soir, la nuit me convenait plus que les éclats brûlants du soleil japonais.
Les couloirs de l'université étaient pratiquement vides lorsque je me décidai finalement à sortir de la classe. Seuls quelques étudiants assidus continuaient à griffonner sur leurs pages noires de notes, corrections, annotations. Celui-ci calculait sa note minimale à obtenir pour la réussite de son semestre, cet autre rédigeait un énième brouillon pour son devoir à rendre dans deux mois.
Mais c'est elle qui attira mon regard : vêtements noirs, plutôt moulants, l'air farouche et un regard de tueuse. On distinguait parfaitement les formes de ses seins fermes dans l'ombre du couloir, secondées par la superbe courbe que formait ses fesses quelques centimètres plus bas. Le profil était incontestablement sexy, exaltant et enivrant. Sans m'inquiéter de notre entourage, je restais debout au milieu du couloir à admirer cet être d'un autre monde dont le corps entier hurlait de désir et de passion.