Les contrées du Chaos / Une trop grosse plante [Arpenteur]
« le: vendredi 25 avril 2014, 02:00:43 »Ivre, l’homme redemanda un verre supplémentaire au tenancier, qui hésita brièvement. L’homme était déjà bien imbibé, et sa présence commençait à être de plus en plus désagréable, d’autant plus qu’il se permettait des remarques désagréables à l’encontre de sa fille, Clarice, qui l’aidait à tenir la boutique. Son auberge n’était pas un lupanar, et Joseph, en bon croyant, ne tolérait pas ce genre de comportements. Néanmoins, la dernière tempête avait été lourde, et l’homme avait du s’endetter auprès de la banque pour bénéficier d’un prêt qui lui avait permis de réparer sa toiture. Il ne pouvait pas cracher sur la soupe, et, même s’il n’appréciait pas beaucoup les esclavagistes, il fallait bien les accepter quand ils avaient une bourse pleine de pièces d’or. On ne vivait pas de pain et d’eau fraîche, après tout.
Depuis quelques jours, l’homme déblatérait la même histoire à tous ceux qui voulaient bien l’entendre, ce qui avait eu pour effet d’amener quelques visiteurs supplémentaires. Joseph n’allait pas s’en plaindre. Il était dans un village assez reculé des routes commerciales, près d’une paisible forêt. Eaux-Claires était un paisible village, où on vivait essentiellement de la scierie à proximité, ainsi que de la chasse. Les villageois payaient leurs impôts au seigneur local, qui vivait ailleurs, et on avait pour coutume de dire, à Eaux-Claires, que rien d’exceptionnel n’arrivait jamais. Ceci expliquait sans doute pourquoi les filles partaient généralement dès que possible, en quête du prince charmant dans les grandes villes... Certaines revenaient parfois, heureuses de revenir dans le monde paisible de leur enfance, sans surprise, mais aussi sans les frustrations et les souffrances de la vie, ou frustrées de ne pas avoir réussi à trouver ce qu’elles voulaient. D’autres trouvaient la fortune auprès d’un bel homme romantique, et d’autres l’infortune. Eaux-Claires était un peu coupé du reste du monde. C’était tout juste si on avait appris que, à Nexus, qui semblait appartenir à un autre univers, les parents de la Reine étaient morts. La Fourmilière, la guerre entre Nexus et Ashnard, tout cela était bien loin. Eaux-Claires avait un monument aux morts qui datait du siècle dernier, et n’avait jamais connu le moindre pogrom. Il fallait aussi dire que leur royaume était assez paisible, et que la guerre entre Ashnard et Nexus n’était pas venue à leur porte.
En revanche, depuis quelques semaines, Eaux-Claires rencontrait quelques problèmes. Plusieurs des filles du village avaient disparu alors qu’elles étaient parties faire la cueillette dans la forêt, ainsi que quelques chasseurs isolés, et même quelques bûcherons. Il n’y avait pourtant pas de loups à cette période de l’année, et d’infructueuses battues avaient été organisées. La forêt était grande, et certains des hommes déployés pour retrouver les disparus avaient parlé d’une « dryade à la peau verte ». Des racontars, selon certains, mais cette histoire avait fini par sortir d’Eaux-Claires grâce à la bénédiction d’un charretier convoyant des cargaisons de bois pour la foire, au bourg du seigneur. Le charretier avait parlé à ses amis de cette histoire de « dryade », et l’histoire était remontée jusqu’au comptoir d’une guilde esclavagiste. Les esclavagistes s’étaient alors renseignés sur Eaux-Claires, et avaient appris que cette forêt était ancienne, très ancienne, et très vaste, suffisamment vaste pour abriter des créatures de la forêt : nymphes, dryades, voire même des fées. Une seule dryade pouvait sans problème valoir 20 000 pièces d’ors au marché d’esclaves... Et encore, en voyant léger ! La guilde avait donc envoyé ses hommes pour chasser la dryade.
Comme l’esclavagiste ivre le racontait, ils avaient dressé un camp dans la forêt, dans une clairière, et disposaient de cartes de la région, ainsi que d’un guide.
« Les dryades et toutes ces saloperies, c’est des froussardes, des timides, à ce qu’on raconte. On savait pas s’il y en avait une qu’était là ou pas, mais... C’est comme qu’dirait l’aût’, si vous m’permettez le mot : on le pifrait, v’là...Alors, on a posé tout un tas de pièges, ici et là, des runes magiques, des détecteurs, tandis que le guide, lui, y passait son temps à péter et à roter. »
Il continuait à parler, finissant par leur expliquer que, les premiers jours, ils pensaient qu’il n’y avait personne, que ces culs-terreux de villageois s’étaient simplement égarés... Et puis, ils avaient fini par trouver une piste. Mais rien n’avait marché comme prévu.
« C’était l’une de ces paysannes. Si ouais, que j’vous dis ! Elle était toute apeurée, la p’tiote... À croire qu’elle pensait qu’on allait la fourrer... Haaa, je dois admettre qu’elle avait des arguments, ouais, mais on y voyait surtout un appât pour amener la dryade... Et, pour le coup, ça a été un putain d’appât ! »
La dryade les avait attaqués...
Il se vantait d’être le seul survivant, et attendait ici que des renforts arrivent, mais il faudrait surtout faire intervenir le bailli. Il n’était donc pas particulièrement pressé, et en profitait pour dépenser sa solde en achetant de la bière.