Les alentours de la ville / Re : L'Ombre du passé [Saël Thorne]
« le: mardi 02 décembre 2025, 02:19:06 »Son cœur, lui, heurta sa cage comme un oiseau impatient. Enfin, il l'avait reconnue. Il ne prononça son nom qu'une fois, et pourtant, la semi-démone eut l'impression qu'il résonnait comme un écho lointain, un chuchotement ténu d'un passé qui brûlait toujours dans ses os et son âme. Comme figée sur place, Anéa ne recula pas lorsque son ancien supérieur s'approcha d'elle, mêlant leurs ombres dansantes sur le sol.
- Enfin. Il t'en a fallu du temps.
C'était dit sans chaleur, mais sans méchanceté réelle non plus. Ce n'était qu'une façon de masquer un trouble qu'elle se refusait de laisser paraître. Elle n'avait pas demandé à être appelée, à être reconnue, ni à être vue...
Tsaphkiel s'approcha de nouveau, d'un pas à peine perceptible, comme s'il ne foulait même pas le sol. Il n'était pas assez proche de la jeune femme pour la toucher et elle, bien entendu, ne recula pas d'un millimètre. Elle n'avait jamais reculé devant lui. Cependant, l'archange cligna des yeux, détournant un instant le regard comme si le soleil l'éblouissait. Mensonge. Ce n'était guère la lumière extérieure qui lui faisait plisser les paupières, mais bien le Prince des Trônes qui rayonnait d'une puissante aura. Elle grimaça un instant, pestant. Tout ceci l'agaçait...
Les paroles qu'il tenait étaient des plus simples, et si Anéa le laissa parler sans le couper, elle ressentit une tension glisser le long de sa colonne, sourde et ancienne. Quelque chose dans son ton, dans la manière dont son regard doré cherchait le sien glacé, réveillait un souvenir enterré sous les siècles. La guerrière prit une lente inspiration, contrôlée en tout point, bras croisés sous sa poitrine. Elle prit le temps de réfléchir à ce qu'il lui avait demandé : un lieu large, ouvert, qui ne craindra pas leur mémoire. L'ancienne céleste comprit ce qu'il sous-entendait par cette demande, et quelque chose dans cette formulation l'irritait autant qu'il la frappait en plein cœur. Toujours ce langage, cette grandeur et cette poésie, cette manière d'habiter le monde comme s'il lui devait silence...Anéa leva finalement les yeux vers lui, un sourire fin et ironique sur les lèvres.
- Tu t'rends compte que t'as vraiment choisi le pire endroit de l'univers pour être discret ? Tu te pointes ici, avec ta belle gueule d'ange, ton aura céleste aussi captivante que le soleil, et une épée plus grande que moi. Et tu veux un endroit tranquille pour qu'on s'en mette sur le coin de la figure ?
La demi-démone secoua lentement la tête, exaspérée mais une lueur trouble passa dans son regard de glace, une étincelle qu'elle chassa aussitôt.
- Très bien. Il y a les îles Habomai, au nord du pays, qui sont inhabitées. Il suffira tout de même de ne pas attirer l'attention des bateaux qui passent.
La jeune femme, avec sa chevelure de jais vacillant au vent, contourna Tsaphkiel. Elle le frôla brièvement, un contact volontaire, comme pour prouver que tout ceci était bien réel. Une chatouille minuscule, presque hostile...presque tendre. Puis, la demoiselle prit ses distances, semblant prendre la direction de la sortie du parc, les mains dans les poches.
- Suis-moi. Et te perds pas s'il-te-plaît, parce que je ne t'attendrai pas...
Pas même un regard par dessus l'épaule et la voici qui s'avança dans les ruelles de Seikusu. L'archange déchue ne se retourna pas à un seul moment. Elle savait pertinemment qu'il la suivait, toujours de ce pas sûr et silencieux, trop maîtrisé pour appartenir à un simple humain. Sur le chemin pour rejoindre son appartement et récupérer ses armes, parce qu'il fallait bien ça pour lui montrer qui elle était, Anéa prit le soin d'éclaircir un peu sa voix, abandonnant un morceau de sa nouvelle réalité au vent.
- Tu parlais de...voir où bat mon ciel. Tu risques d'être déçu. Il est très bas, désormais, et pas toujours du bon côté.
Un rictus amer effleura les lèvres charnues de la jeune femme. Qu'est-ce qu'il devait penser de sa déchéance ? Était-il au courant de tout ce qui avait fait qu'elle ne foulait plus les cieux ? Est-ce qu'il sentait qu'elle n'avait presque plus rien d'angélique ? Peut-être qu'il attendait juste le bon moment pour la faire passer à trépas...
Anéa s'arrêta brusquement en bas d'un immeuble. Il devait rester là à l'attendre. La déchue ne prit pas beaucoup de temps, juste assez pour prendre ses deux armes et de redescendre afin de le rejoindre et de prendre la direction des îles Habomai. Étrangement, elle ne souhaitait pas que le Prince des Trônes pénètre dans son appartement. Pourquoi ? Elle ne le savait pas vraiment, mais c'était le seul endroit où elle était...Tranquille. Avant de reprendre la route, elle jeta un œil vers Tsaphkiel, croisant son regard. L'ambre contre la glace...Il n'y avait là ni défi -pas encore, du moins-, ni soumission. Seulement une vérité nue, offerte malgré elle.
- L'endroit où on va aller, c'est un paysage peu commun mais il n'y a pas d'humain, au moins. Sauf quelques oiseaux vivent là...Il y en aura juste deux de plus le temps d'un combat.
La déchue hocha la tête vers le Prince, signe qu'ils pouvaient s'envoler à pleine vitesse afin de rejoindre Habomai. Sur le chemin, elle se tut, sa chevelure semblant à des vagues de jais dansantes et s'écrasant sur ses épaules. Les îles, surtout celles de la taille d'Habomai, n'étaient que rarement peuplées. Bien sûr, il y avait eu du passage humain auparavant, mais la nature y avait les pleins droits.
L'air marin était plutôt frais, mais ce n'était pas pour déplaire à la guerrière. L'île principale, la plus grande, n'était qu'un immense plateau d'herbes rases et de mousses, entouré de plages de galets plus ou moins gros. Ce n'était pas un terrain simple pour s'affronter. Tant mieux. Battre Tsaphkiel ne sera que plus...joussif. Ouvrant grand les bras vers l'éphèbe immortel, Anéa s'inclina à la manière d'un noble gentilhomme faisant face à la royauté.
- Alors, Prince des Trônes, tu voulais savoir ce que le monde a fait de moi, mh ? Je vais te le montrer.
Ses lèvres légèrement rosées s'étirèrent en un sourire froid, et pourtant infiniment vivant. Anéa dégaina ses armes, toujours en s'inclinant, faisant bien trop de manières qu'à l'habituel. Son regard vibrait d'une lueur vive...Presque de folie.
- Viens. Je t'attends.












