Curieux, et stimulé, aussi, par les taux de stress, de dénuement et d'autoflagellation qu'il pouvait sentir émanant de la jolie brunette nippone, Damien agit sans précipitation, et avec un véritable excès de tact, même : sans doute paraissait-il perdu puisque le réceptionniste lui offrit subitement son aide, après une longue hésitation. Il allait se vexer et lui dire de se mêler de ses oignons, mais un regard sur elle lui changea les idées. La jolie fille aux cheveux noirs de jais venait de se séparer de son dernier copain et débordait d'émotions complexes, souhaitant faire tomber les hommes pour se venger, mais voulant leur tomber dans les bras pour se rassurer sur son charme. Elle était prête à aller loin pour lui plaire.
" Oui, merci. C'est... Himiko, c'est ça ? "
Elle avait été à la fois surprise et surexcitée qu'il connaisse son prénom. Elle s'imaginait déjà qu'il l'avait convoitée de longue date et n'avait jamais osé lui en parler, se voyait face à un cas facile et gagnait à la fois en orgueil et en désir. La bouche en cœur, elle se cambrait en gonflant la poitrine, et faisait des tours en exposant ses meilleurs angles au regard du jeune Américain qui, lui, l'observait sans l'écouter. Il n'y avait personne, et l'entretien n'était pas encore fini.
Et à quoi bon ? Sans un mot, il passa la main sous les élastiques de la jupe et du string de la Japonaise et l'entraîna à sa suite dans la petite réserve attenante.
Il sortit l'air de rien, laissant la réceptionniste, échevelée, seins et croupe à l'air, avec tous ses habits encore sur elle, se remettre de ses émotions et des secousses de son orgasme, et passer ses doigts de façon absente autour de ses lèvres, là où la main s'était fermée sur sa bouche et lui avait interdit de faire du bruit.
Il pensait avoir un peu de temps encore, pourtant le comité de recrutement sortait, sans la brunette, riant en anticipant la soirée qu'ils allaient s'accorder avant de rentrer chez eux. Damien fronça les sourcils.
" ... Merde. "
Cette fois, pensait-il, son arrogance l'avait bien eu. Il avait couru deux lièvres à la fois et avait probablement attrapé le moins intéressant des deux. La réceptionniste était un bon coup et était jolie, mais elle n'avait ni les traits singuliers, ni le déficit de confiance pathologique de l'autre. Ne pas s'énerver, rester calme. Les Japonais rentraient rarement chez eux tout de suite après une longue journée. Elle était peut-être encore traçable. Peut-être avec une petite méditation ? Non, elle était encore bien palpable. Se laissant porter par le musc figuratif de ses émotions négatives, il s'étonna de se porter non pas vers la sortie, mais vers l'intérieur du bâtiment.
C'était curieux. Était-elle plus que ce qu'elle laissait paraître ? Une espionne, peut-être, venue voir où en étaient les programmes de Thorn Industries pour revendre l'information très cher au marché noir ? Non, ça ne collait pas au personnage. Pourquoi, alors ? Elle ne s'était quand même pas perdue... ?
Il se lança sur la trace sans attendre. Dans un cas ou dans l'autre, il avait déjà failli la laisser filer et, par pur orgueil personnel, il refusait de se laisser distancer sans effort par une proie qui ne l'avait même pas encore remarqué ; enfin, si peu...
Avec la connaissance des lieux et parce que Kara avait simplement tourné en rond, il ne lui fut ni difficile ni bien long de la rattraper. Il la retrouva, l'air hagard et enfermé, en tournant d'un couloir vers un autre. Il stoppa net et braqua une fois de plus son regard dans les iris bleus de la belle. Décidément, elle avait un type bien singulier ! Elle n'était peut-être pas la plus belle femme qu'il ait désiré, mais cela suffisait à la rendre spéciale, et à lui donner envie de l'ajouter à sa liste d'expériences terrestres.
Marquant la pause, silencieux, et gardant cette attitude nonchalante mais affirmée qu'il avait déjà au préalable, il la dévisagea sans montrer de surprise, l'étudia sous toutes les coutures comme s'il cherchait à savoir si elle cachait quelque chose, et se laissa envahir par les sensations vivaces qui n'allaient pas tarder à éclater en elle lorsqu'il ouvrirait enfin la bouche.
" Vous avez eu le job, alors ? "
Curieuse question, sans doute ; inattendue, certainement. Il étaya :
" Vraiment, ne vous sentez pas obligée de faire du zèle, on vous montrera votre bureau et les locaux demain. Je m'appelle Damien. Damien Thorn. Et vous êtes ? "
Il lui tendit une main assurée en lui laissant le loisir de réagir à sa convenance. Elle devait se douter qu'il savait qu'elle n'aurait pas eu la réponse immédiatement. Pour autant qu'elle le sache, il pouvait faire preuve de courtoisie en ignorant son étourderie.
Ou bien elle était très naïve et complètement perdue, et elle allait s'écrouler en tentant de s'expliquer.