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« le: vendredi 17 septembre 2010, 23:33:06 »
Un soleil dense irriguait le ciel, perçant de larges nuages sous formes de traînées lumineuses épaisses et, effet de loupe oblige, embrasait la pièce, faisant peser au sein de la salle de cours une atmosphère tant lasse que lourde. Ni simple bavardage ni réel chahut, personne ici-bas ne parlait, à l’exception du professeur qui semblait lui-même peiner un peu plus à chaque mot qu’il laissait émerger du fond de ses cordes vocales avant que ceux-ci ne parviennent à trouver faible écho entre ces murs. Dans le fond de la pièce, reposé par l’ombre d’une colonne de béton, Oliver roupillait. Certes il avait bien essayé de rester éveillé le temps de son dernier cours de la matinée ; il aurait pu s’adonner à son activité favorite et plonger son regard de l’autre côté des fenêtres, observer le décor et se rêver ailleurs, mais le soleil qui réchauffait l’extérieur en demeurant agréable élevait la température intérieure à une chaleur caniculaire, et les membres du jeune homme s’en étaient trouvés foudroyés d’engourdissement avant que ses paupières n’en viennent à se presser d’elles-même.
La cloche sonna enfin, libérant le garçon tant de sa torpeur que de sa cellule. Il se leva en silence et amassa ses affaires avant de sortir calmement de la pièce. Autour de lui, ils s’agitaient, le bruit déjà s’élevait et leurs pas pressés menaient leurs épaules et leurs bras à se choquer les uns aux autres sans qu’aucun ne daigne relever le regard, ralentir ou se poser. Ils avaient un lieu où se rendre. Cafétéria ou parc, par bandes d’amis ou groupes de travail, ils parlaient fort et marchaient vite, sans se soucier de ce qui les entourait. Sans se soucier de la veille ou du lendemain. Il lui sembla alors, soudainement, être en dehors de tout. Appartenir à un autre monde, une nouvelle dimension. Ils marchaient vite, avaient un endroit où se rendre. Lui s’en foutait. Il avait le temps. Plus rien n’avait réellement d’importance. Il se moquait de rejoindre la cantine au plus tôt. Il était là, dans ces couloirs, au coeur de cette foule, mais il avait l’étrange impression qu’il était ailleurs. Ici, mais aussi ailleurs. Il eut alors cette impression qu’il aurait pu continuer d’avancer à un rythme différent, reculer ou simplement s’arrêter, sans que cela ne gène personne. Il leur serait passé en travers. Impression de ne plus être corps, mais simple esprit. Impression furtive, rapidement évincée par le coup d’épaule maladroit, accidentellement asséné par un gamin brusque et pressé. Retour à la réalité sans réelle importance. Dans les couloirs du lycée, un gamin obèse dormait debout, adossé contre la garde des escaliers, sa casquette râpée couvrant le haut de son visage, retombant sur son nez. Il n’était pas le seul à ne pas être pressé. Il n’était plus le seul à avoir le temps ; et ça lui allait.
Ses pas finirent par le mener aux portes du bâtiments, le délivrant de cet air embrasé pour rejoindre l’extérieur quelque peu plus frais. Le soleil cognait aussi fort en dehors qu’en dedans mais un vent léger venait apporter à l’atmosphère une légèreté nouvelle la rendant plus supportable. Relevant son regard vers le ciel, il vit des nuages d’un blanc si pur et d’une épaisseur telle qu’il aurait voulu leur grimper dessus pour en dévorer la crème fouettée. Il vit quelques moucherons qui volaient là, témoignant du retour de la chaleur des beaux jours. Il vit le vent imprégner les brins d’herbes, agiter les quelques tiges de plantes sauvages et, plus haut, caresser les feuilles solides d’un cerisier. Il observa trois petits oiseaux se pavaner sur une frêle branche. Alors, Oliver plaça entre ses lèvres une cigarette et fouilla dans ses poches à la recherche d’une cigarette, ne quittant ces trois petits oiseaux des yeux, sans ne prendre la peine de cesser son avancée.
Sa marche l’avait conduit au portail de l’établissement lorsqu’il trouva enfin un briquet au fond de la poche intérieure de sa veste. Il en craqua la pierre mais l’étincelle n’embrasa rien. Il suffit d’un rien pour qu’un système, aussi élaboré soit-il, manque à son fonctionnement. D’un rien ou d’un manque. Plus de gaz dans le jetable, Oliver l’envoya éclater au loin dans une légère détonation ponctuée d’une faible explosion. Peut-être qu’après tout, y demeurait un fond de gaz. Cigarette entre les lèvres sans plus de feu pour embraser, le jeune homme observa rapidement autour de lui avant d’apercevoir une jeune femme à quelques pas de lui.
Certes il n’était arrivé en ces lieux que depuis bien peu de temps mais il s’était assuré avoir déjà posé son regard sur chaque visage de ces lieux, aussi se trouva-t-il étonné de ne pas l’avoir remarquée plus tôt. Avec ses cheveux incroyables, son visage mutin, son corps enflammé et sa tenue des moins conformes — ce qui n’était somme toute pas pour lui déplaire, au contraire — s’il lui avait été donné d’un jour croiser la fille, assurément s’en serait-il souvenu. Oui, de toute évidence, c’était bien la première fois qu’elle se présentait à son regard. Il avança des quelques pas qui lui manquaient en sa direction pour s’apercevoir qu’elle n’avait rien d’une orientale. Avec un peu de chance il s’agissait là d’une compatriote, aussi se risqua-t-il à s’adresser à elle dans son anglais particulier, accentué de traits précis par ses origines du quartier New-Yorkais le plus craignos qui soit, Hell’s Kitchen.
« Excusez-moi, auriez-vous du feu ? »
Et une minute ou deux... Après tout, pourquoi pas ? Oui, cette première impression se confirmait ; la jeune fille l’intriguait assez.