Par-dessus tout, je détestais une chose : que l'on chie dans mes bottes. Ici, j'étais la force primordiale, l'animal dominant, le mâle alpha tout empli d'une virilité conquérante, et je ne tolérais en aucun cas la présence de parasites et de sangsues susceptibles de rafler des contrats juteux. À ce propos, j'entendis parler d'un projet totalement délirant visant à capturer une dignitaire tekhane, ou terrienne, sauf erreur de ma part. En principe, j'évitais de me mêler aux intrigues politiciennes, car elles formaient la chasse-gardée de mes supérieurs hiérarchiques, et aussi parce que j'ignorais ce qui se tramait derrière les manœuvres en coulisses... De fait, je pris très vite mes précautions. Loin de moi l'idée de chier dans les bottes d'un cacique d'une obscure mafia. J'étais téméraire, certes, mais pas dément.
Néanmoins, on se demanderait alors ce que je fichais ici, puisque je jurais me tenir éloigné des querelles machiavéliennes... En fait, je crois que je nageais dans l'improvisation totale, à cet instant. Je voulais empêcher qu'un groupe rival s'enrichisse et donc supprimer une concurrence, point. Et je savais que, pour exaucer ce désir, je devais saisir le kairos, exploiter une petite fenêtre d'opportunités, au moment opportun. Dans cette perspective, je devais frapper vite et fort.
Combien fut grande ma surprise lorsque j'aperçus la présence d'une donzelle à l'allure très juvénile, mais très propre sur elle, que des lascards de médiocre extraction maintenaient prisonnière. Je me figurais une sénatrice âgée, grabataire même, ridée, voire carrément dégueulasse, une bestiasse grasse au menton velu, inspide, puante et désagréable. Bref, une mal-baisée tekhane qui aurait alimenté mon mépris... À la place, une jeune femme aux grands yeux bleus et dotée d'un ton velouté, admissible pour un cheptel de mortelles avenantes et désirables, s'il me vint cette fantaisie. J'étais beaucoup trop épris de liberté pour caresser l'idée de constituer un sérail, du moins dans l'immédiat.
Ainsi, telle une affreuse parodie du prince charmant (sic), j'abattai le fléau de la justice (sic-bis), livrant la funeste sentence (sic-bis-repetita) à la pointe de mes ongles tranchants. Mes doigts rouges du sang des pouilleux, je m'approchais de l'infortunée que j'avais sauvé in extremis, camouflé par les ténèbres. Par réflexe, je lui tendis la main en espérant obtenir un genre de redevances pour ce sauvetage improvisé et inattendu... Hé, cela ne coûtait rien. Mais que nenni ! Ah, que nenni ! Tout au plus, un simple remerciement. Une lueur altière animait alors mon œil de glace, tandis que je songeais à l'abandonner à la fureur des criminels de passage dans cet endroit malfamé, qui se feraient une joie de lui faire du sale. Toutefois, je n'avais aucune envie d'offrir un joyau pareil à ces gros porcs libidineux. J'y vis plutôt l'occasion de saisir une opportunité, alors, de fait, je projettai de me l'approprier.
– Mais aucun soucis, mademoiselle. Vous semblez lasse. Nous réglerons ultérieurement les modalités de la récompense, pour votre sauvetage.
Je fis exprès d'utiliser une voix et une intonation aussi mièvre et formelle dans l'unique but de faire de l'ironie grinçante. Clairement, j'étais un cul-terreux face à cette princesse rutilante, et je tenais à lui signaler — non sans éprouver un certain ressentiment de classe — que j'étais aussi un genre de prolo dont il valait mieux se méfier, si elle possédait un tiers de jugeote. Quoique, le sol n'était plus que pulpe écarlate ; elle se douterait qu'il ne faut surtout pas plaisanter avec moi.
Bref, mes griffes imbibées de sang, je me saisis délicatement de la Tekhane, dont j'ignorais le nom et le prénom exacts, puis je me frayai un chemin dans cet endroit à l'atmosphère si viciée que je ne me sentais pas capable de la respirer une fois de plus.
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Ashnard. Un mobil-home situé aux antipodes de toute civilisation.
Ma trouvaille du jour put se reposer sur mon lit, dans ma chambre, au milieu de mes draps blancs que je nettoyai régulièrement. Je détestai par-dessus tout la laideur et la saleté, la puanteur et l'incurie de l'indigence ménagère, et j'espérais que ma captive se montrerait parfaitement propre, bien que je ne prêtai alors aucun intérêt à son hygiène . Je n'avais aucune intention de nettoyer sa litière à sa place. Si elle avait soif, je lui laissais une bouteille d'eau sur la table de nuit.
– Princesse... Vous êtes réveillée ? fis-je de ma voix rocailleuse, avec ce timbre éternellement rebelle et teinté d'insolence, quoiqu'une pointe de labeur et de suffocation était parfaitement audible dans mon intonation.
Dans la petite pièce qui jouxtait ma chambre, je m'affalais, tout en sueur, sur mon canapé. Sur mon biceps, un garrot sanguinolent : j'avais payé le prix de l'hémoglobine pour cette bourgeoise aux airs de poupins. Une balle devait être extraite, et je la retirais au couteaux. Bien entendu, je désinfectais toujours au préalable sa lame, histoire d'éviter une infection dont je me dispenserai volontiers.